

Ce soir, on célèbre un des plus grands groupes de l’histoire du rock anglais. On revit le rêve de celui qui l’a fondé, son rêve d’une Amérique idéale...
_« The Great Highway », la grand route qui traverse toute l’Amérique, de New York à Los Angeles, c’est celle que célèbre le Londonien d’origine Ray Davies dans un nouvel album qui s’appelle « Americana », consacré à son rêve américain, né jadis dans son cœur d’enfant grandi dans un quartier ouvrier du nord de Londres. Un rêve toujours vivant dans son cœur, même s’il a pour lui souvent tourné au cauchemar. Alors le nom de Ray Davies n’est pas un de ceux qui dans le panorama que perçoit le grand public, se dresse comme une montagne, comme ceux de David Bowie ou de Bob Dylan. Pourtant il devrait. Au sein du groupe qu’il a fondé à Londres il y a plus de cinquante ans déjà, les Kinks, Ray Davies a composé et interprété des chansons qui ont traversé l’épreuve du temps et ont gardé une fraîcheur indémodable : « You Really Got Me », tout le monde connaît ça, « Sunny Afternoon » ou « Lola ». Mais enfin, des tubes qui ont enrichi le patrimoine, il y en a quantité. Ray Davies est un des très rares artistes surgis dans le monde du rock des années 60 dont on peut dire qu’il avait un regard. Un regard d’écrivain, de dessinateur, de photographe ou de cinéaste. Ou même simplement de journaliste chroniqueur. Cet homme a toujours eu une façon unique de résumer, le temps d’une chanson, des personnages et des situations : l’ouvrier qui, à force de travail et d’épargne, s’est bâti son petit pavillon et veut absolument oublier d’où il vient, les deux sœurs dont l’une, qui a réussi socialement, organise des dîners brillants à la ville et l’autre, qui se morfond à la campagne, regarde tourner sa machine à laver. Il y a chez Ray Davies et les Kinks l’art des mots, bien sûr, mais aussi l’art théâtral de la diction, soit celui de suggérer, par le choix d’une intonation ou d’un accent, le mépris de classe du grand bourgeois qui se croit au-dessus des autres ou, inversement, la gouaille populaire du cockney londonien qui ne s’en laisse pas conter par ceux de la haute.
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De ce point de vue, Ray Davies se rapproche beaucoup d’un chanteur qui n’a pas eu d’influence que dans le mode francophone : Jacques Brel. Jacques Brel dont les chansons ont été traduites en anglais et qui a profondément influencé les débuts de David Bowie qui avait repris au début des années 70 le célèbre « Amsterdam ». Et il est très naturel que Ray Davies et les Kinks aient marqué en profondeur les débuts de David Bowie à la fin des années 60, au temps où il était en quête d’un style personnel. Chez Brel, chez Bowie, chez Ray Davies, donc, il y avait la satire, bien sûr, l’évocation de personnages comiques ou un peu fous, mais aussi une tendresse désarmante, quand le masque tombait et que la parole sortait avec la sincérité d’un enfant, sans barrières. C’est pour cette raison que certains estiment, ce qui peut paraître, à tort, comme une pose ou une provocation, que l’œuvre des Kinks est supérieure à celle des Beatles ou des Rolling Stones. En simples termes d’humanité et de sensibilité, les chansons de Ray Davies avec les Kinks sont, de fait, inégalables. Et si j’étais l’Académie Nobel à moi tout seul, c’est à Ray Davies que j’aurais décerné le prix de littérature. Bon, allez, soyons sympa, ex æquo avec Dylan. Bon, trêve de plaisanterie, au cours de cette semaine, on va faire quelques aller-retour entre inspiration anglaise et rock américain, puisque c’est le sujet du nouvel album solo de Ray Davies, Americana, le premier de chansons originales depuis dix ans. Americana est aussi le titre d’un livre de mémoires écrit par Ray Davies, qui a été traduit et publié l’année dernière par le Castor Astral, et dont son nouveau disque est comme le pendant musical. Alors, chez les admirateurs des Kinks, il y a beaucoup de puristes, c’est inévitable et la période du groupe qu’ils préfèrent, souvent, c’est celle de la fin des années 60, où Ray Davies a convoqué ses souvenirs de vieux music-hall londonien et même d’opérette et s’est amusé à recourir à beaucoup d’orchestrations baroques. C’est vrai que tout ça a gardé un sacré charme. Pour autant, il y a une période plus tardive des Kinks où, durant la seconde moitié des années 70, le groupe a enfin rencontré le succès commercial qui lui avait échappé jusque là. Le son des Kinks était alors est celui d’un hard rock de grande consommation, très efficace mais que certains pouvaient juger banal. Le succès a été grand aux Etats-Unis où le groupe avait longtemps interdit de séjour à la suite d’une série noire de malchances, à peine croyable, je vous en dirai deux mots cette semaine. Pas mal d’admirateurs, en France comme ailleurs, les ont alors snobés, on était un peu raides dans ces années-là, mais enfin, aujourd’hui, ces Kinks américanisés sonnent très bien et méritent d’être réhabilités. Tout de suite, « Juke Box Music », extraite d’un album sorti il y a quarante ans, en 1977, Sleepwalker. Une chanson qui met en scène un personnage typique de la galerie de Ray Davies, une femme absorbée par les chansons qui sortent d’un juke-box, et l’entraînent dans un monde de rêve, alors que ses copines dansent et s’éclatent. Le plus curieux, c’est que ça commence presque comme un titre de AC DC mais c’est les Kinks.
Programmation musicale :
- Ray Davies, « The Great Highway » extrait de l’album « Americana »
- The Kinks, « Juke Box Music » extrait de l’album « Sleepwalker »
- The Kinks, « Catch Me Now I’m Falling – Live » extrait de l’album « One for the Road »
- The Kinks, « Johnny Thunder (Mono Mix) » extrait de l’album « The Kinks Are the Village Green Preservation Society »
- The Kinks, « A Rock’n’Roll Fantasy » extrait de l’album « Misfits »
- The Kinks, « Oklahoma U.S.A. » extrait de l’album « Muswell Hillbillies »
- The Kinks, « Muswell Hillbilly » extrait de l’album « Muswell Hillbillies »
- The Kinks, « Drift Away » extrait de l’album « Phobia »
- The Kinks, « Celluloid Heroes » extrait de l’album « Everybody’s in Show-Biz – Everybody’s a Star »
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