Pour Emma, la charge mentale liée au recyclage repose sur les femmes et les empêche de s'engager
Par Xavier Demagny
Elle prône l’action et l’engagement politique et fustige les “petits gestes” comme le tri des déchets ou le sans emballage dont la gestion pèse surtout sur les épaules des femmes. Entretien avec la dessinatrice Emma qui a, avec ses dessins, popularisé le concept de charge mentale.
Elle vient de publier une nouvelle bande dessinée dans sa série Un autre regard. Cette fois, Emma parle du climat, de l’urgence qu’il y a à s’engager pour sauver notre planète et évoque la place des femmes. Emma, c’est la dessinatrice-blogueuse qui a popularisé le concept de charge mentale avec ses dessins. Et selon elle, du simple tri au phénomène zéro déchet, les “petits gestes” censés nous sauver sont en réalité “une activité à plus que plein temps”, “complètement épuisante” qui repose souvent sur les épaules des femmes et qui “nous prive de temps pour un engagement sur le terrain“.
FRANCE INTER : Dans votre ouvrage, vous estimez qu’on n’agit pas de la bonne façon pour lutter contre l’urgence climatique…
Emma : “Ce que j’explique c’est que, quand on parle d’urgence climatique, on parle d’une vraie urgence. C’est un système de cercle vicieux sur lequel on peut encore agir mais dans un délai très court. Donc, dans mon livre je dis qu’on a effectivement un temps très court pour une écologie sans transition. La transition écologique c’est trop tard : il faut un changement radical. Aujourd’hui, pour se défendre, les gouvernements disent aux individus que c’est de leur faute, qu’ils trient mal ou qu’ils gaspillent. Que la solution à ce problème n’est pas de sortir des énergies fossiles mais d’être plus responsable et de correctement trier les emballages. Et en plus, ces petits gestes vont particulièrement reposer sur les épaules des femmes, plus ouvertes à la remise en cause et au discours culpabilisateur.”
Parce qu’elles gèrent déjà la plupart des tâches dans la sphère privée ?
“Ce sont les femmes qui gèrent les courses, le ménage et les lessives. Donc elles vont essayer d’acheter du sans emballage, vérifier quels sont les bons endroits où faire les courses, elles vont penser aux produits locaux, s’occuper de trier entre telle ou telle poubelle, faire le ménage avec des produits fait maison. Donc toute la charge mentale, le fait de choisir et de réfléchir à comment faire, c’est principalement les femmes qui vont le faire.”
Pourtant le sujet nous concerne tous…
“Oui, mais l’on détourne les gens de la politique vers des petits gestes individuels, d’une potentielle action politique vers une position de consommateurs, surtout les femmes. Cela donne une division très genrée de la lutte contre l’urgence climatique. Les hommes vont être sur des actions politique de terrain, organiser des manifestations, et les femmes vont être sur une action dépolitisée, dans la sphère privée. Plus de la moitié de la population (les femmes) se détourne de ce qu’il faudrait vraiment faire, c’est-à-dire s’engager politiquement pour le climat.
“Demander aux femmes de penser aux sacs réutilisables, aux bocaux, etc. cela devient une activité à plus que plein temps”
Bien sur qu’il faut faire attention à sa consommation mais la société aujourd’hui n’est pas prête pour ça. Au final, demander aux femmes de penser aux sacs réutilisables, aux bocaux, etc. cela devient une activité à plus que plein temps, complètement épuisante et qui prive les femmes de temps pour un engagement sur le terrain. C’est du temps qu’elles n’ont pas. Et celles qui font des Instragram sur le zéro déchet en font leur activité professionnelle.”
Alors il faut arrêter avec ces gestes du quotidien (tri, emballages, zéro déchet) ?
“Beaucoup de gens sont révoltés par ce discours un peu critique sur les petits gestes. Je ne dis pas qu’il ne faut pas les faire, mais je dis qu’il faut veiller à se garder du temps pour s’engager. Je pense aussi aux questions de la contraception et là, pour les femmes, c’est aussi une question de privation de la liberté de choix. Je vois beaucoup de femmes dire à d’autres d’arrêter les contraceptions hormonales ou les tampons parce que c’est polluant et de se tourner vers la coupe menstruelle. Quand c’est un choix, très bien, mais quand c’est une injonction… On peut peut-être se tourner vers Total avant de se tourner vers les femmes qui ont réussi à avoir plus de choix à force de lutte et un pan de l’écologie est en train de détruire ça au lieu de se tourner vers les ‘vrais’ coupables.”
#leplastiquenonmerci
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