Philippe Charlier : fantômes, esprits, entre croyances et sciences

Philippe Charlier
Philippe Charlier ©AFP - RODRIGO BUENDIA
Philippe Charlier ©AFP - RODRIGO BUENDIA
Philippe Charlier ©AFP - RODRIGO BUENDIA
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Médecin légiste, archéologue, anthropologue, et directeur de la recherche et de l'enseignement au Musée Quai Branly Jacques Chirac, Philippe Charlier est non seulement un grand scientifique, mais aussi un enquêteur passionné par l'invisible, les esprits, les rituels, les fantômes et les croyances.

Avec
  • Philippe Charlier Médecin légiste, archéologue et anthropologue, directeur de la recherche et de l’enseignement au musée du quai Branly Jacques Chirac

Réalisateur du film " Sur les pas des Dieux. Rituels bamilékés au Cameroun", disponible en ligne gratuitement sur la chaine YouTube du Quai Branly, Philippe Charlier s’intéresse de près aux croyances, aux esprits et aux fantômes.

Archéologue, anthropologue et directeur de la recherche et de l’enseignement au musée du quai Branly, il est l’auteur de “ Autopsie des fantômes. Une histoire du surnaturel” (Tallandier, 2021) mais aussi de " Comment faire l'amour avec un fantôme. Anthropologie de l'Invisible” (Editions du Cerf, 2021).

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Également médecin légiste, Phillipe Charlier a autopsié de nombreux personnages historiques, comme Richard cœur de Lion, Diane de Poitiers, Saint Louis, Agnès Sorel, ou encore Hitler.

Avec notre invité, on verra aussi que le Covid et les confinements ont entraîné une résurgence des croyances occultes chez certains de ceux qui n’ont pas pu accompagner leurs proches dans la mort.

Philippe Charlier, questionner la mort

Pour Philippe Charlier, cette fascination pour la mort et ses représentations n’est que le prolongement de son activité de médecin légiste : « Quand on exerce ce métier, la mort est une collègue de travail. On est habitué à travailler avec elle et à la voir tous les jours. J’ai commencé par effectuer des autopsies de corps anciens, qu'il s'agisse d'objets de musée ou de corps transformés, des crânes d'Océanie, des têtes réduites jivaros ou bien des momies du Mexique. Il y a cette idée de conserver, dans certaines cultures, un bout d'un ancêtre. Beaucoup de ces croyances sont fondées sur la persistance de quelque chose après la mort, qu'il s'agisse d'un fantôme, d'un revenant, d'un esprit, d'un vampire, d'un Loup-garou ou d'un zombie. Dans mes recherches, j'essaye d'interroger ce qu'on appelle les non-morts : les zombies, les fantômes, les vampires, et j'essaye de comprendre pourquoi les gens y croient.

Aucune culture n’ignore l’existence des fantômes

Souvent questionné sur l’existence des fantômes, Philippe Charlier préfère répondre qu’aucune culture n’ignore l’existence des fantômes : « C'est vraiment difficile de trouver une culture à la surface du globe pour laquelle la mort est une fin définitive. Sur le plan biologique, on ne meurt pas en un claquement de doigts. Les études montrent que la vie persiste toujours dans quelques populations cellulaires vivantes, des cellules-souches et germinales par exemple. Il y a une très belle description du phénomène de la mort décrite dans le Livre des morts tibétain, le Bardo Thödol, où il est dit que la durée d'installation de la mort est celle d'un repas, et ça se fait sous la forme de l'extinction des différentes lumières physiques et spirituelles qui composent l'individu. »

Le spiritisme au XIXe siècle

D’après Philippe Charlier, la mort est une porte qu’on ouvre, mais qu’on ne ferme pas, il est donc possible de traverser, en tout cas pour un bon nombre de croyances, dans les deux sens. Les défunts reviennent pour avoir des réponses. Les rituels sont là pour la paix des morts et la paix des vivants. Les fantômes ont toujours existé dans l'imaginaire collectif, mais ils émergent avec plus d'acuité au XIXᵉ siècle avec le spiritisme, notamment à travers la figure d’Allan Kardec, véritable apôtre du spiritisme. Il va codifier la pratique en la mettant à portée de tous, des catégories socio-économiques basses à l’aristocratie. À noter que des personnalités très instruites de l’époque comme Thomas Edison, Conan Doyle, ou encore Victor Hugo s'intéressaient au spiritisme.

Le Covid-19, un contexte qui favorise l’attrait pour l’invisible

Le fait de ne pas avoir pu faire son deuil à cause du Covid-19 et du confinement a entraîné un renouveau du spiritisme, une résurgence des croyances. Pour Philippe Charlier : « C’est ce qu'on appelle anthropologiquement des mauvais morts : pour le mort lui-même, parce que les rituels n'ont pas été accomplis, il n'a pas été préparé, et puis aussi, pour la famille, car les adieux n’ont pas été faits. C’est pour cela que des personnes sont tombées dans le spiritisme, d'autres formes de croyances ou de pensées métaphysiques pour essayer d'entretenir ce lien, pour essayer de leur dire au revoir d'une autre façon. »

Autopsies de personnages historiques

Philippe Charlier a également autopsié bon nombre de personnages historiques comme Saint-Louis, Richard Cœur de Lion, Agnès Sorel, et même Adolf Hitler : « On n’a pas vraiment d’émotion, car on garde une certaine froideur scientifique. C’est plus tard, quand on prend conscience du travail réalisé qu’on se rend compte, car une analyse peut durer plusieurs années. Et puis parfois, les conditions sont rocambolesques. Je suis allé deux fois de suite à Moscou, pour travailler sur les restes de Hitler, les conditions d'examen étaient totalement extraordinaires, dignes de la Guerre froide. On a essayé de me perdre dans les méandres d'un bâtiment la première fois. Puis la deuxième fois, les restes sont arrivés dans une boîte de disquettes des années 1980 par une femme qui était-elle même d'un autre siècle. On s'est rendu compte que les restes de Hitler étaient bien des restes authentiques et que ce n'était pas des faux réalisés par Khrouchtchev. »

Les zombies d’Haïti

Contrairement à l’existence des fantômes, celle des zombies est avérée. Philippe Charlier en a vu en Haïti : « Ce ne sont pas les zombies de pacotille de Hollywood auxquels on pense en premier. Les zombies en Haïti sont des individus qui étaient des violeurs, des assassins et pour lesquels le tribunal n'était pas assez efficace. Ils ont donc été jugés par une justice parallèle, par des sociétés secrètes en marge du vaudou. On décide de leur infliger une peine pire que la mort, ce qu’on appelle la zombification. La personne va être droguée à son insu, va subir un enterrement factice, en étant conscient en permanence les yeux grands ouverts, va être enterrée vivante sans savoir si on va venir la récupérer. On vient ensuite profaner la sépulture pendant la nuit, on lui change son nom et cet individu va être considéré comme un esclave privé de tout libre-arbitre. Il va travailler dans un champ de canne à sucre, loin de la ville. C'est une peine pire que la mort, parce que l'individu est un corps sans âme, alors que le fantôme est une âme sans corps. »

🎧 Pour en savoir plus, écoutez l'émission...

Affaires sensibles
54 min

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