Polémique Loiseau : "Au début des années 80, il n’y a pas de syndicat de droite modérée à l’université"
Par Ouafia KhenicheNicolas Lebourg, spécialiste de l'extrême-droite, revient sur la naissance du GUD et le développement des syndicats étudiants d'extrême-droite, après les révélations de Mediapart sur Nathalie Loiseau, présente dans les années 80 sur une liste proche de l’extrême-droite.
Le site explique qu'en 1984, alors qu'elle était en quatrième année à Sciences Po et qu'elle préparait l'ENA, Nathalie Loiseau a été candidate sur une liste de l'UED, un syndicat descendant du GUD après sa dissolution.
FRANCE INTER : Qu'est-ce que le GUD ?
NICOLAS LEBOURG : "Après Mai-68, les mouvements d’extrême-gauche sont dissous. Le mouvement d’extrême-droite Occident, lui, ne sera dissous qu’en octobre 1968, après le plastiquage d’une librairie maoïste. Le GUD est né en 1969 après cette dissolution. C’est donc une recomposition de ligue dissoute, ouvertement néo-fasciste et très dynamique. C’est un mouvement qui a marqué l’extrême-droite française, dans son style et dans sa méthode.
Originellement, c’est le Groupe Union Droite. C’est donc au départ un syndicat de droite. Après la dissolution du mouvement Ordre Nouveau, le D va changer de sens et va devenir Défense (donc Groupe Union Défense, GUD).
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il sera peu connu pour ses activités syndicales. En fait, il a seulement des élus à Assas [faculté de droit à Paris, NDLR], il y en a à Perpignan dans les années 80, mais de façon générale la fonction syndicale est assez faible. Le GUD se fait surtout connaitre par sa violence, sa politique de combat sur les campus contre les militants d’extrême-gauche."
Où en est le GUD quand Nathalie Loiseau participe à ces élections à Sciences Po en 1984 ?
"Quand Madame Loiseau participe à cette liste, le GUD n’existe plus : il s’est auto-dissous à l’été 1981, après l’attentat de la rue Copernic, pour lequel l’extrême-droite a été un temps soupçonné. Ces soupçons avaient déclenché une vaste répression sur les milieux néo-fascistes et néonazis.
Le GUD tente de se refaire à l’été 81, par une descente sur Nanterre. L’idée est d’affronter les "gauchistes" dans leur bastion et ainsi monter qu’on est les plus dynamiques. D’autres groupes viennent avec le GUD pour cette descente sur Nanterre mais en fait ils se font balayer. La contre-attaque des étudiants de gauche est gigantesque et les "Gudards", comme on les appelle, se retrouvent complètement au tapis, blessés interpellés. C’est à ce moment-là que le GUD s’auto-dissout. Des groupuscules vont alors essayer de s’imposer, mais la "marque GUD" va être relancée lors des manifestations contre le projet de loi Savary sur l’école privée. Parce qu’il y a de l’activisme, parce qu’il y a de la violence dans les manifestations, le nom GUD va être relancé, avec l’accord des aînés.
Au début des années 80, il n’y a pas de syndicat de droite modérée au sein de l’université. Même l’UNI (Union Nationale Inter-universitaire) qui est à l’époque tenue par les chiraquiens, a des positions plus proches des idées du Front national."
Existe-t-il parmi nos dirigeants politiques des personnes issues de ces mouvements d’extrême-droite ?
"Pourquoi trouve-t-on un peu partout dans la magistrature, dans l’université, dans les milieux politiques, des gens qui viennent de ces groupuscules et en particulier d’Occident ? Dans les années 70, au sein des universités françaises, la gauche pèse extrêmement fort. Les anti-marxistes ont l’impression d’être ostracisés. À Nanterre, quand un syndicat de droite essaie de se monter, les étudiants se font casser la figure. Ces anti-marxistes se radicalisent, se polarisent à l’extrême-droite, en particulier vers les groupes violents parce qu’ils donnent l’impression d’être les plus déterminés et les mieux organisés pour affronter la gauche.
Vous allez avoir parmi eux des anti-marxistes, radicalisés dans le contexte de l’époque, mais qui en vieillissant vont se normaliser, et qui réalisent que non, la gauche ne met pas en place une "République socialiste soviétique"… D’autres ont mis leurs idées sous le boisseau pour pouvoir faire carrière.
En soi, le fait qu’on trouve des gens issus de ces mouvements, c’est juste l’effet du vieillissement des radicaux des années 70.
En France, on utilise toujours le passé radical des politiques de manière caricaturale, quel que soit le bord. Souvenez-vous du trouble médiatique faramineux qu'il y avait eu autour du passé trotskiste de Lionel Jospin… Il y a une difficulté dans le débat politique à dire : "oui, à 20 ans, j’avais des idées plus virulentes qu’à 40" ou "je me suis trompé". Comme on n’admet jamais ça, on est toujours sur cette hystérisation du passé politique des gens."
Qui seraient les héritiers du GUD aujourd’hui ?
"Le groupe Bastion Social est l’héritier du GUD version années 80, c’est-à-dire sur une ligne nationaliste révolutionnaire, en considérant que le fascisme est un anti-impérialisme, qu’il est là pour libérer l’Europe et qu’il représente un mouvement de libération nationale et sociale de l’Europe. C’est aussi un fascisme qui se veut populaire et social.
Bastion Social essaie de relancer ce nationalisme social alors que c’était un courant en perte de vitesse depuis la fin du XXe siècle, avec un certain succès, un certain talent. Ce mouvement est lancé par le GUD Lyon, qui avait adopté des positions extrêmement dures. On est vraiment chez les durs de l’extrême-droite, chez des gens qui considèrent qu’on peut encore citer positivement des États fascistes du XXe siècle.
Mais ces groupes-là sont fragiles, puisque le président de la République a annoncé sa dissolution en février (même si l'on n’a toujours pas les décrets).
Chez eux, il y a toujours l’hésitation entre l’action légale et l’action violente. Par exemple, Bastion Social devait ouvrir un local : avoir des locaux c’est très important, cela vous permet de vous normaliser. Mais quand le local ouvre à Strasbourg, le soir même les membres de Bastion Social commettent des violences. Résultat : la normalisation est cassée par leur arrestation pour ces violences gratuites dans la rue."
Nicolas Lebourg publie "Les nazis ont-ils survécu ?" Le 2 mai aux éditions du Seuil.