Ca s’appelle une série française pour être le moins précis possible . Pour y faire vivre toutes les réalités. On est voisins, on habite en France, mais est ce qu’on se connaît ? Aujourd’hui l’important c’est : savoir « qui je suis ». Il y a eu les attentats de janvier à Paris… : on a dit Je suis Charlie ou Je ne suis pas Charlie . Comme s’il y avait maintenant des camps et qu’il fallait choisir le sien. Ceux que j’ai rencontrés ont entre 18 et 30 ans, et ils étaient méfiants. Ils sont fatigués, pas de la vie mais des discours – de la politique, et des médias. Souvent ils m’ont dit : mais pourquoi on aurait confiance en toi ? Pour dire : comment être sûr qu’on ne va pas nous ranger dans une case. Encore. Nous coller une étiquette. Nous définir en trois mots. On est déçus. Et surtout : on n’est pas ce que vous pensez que nous sommes. Comme si les identités, la société, elle avançait plus vite que ceux qui en parlent ou veulent la représenter. Comme s’ils étaient loin devant, déjà, les jeunes français. Et maintenant il va falloir courir pour les rattraper.
L’historien Marc Bloch écrivait : Les hommes ressemblent plus à leur temps qu’à leur père . Et nous on ressemble à qui / et à quoi ? – nous, on est les enfants d’après. Tout s’est joué sans nous, on dirait. On n’a pas vécu mai 68, on a raté 81 la gauche au pouvoir et l’espoir, fini les utopies, la jeunesse de nos parents avait l’air plus belle que la nôtre. Nous sommes des enfants de fin de siècle et le 21ème n’a jamais rien promis. Pourtant le mot printemps de l’autre côté de la Méditerranée n’a jamais autant été utilisé, et par ricochets c’est le nôtre. Pourtant on s’indigne - oui mais pas sur commande. On parle de déclin mais nous on ne décline pas. La démocratie on en a fait une Zone à Défendre.
On ira du Nord au Sud en passant par les côtés, de la ville aux quartiers à la forêt. Ceux qui vont parler sont politisés, ou n’ont jamais voté. Ils sont religieux, ils sont athées. Pas toujours d’accord. Ils pensent encore être le début d’un monde et pas la fin. Avec leurs voix qui se superposent, s’additionnent : ils nomment une nouvelle France. Avec la sensation qu’il faut réinventer du collectif. Ce sera une série pour conjurer le sort. Ce sera se donner signe de vie. Se dire : on est là. On est vivants. On sera au-dessus de notre peur. Ce sera juillet et août. On retournera à septembre, l’été sera passé, mais au moins on se sera parlés. Et on se sera promis de ne pas vieillir avant l’âge.
AMIR, 24 ans, GAZA / PARIS.
Dans son casque : le chant des partisans
Dans son sac : Pas pleurer, Lydie Salvayre
L’été dernier on était à Gaza Téhéran Moscou Alger, pour entendre comment la jeunesse sans démocratie, inventait sa liberté– cette série française, ce sera comme une réponse, pour dire nous aussi, on se bat, on monte la garde. J’avais rencontré Amir – il a grandi à Gaza pendant 23 ans, il en a 25 aujourd’hui, il est à Paris. Il enseigne l’arabe au lycée. Il nous observe. Il nous apprend. J’ai voulu lui demander pour ouvrir l’été, s’il nous trouvait heureux ?
ROBIN, 24 ans, MARSEILLE.
Dans son casque : Columbi, Chjami Aghjalesi
Sur son corps : un tatouage « MIA » sur le bras
C’est un berger. Il commence par me parler de ses chèvres et des montagnes. Il a un bras abîmé, une bavure avec les policiers sur le vieux port, le jour de l’an, double fracture du poignet… il rougit parce que c’était la vie d’avant. Il a changé. Il a grandi dans les quartiers Nord de Marseille, 13è arrondissement, jusqu’à 16 ans. Il aime dire qu’il a des origines siciliennes et corses, dans la famille, des pêcheurs et des maçons. Un père qui travaille dur et une mère qui fait des ménages et garde les enfants. L’école ce n’était pas pour lui. Il a arrêté en primaire, puis au collège. Après la prison il a découvert la lecture, il rêve de passer le bac, il apprend la langue corse.
NARGESSE, 24 ans, GIVORS.
Dans son casque : Petit frère, I AM
Sur son corps : un tatouage, la date de décès de son père
Nargesse a écrit "Dans la peau d'un thug", d'abord sur facebook ****: l'histoire de You, Youssef, dans un quartier. Nargesse a 24 ans – elle a grandi à Givors près de Lyon – sa mère vient de Batna dans les Aurès en Algérie, et pendant un an et demi elle écrit des chroniques au jour le jour, postées sur Facebook, et plus de 20000 lecteurs les suivent. C'est une langue française qui vit, qui bouge, pas que avec des mots qu’on trouve dans le dictionnaire. Et c’est enfin dit elle, une façon pour beaucoup d’entre nous de se retrouver.
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