Pourquoi le gaspillage ne pourra jamais totalement disparaître de nos habitudes de consommation
Par Mariel BluteauC'est le premier jour des soldes ! Mais avez-vous vraiment de faire de nouveaux achats ? "Oui", selon l'historienne de l'environnement Valérie Chansigaud (invitée chez Jean Lebrun) nous avons besoin de consommer... et même de gaspiller. Explications.
Valérie Chansigaud est historienne de l'environnement ; elle était invitée récemment au micro de Jean Lebrun dans La Marche de l'Histoire. Elle aborde notamment la question du gaspillage - avec une position décalée assez étonnante !
L'utilité du gaspillage
L'historienne cite le philosophe et économiste américain Thorstein Bunde Veblen (1857 - 1929) : pour lui, la consommation (et le gaspillage, qui est une forme de consommation) a une utilité sociale.
On gaspille, on consomme, pour avoir de la valeur sociale aux yeux des autres : « Je peux faire quelque chose qui ne sert à rien mais qui dépense de l'énergie, de l'argent… donc je montre mon statut ». Le gaspillage permet d'acquérir une valeur symbolique - c'est pourquoi il ne pourra jamais être totalement supprimé.
Durant sa vie, l'économiste Veblen s'est intéressé à la partie cachée de l'iceberg économique : les motivations des acheteurs. Il a notamment remarqué que, par sa consommation, l'élite gaspille du temps et des biens. Cette consommation ostentatoire permet d'afficher sa supériorité sociale.
Pour s'attirer et conserver l'estime des hommes, il ne suffit pas de posséder simplement richesse ou pouvoir ; il faut encore les mettre en évidence.
Dans sa Théorie de la classe de loisir (1899), Veblen prend pour exemple la différence de traitement concernant le lustre des vêtements (quand bien même il s'agit purement du même lustre !) :
- le lustre des chapeaux est prisé car cela montre qu'on les change souvent,
- le lustre des pantalons est au contraire méprisé parce qu'il indique qu'on n'en a pas changé depuis longtemps.
... autrement dit, dans un sens comme dans l'autre, il indique notre capacité à (sur)consommer !
Le fascinant "effet Veblen"
... également appelé "effet de snobisme".
Ce paradoxe a été mis en évidence par l’économiste dans Théorie de la classe de loisir (1899). Le principe, bien que contre-intuitif, est simple : plus le prix d'un bien augmente, plus sa consommation augmente également.
Ce curieux phénomène s'observe au moins dans les objets reflétant une certaine distinction sociale : la baisse de prix de ces produits se traduit par une baisse de l'intérêt qu'ils représentent aux yeux de leurs acheteurs potentiels. Et à l'inverse, la hausse du prix d'un produit peut le rendre davantage désirable même si, et surtout surtout si sa valeur pratique est faible (car sa possession traduit alors un rang social élevé). Ce sont, par exemple : les œuvres d'art, les voitures anciennes, les bijoux, etc.
Frugalité et niveaux de vie
L'historienne souligne : "Il faut prendre conscience de cela quand on critique la consommation en disant « on va simplement être dans une frugalité merveilleuse ». C'est compliqué à établir, surtout dans une société inégalitaire. Les personnes les plus riches auront beaucoup plus de facilité à tomber dans cette frugalité que les plus pauvres où là, c'est la question du « fin de mois » qui compte et pas la question d'économiser quelque chose qu'ils ne peuvent pas, de toutes façons, acquérir".
Aller plus loin
🎧 Écoutez Valérie Chansigaud au micro de Jean Lebrun
D'autres interventions de Valérie Chansigaud :
- "Roosevelt : le premier (et peut-être le seul) président américain à avoir eu une conscience écologiste"
- Quand Walt Disney pipotait ses documentaires animaliers
📖 Retrouvez quelques ouvrages de Valérie Chansigaud :
- Les combats pour la nature - De la protection de la nature au progrès social (Buchet-Chastel)
- La nature à l'épreuve de l'homme (Delachaux et Niestlé)
- L'homme et la nature. Une histoire mouvementée (Delachaux et Niestlé)