Le président de Arte Bruno Patino : comment bien s’informer à l’ère du numérique ?

Le président de la chaîne "Arte" Bruno Patino, septembre 2022
Le président de la chaîne "Arte" Bruno Patino, septembre 2022 ©AFP - XAVIER LEOTY
Le président de la chaîne "Arte" Bruno Patino, septembre 2022 ©AFP - XAVIER LEOTY
Le président de la chaîne "Arte" Bruno Patino, septembre 2022 ©AFP - XAVIER LEOTY
Publicité

Une semaine en France reçoit Bruno Patino, président d’Arte depuis janvier 2021. Il vient de publier aux éditions La Martinière jeunesse, un fascicule intitulé “S’informer, à quoi bon ?" où il insiste sur notre devoir collectif de bien s’informer.

Avec

Près d’un Français sur deux (51%) ressent “très” ou “assez souvent” de la fatigue ou de la lassitude par rapport à l’information. Un chiffre que rapporte le dernier baromètre de confiance dans les médias, réalisé tous les ans par Kantar public-onepoint pour La Croix. C’est dans ce contexte de fatigue informationnelle que notre invité, Bruno Patino, publie aux éditions La Martinière “S’informer, à quoi bon ?”, un petit fascicule à destination des 15-25 ans. Volontairement provocateur, il tente d’y énoncer les enjeux de l’information comme contre pouvoir, décisif dans notre société.

Bruno Patino, longtemps journaliste, a participé au développement de l’offre numérique du journal Le Monde au début des années 2000, puis à celle de France Télévision. Cela l’a amené à analyser les retombées du numérique sur notre capacité de concentration et nos pratiques, dans son essai “Tempête dans le bocal : la nouvelle civilisation du poisson rouge” qui sort en poche le 15 février (Grasset). Il revient sur la façon dont le temps que nous passons connecté  a brouillé les frontières entre nous et le monde. La consommation des écrans, depuis 2020, a augmenté de 70 % chez les ados et de 40 % chez les adultes. Le Covid a fondamentalement changé la donne et les écrans sont vraiment devenus au cœur de notre monde. On passe devant les écrans connectés plus de 40 % de notre temps éveillé. C'est un phénomène qu'on ne peut pas prendre à la légère.

Publicité
  • Comment s'y retrouver dans cette information pléthorique qui parvient jusqu'à nous ?
  • À quoi sert un journaliste ?
  • Pourquoi souffre-t-on d'infobésité (étrange néologisme de notre époque) ?

Le patron d'Arte a fait sa carrière dans les médias, presse écrite et audiovisuelle. Journaliste, patron de presse, il a développé notamment l'offre numérique du journal Le Monde au début des années 2000, puis celle de France Télévisions et enfin Arte TV. Il est venu confier son regard quant aux nouveaux enjeux de l'information sur les réseaux sociaux et sur les différents supports numériques.

L'information est-elle en train de perdre de sa valeur ?

C'est ce que le patron de presse a essayé d'aborder en premier lieu dans son petit fascicule. En s'entretenant avec des 15-25 ans pour leur demander s'ils s'informaient de manière générale, il raconte avoir reçu un double sentiment de leur part. D'un côté, un "Ce n'est pas nécessaire" et de l'autre "L'information, c'est envahissant : "Ce qui nous montre bien que la valeur de l'information nous échappe fondamentalement puisqu'on ne sait plus très bien ce qu'est une information à l'heure où des messages nous arrivent à tout moment sur nos supports numériques quels qu'ils soient. Peut-être avons-nous perdu la valeur de l'information non seulement pour nos vies individuelles, mais pour nos vies collectives.

On oublie trop souvent que l'information, quel que soit le moyen par lequel elle se transmet, doit répondre à trois caractéristiques fondamentales que le journaliste tient à rappeler :

  • L'information, c'est un message qui doit avoir été vérifié…
  • Par quelqu'un qui n'y a pas directement intérêt…
  • Et sur lequel on engage sa responsabilité…

Les enjeux de l'information à l'aune du numérique

Le journalisme numérique

Là où autrefois les journalistes disposaient d'une sorte de monopole dans la capacité d'exposer le réel, aujourd'hui, ils ne sont plus les seuls à proposer un agenda. En effet, Bruno Patino rappelle à juste titre que "les algorithmes en proposent un via les réseaux sociaux. Il y a cette tension naturelle en permanence entre l'agenda qui est produit par les journalistes et l'agenda qui s'ouvre dans la société. En réalité, ce dont on s'aperçoit de plus en plus, c'est qu'il faut qu'il y ait une interaction permanente entre l'un et l'autre pour que ça marche, car dans tous les cas, le métier du journaliste doit aider à structurer l'espace public, à mettre en perspective, à donner des bases factuelles sur les sujets dont on parle tous pour ordonner la discussion collective et la vie en société y compris par l'intermédiaire des réseaux sociaux".

Faire preuve de discernement face à la multiplication de l'information numérique

En effet, il faut rappeler que les 13-17 ans s'informent sur les réseaux sociaux à 51 %, selon la dernière étude CSA pour Milan Presse, réalisée en novembre dernier. On peut parfaitement bien s'informer grâce aux réseaux sociaux souligne le journaliste, mais il faut toutefois redoubler de discernement pour éviter de trop s'éparpiller et de sombrer dans le grand mélange informationnel : "Aujourd'hui, un réseau social, c'est un réseau qui malaxe en permanence des messages de tout contexte, des messages amicaux, des messages de haine, des messages humoristiques, des messages de désinformation. Et aujourd'hui, la nouvelle génération doit faire preuve de discernement en fonction du fil où ils vont chercher l'information. On peut tout à fait s'informer sur Twitter, TikTok en sachant d'où vient l'information. À l'ère des réseaux sociaux, à l'ère du grand mélange numérique, la première des qualités qu'on doit avoir pour retrouver l'information, c'est faire preuve de discernement, savoir de quoi on parle quand on parle d'une information".

Zoom Zoom Zen
54 min

La fatigue informationnelle ou comment contrer l'info-obésité ?

Ce sont 51 % des Français qui se disent assez souvent lassés par l'information. La fatigue informationnelle, c'est un grand défi dans une société où l'essentiel de l'information provient de l'offre numérique. On est aujourd'hui toutes et tous lié.e.s à un univers informationnel. Mais, selon Bruno Patino il faut bien prendre conscience que "la fatigue signale surtout une impuissance face à l'action, l'impuissance face à la complexité de la situation, face à la quantité des messages. Et surajouter les messages n'est peut-être pas la meilleure façon d'informer les gens. Il faut prendre conscience de cette fatigue informationnelle et essayer de faire un maximum de tri individuel et collectif ; faciliter l'accès à la complexité ; essayer d'accompagner les gens dans cette information nécessaire à la compréhension du monde et à la structuration de l'espace public, à la vie en commun, sans pour autant être obsédé par la quantité de messages à produire".

Penser une économie numérique plus ouverte et responsable

Changer le modèle économique des plateformes numériques essentiellement basé sur l'économie de l'attention, du spectacle, des émotions qui entravent très souvent notre volonté individuelle et la possibilité de s'ouvrir à d'autres types de contenus et d'information. Ce ne sont pas les algorithmes qui nous rendent prisonniers de nos émotions, mais de notre modèle économique numérique : "cette surabondance de l'information numérique est due non pas à la technique elle-même, mais au modèle économique des plateformes sociales qui ont comme modèle économique le modèle publicitaire qui fait qu'elles gagnent d'autant mieux leur vie qu'on passe énormément de temps devant elles, donc elles organisent tout leur contenu de façon à nous rendre captifs. Et pour rendre captive notre attention, il vaut mieux parler à nos émotions qu'à notre raison puisque le message qui va nous heurter émotionnellement, on va réagir et le viraliser. Il deviendra économiquement très rentable. Il faut donc s'attaquer au modèle économique, et non pas à l'algorithme lui-même. L'algorithme fait simplement ce que le modèle économique lui demande de faire".

S'il pointe du doigt les dangers du numérique, il défend une numérisation qui soit plus intelligente, plus responsable collectivement cloisonnerait moins les choix des utilisateurs : "je pense qu'on peut construire des outils qui ne fonctionnent pas sur le principe de la dépendance et des objectifs publicitaires, mais redonner tout leur place à la découverte, à la surprise, de laisser à l'utilisateur la possibilité de faire un choix raisonné en outrepassant cette économie de l'attention qui elle au contraire vous rend prisonnier de vous-même. Il faut être présent sur tout type de médias et de supports, mais en restant soi-même, en laissant des portes ouvertes, et éviter les mécanismes de l'addiction. L'action publique et l'audiovisuel public tiennent, par exemple, dans un moment de fragmentation sociale, une place plus importante que jamais".

▶︎ La suite à écouter…

L'équipe