Pourquoi Louis XIV ne se lavait-il donc jamais ?

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Pourquoi Louis XIV ne se lavait-il donc jamais ?

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Louis XIV et les plans de la Maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr, Nicolas-René Jollain
Louis XIV et les plans de la Maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr, Nicolas-René Jollain
© Getty - Heritage Images / Contributeur

C'est la question posée par Camille, 9 ans, dans "Les P'tits bateaux". L'historien Georges Vigarello explique que, contrairement à ce qu'on pourrait croire, Louis XIV et ses semblables avaient une vraie passion pour la propreté ! Sauf qu'à défaut d'être corporelle, elle s'entendait vestimentairement parlant...

Elle fait partie de ces fausses (nombreuses) idées reçues de l’histoire. Surtout lorsqu'elles concernent les personnages historiques les plus emblématiques.

Certes, Louis XIV est loin d'être le champion du monde du barbotage et il serait faux de contester l'idée selon laquelle il aurait pris plus d'un ou deux bains dans sa vie... En revanche, pour l'époque, la propreté est loin d'être le dernier de ses soucis ! Simplement, la représentation de la propreté n'est absolument pas pensée de la même manière que l'on soit à la moitié du XVIIe siècle, en plein milieu de l'Empire romain, en plein XXIe siècle. 

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La réponse de Georges Vigarello, historien

GV : "C'est effectivement un phénomène qui peut donner le sentiment à ceux qui lisent les textes aujourd'hui, qu’à l'époque de Louis XIV, on ne se lavait pas. Mais en réalité, la question est beaucoup plus compliquée que cela parce que, oui, l'eau était effectivement un outil de lavements et de propreté dans l'Antiquité, ça l'était encore au Moyen Âge. Mais ensuite, il s'est produit quelque chose d'extrêmement complexe qui est difficile à expliquer : il y a eu, progressivement, une crainte de l'eau ! 

Ce à quoi il faut ajouter le fait qu'il y ait eu aussi une disponibilité plus difficile de l'eau dans les villes du XVIIe siècle tant elle circulait très difficilement au siècle de Louis XIV. 

Et puis ce qu'il faut absolument observer et sans quoi on ne peut comprendre comment ont évolué les critères de propreté, c'est qu'il y a une propreté qui ne passe pas du tout par les pratiques, les codes avec lesquels nous agissons aujourd'hui. Qu'est-ce que ça veut dire ? À l'époque, on s'essuie avec du linge qui est parfois imbibé d'acide pour mieux libérer les pores de la peau, des sortes de lingettes primitives ! Quant aux chemises, on les change très régulièrement. Par exemple, Louis XIV change de chemise dans la nuit parce qu'il transpire. 

Au contraire, il y a paradoxalement une exigence de propreté beaucoup plus grande que celle qui pouvait déjà exister au Moyen Âge, et qui porte cette fois sur le changement de linge, l'utilisation du parfum avec lequel on frotte le corps avec une certaine attention. 

Si bien que quelqu'un comme Charles Perrault, qui écrit les contes que l'on connaît, dans un de ses textes magnifiques qui s'intitule La querelle des anciens et des modernes, il dit qu'effectivement "avant les Romains avaient de l'eau, ils utilisaient les thermes alors qu'aujourd'hui, nous ne les utilisons pas". Mais que dit Charles Perrault ? Il dit "oui mais nous avons le linge et le linge que nous avons, dit-il_, vaut tous les bains du monde"._ Les acteurs de cette époque disent qu’ils ont le linge et peuvent le changer quand ils veulent ! 

Leur propreté à eux du coup n'est effectivement pas la nôtre mais ils conçoivent une propreté, leur modèle de propreté et ça, c'est fondamental ! 

Il n'est pas si propre pour les repères que nous avons et, en même temps, ce linge renvoie à la fois à l'intime, il y a une partie qui ne se voit pas et, en même temps, il y a une partie qui se voit. Et, au XVIIe siècle, ils tentent de montrer le linge de façon de plus en plus visible, de plus en plus étendue. Ce linge se met à cascader sur le corps. Il ressort au niveau des manches, il ressort au niveau des bottes.

Il y a une passion pour le linge qui signifie une passion pour la propreté !"

Pourquoi Louis XIV ne se sentait pas plus sale ni plus propre que nous aujourd'hui ?

Bien sûr, on se souvient des fameux thermes et bains publics qui jouaient un très grand rôle dans la vie en société pendant la Rome antique, et pour lesquels les Romains vouaient un véritable culte pour le moins récréatif ! L'eau tenait alors une grande place dans les mœurs gréco-romaines, mais non sans poser quelques interrogations quant aux comparaisons historiques qui ont souvent tendance à être établies d'une période à une autre. Trop souvent, elles ont tendance à être interprétées en fonction du regard présent.  

L’attention à la propreté est loin d'être uniforme et linéaire. La différence avec aujourd’hui réside dans le fait qu’avant de se référer à la peau, au XVIIe siècle, elle se réfère avant tout au linge qui est l’objet le plus immédiatement visible. Sa perception n'a cessé d'évoluer au gré des sensations corporelles et des images prêtées au corps

  • Un contact impossible avec l'eau, vectrice de maux et de maladies 

Durant les XVIe et XVIIe siècles, l’eau héritait de la vision négative transmise depuis le Moyen Âge selon laquelle elle contribuait à propager le fléau qui s'était abattu sur toute l'Europe : la peste. L'eau était donc altérée et était capable de s’infiltrer dans le corps pour le nuire, lui-même trop poreux et trop exposé. 

À tel point que de nombreux médecins dénonçaient, depuis le XVe siècle, tous les établissements ou structures où les corps étaient exposés à l'eau, propice à la diffusion de maladies contagieuses qui avilissent les vertus du corps. Depuis, le corps doit être protégé de toute atteinte et c'est ce qui rend la forme et la qualité des vêtements déterminants au XVIIe siècle ! 

C'est pourquoi la société d'Ancien Régime hérite de cet imaginaire pour lequel les bains exposent le corps aux dangers des transmissions contagieuses. 

  • Le bain, oui, mais thérapeutique 

Pendant le règne de Louis XIV, les seules raisons pour lesquels le Roi Soleil prendra le risque de prendre un bain c'est par la prescription de ses médecins pour des raisons essentiellement médicales : combattre le mal par le mal en quelque sorte. L'eau étant pernicieuse, elle va susciter un désordre général sur le corps pour mieux le soigner. 

  • L'eau comme élément décoratif

L’eau n’est que déséquilibre pour le corps humain (intérieur) mais sera glorifiée en tant que faste extérieur pour animer les jardins via les fontaines. Un instrument d'’ostentation pour rappeler paradoxalement l’ancienne Rome qui avait un usage beaucoup plus décomplexé de l'eau. 

  • La toilette sèche : se laver sans l'usage de l'eau

Toutes ces raisons justifient le règne de "la toilette sèche" : il s'agissait de frotter son visage, son corps avec un linge blanc au lieu de le laver à l'eau.

De fait, la propreté au XVIIe siècle est essentiellement attachée au linge et à la distinction apparente. Le corps n’est concerné que par la toilette sèche : les frottements, les parfums, les essuiements sans une seule goutte d'eau. Si on peut se permettre d’émettre un rapprochement avec aujourd'hui, on pourrait dire qu'à l'époque se laver, c'est se changer en permanence !

  • Quand la propreté se définit par la mode et les convenances

La lingerie est d'abord une matière noble, elle s’expose, et avec elle les rapports à la saleté, à la propreté de la peau changent. L’habit devient un objet de distinction (sociale) : il s’agit de hiérarchiser les personnes par l'habit, le linge qui caractérise ceux qui sont sales et ceux qui sont propres...

C'est la propreté du linge qui fait la propreté des personnes. C'est elle qui définit les attitudes et les comportements d'une personne. L’absence de parure reléguerait ainsi les classes les plus modestes à la saleté... C'est en somme le rang, la haute société qui fait la propreté...

Il faut attendre le XVIIIe siècle pour qu'une rupture des représentations ait lieu et que le bain, bien que limité aux classes les plus aisés, finisse par réconcilier l'homme avec l'eau. 

Aller plus loin

🎧 RÉÉCOUTER - Les P'tits bateaux, par Noëlle Bréham

📖 LIRE - Georges Vigarello, Le Propre et le Sale. L'hygiène du corps depuis le Moyen Âge, Seuil, 1985