

Dans son dernier essai, “L’Homme sans contact”, l’auteur à succès pose un regard critique sur la place du numérique dans notre société qu'il juge très inquiétante au regard des enjeux de l'esprit critique et de la prise de conscience écologique.
- Marc Dugain Écrivain et réalisateu
Écrivain, réalisateur et historien
Marc Dugain est aussi à l'aise dans la fiction que dans les essais. Il est l'auteur d'une vingtaine de romans, dont beaucoup sont extrêmement documentés. Il aime la prospective et questionne le monde qui nous entoure. Il partage son imagination pour imaginer le réel, et l'offrir au monde. Il faut dire qu'il a toujours cultivé un questionnement métaphysique sur le sens de la vie, qui était très fort autour de sa famille. Il raconte lui-même que, déjà enfant, il se posait beaucoup de questions sur le sens de la vie.
Il a été à la tête d'une compagnie aérienne avant de changer de vie à 35 ans pour rompre avec une logique d'argent qui ne correspondait plus à ses convictions. Son premier livre lui a permis de prendre un tout nouveau chemin. "La chambre des officiers" lui a donné confiance dans l'écriture. Avant qu'il se mettre vraiment à écrire, et à ramener l'histoire ou des événements assez récents dans une nouvelle perspective qui puisse donner à penser le monde dans lequel nous vivons.
La première partie de sa vie lui a donné un sens de certaines réalités et une capacité à analyser nos relations avec le réel. L'histoire est, selon lui, un point de départ pour mieux fictionner. Très jeune, l'assassinat du président John Kennedy l'a passionné et l'a conduit sur le chemin du travail de recherche.
Dans ses romans, il part souvent de son expérience ou de ses proches
Son grand-père avait été "gueules cassées", son père a souffert de la polio... Il a aussi raconté la solitude du quadragénaire. Dans "Paysage trompeur", son dernier roman, il plonge dans le monde de l'espionnage que sa famille connaissait bien. Toujours sur fond de rivalités géopolitiques et d’hyper-surveillance numérique, cet ouvrage inaugure la nouvelle collection de livres d’espionnage, qu’il dirige chez Gallimard.
En effet, son oncle et son père, sans jamais en parler, étaient chacun impliqué dans la surveillance. Son oncle de façon totale à travers la résistance, décoré par la reine d'Angleterre pour avoir été espion sur les mouvements de sous-marins pour le compte des Britanniques.
De l'autre côté, son père était un scientifique assez accompli dans le domaine nucléaire. Il a travaillé assez directement avec le patron du SDEC de l'époque, l'équivalent de la DGSE aujourd'hui, et qui était dans toutes les grandes organisations internationales. Il était un honorable correspondant, mais assez impliqué. Sa mère a aussi été impliquée à sa façon. Elle fut la première femme à développer de gros contrats avec l'Irak dans les années 1960. Chose rare dans un pays musulman à l'époque. C'est le début de sa fascination pour l'espionnage, l'hérédité compte !
Marc Dugain est aussi réalisateur de cinéma (fiction et documentaire), et producteur. Avec le temps qui lui reste, l'écrivain écrit des scénarios. Son passage au cinéma s'est fait d'une façon naturelle. Un amour du 7e art qu'il exprime essentiellement à travers des films d'époque. Il adore tellement la reconstitution historique dans le cinéma qu'il la vit comme un voyage pour mieux saisir les mentalités face aux altérités d'autrefois. Il prépare d'ailleurs un tout nouveau film autour de l'Affaire des poisons à l'époque de Louis XIV, avec une intrigue policière et d'espionnage.
Les dangers de la numérisation de la société
Il est venu partager avec nous son regard sur le monde et ses agacements. Il aime l'histoire, mais il est aussi un observateur attentif de notre époque. Son dernier essai (co-écrit avec Christophe Labbé) “L'Homme sans contact” (L’Observatoire, 2022), nous met en garde contre une société plus connectée que jamais depuis la pandémie de Covid-19. Télétravail, applications de rencontres, voitures autonomes…
Il pourfend notre civilisation du tout numérique où tout se fait désormais à distance. Notre confrontation à l’autre serait, selon lui, grandement réduite. Pour l'écrivain, l'enjeu majeur de notre siècle avec la lutte contre le réchauffement climatique, est la numérisation, qu'il juge inquiétante, de notre société. Une privation de liberté insidieuse qu'il juge dangereuse. Une addiction qui nous transforme en esclaves de nos portables et autres réseaux sociaux et fragilise notre rapport à l'autre : "L'altérité, c'est ce qui forme notre équilibre. Elle nous forme et s'il n'y a pas quelqu'un en face pour nous contredire, on est incapable par soi-même de créer notre équilibre. Et la numérisation de la société provoque une isolation très pernicieuse pour chacun d'entre nous. Nous sommes piégés dans un filet numérique ; nous sommes dans une société numérique où l'esprit critique est de moins en moins important malgré une très grande quantité de connaissances disponibles. Toute cette industrie est structurée pour capter notre attention au prix de nos données personnelles. Ces aspects négatifs, personne n'en parle parce que cette industrie repose sur le modèle d'un optimisme béat qui fausse une certaine réalité".
Une société du "faire-semblant" qui sacrifie la consience écologique
Outre le numérique, le réchauffement climatique préoccupe tout particulièrement l'auteur dans son dernier ouvrage. Au micro de Christelle Rebière, il raconte que le déni social actuel face à l'urgence climatique s'explique par notre prédisposition naturelle de n'agir que lorsque le danger est imminent : "Le problème, c'est qu'on patiente et on avise. On est dans le 'faire semblant'. La conscience de ce qui va se passer avec le réchauffement climatique n'est pas encore prégnante dans tous les esprits. Pourtant, les conclusions des experts du GIEC sont incontestables. On est dans une sorte de déni conditionné par notre structure mentale qui n'est naturellement pas préparée à l'idée du pire à long terme. C'est une fois que la maison est en train de brûler sous ses pieds que l'homme se met à réagir, mais quand on lui parle du long terme, il relativise. Il y a quelque chose chez nous, dans notre programmation intellectuelle, neurologique; qui fait que la peur humaine des conséquences du changement climatique n'est admise que devant l'obstacle imminent. On ne réagit que quand la peur est vraiment là. Et on est incapable de changer substantiellement de modèle de comportement, de rompre avec cette névrose obsessionnelle que sont la consommation et la croissance globale en particulier numérique qui conditionne tous les autres travers de notre existence matérialisée et énergivore. C'est notre modèle, si paradoxal, soit-il, qui nous pousse constamment à consommer et à ne trouver de récompense sociale que dans le dogme de la consommation. On est dans une perte du sens et dans un matérialisme qui ne fait plus aucune place au rapport à la nature. Il y a un 'faire semblant' qui est inadmissible".
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