Pourquoi Néandertal est-il prisonnier de notre propre "humanité" ?

Publicité

Pourquoi Néandertal est-il prisonnier de notre propre "humanité" ?

Une photo extraite du film "AO le dernier Neandertal" de Jacques Malaterre, 2010
Une photo extraite du film "AO le dernier Neandertal" de Jacques Malaterre, 2010
© AFP - COLLECTION CHRISTOPHEL © UGC YM / France 2 Cinema

Car si nous devions résumer la projection que notre imaginaire a trop longtemps cultivé à l'égard de Néandertal, ce serait avant tout celle d'un humain qui nous ressemblerait beaucoup trop par rapport à ce qu'il aurait véritablement été… Il faut donc réapprendre à "déshumaniser" notre approche pour mieux l'étudier.

Néandertal, c'est sans doute l'un des très grands marronniers de la recherche et de la vulgarisation scientifique. Il a vécu en Europe pendant 300 000 ans, et il a disparu définitivement il y a environ 30 000 ans, remplacé alors par notre espèce Homo sapiens. Même si la science est parvenue, en 2010, a effectuer en partie le séquençage du génome néandertalien, démontrant que nos génomes d'humains actuels étaient faiblement croisés avec le leur, nous avons tort de trop nous avancer et d'affirmer hâtivement que Néandertal vit toujours en nous. 

Invités de l'émission "La Terre au carré", au micro de Mathieu Vidard, le paléontologue Jean-Jacques Hublin et le chercheur au CNRS, spécialiste des sociétés néandertaliennes Ludovic Symmaque, expliquent pourquoi Néandertal est victime d'une trop grande "humanisation" (d'un trop grand rapprochement avec nos propres projections d'humains modernes) dans la façon que la société a d'appréhender aujourd'hui son parcours d'évolution. L'homme de Néandertal est encore prisonnier de nos projections humaines, d'hommes et de femmes modernes. 

Publicité

Ludovic Symmaque : "Néandertal, avant d'être un ensemble d'ossements retrouvés à partir du XIXe siècle, c'est une construction intellectuelle, qui émane de nos regards proprement contemporains. 

Aujourd'hui, Néandertal est comme une sorte d'épouvantail qu'il faut libérer de son triste rôle de mime de nos considérations humaines

Jean-Jacques Hublin : "On lui plaque depuis trop longtemps nos représentations et codes humains. Si l'évolution humaine nous dit quelque chose sur notre propre nature, celle de Homo Sapiens Sapiens, on oublie que notre époque a ses lubies, ses propres projections. Il faut apprendre à penser contre soi-même et contester nos projections fantasmées pour réhabiliter Néandertal". 

LS : "On a trop voulu le rendre humain. Inconsciemment, nous avons élevé Néandertal à nous-mêmes, on l'a contraint à ce que nous sommes, à ce mode de représentation en vogue depuis le XIXe siècle selon lequel il serait exactement comme nous, des humains pleins et entiers. Alors qu'en réalité, cette mauvaise approche nous empêche d'essayer d'explorer ce qu'il fut vraiment tant ils ont évolué dans des environnements extrêmement divergents de celui d'Homo sapiens. 

Ils ont sans doute dû développer leur propre manière d'être au monde

Et le faible croisement de nos gènes ne détermine rien de plus

Si l'ADN a révélé, il y a maintenant un peu plus de 10 ans, que nous portions en nous des gènes néandertaliens, et qu'une partie de Néandertal vit encore en nous aujourd'hui, cette dilution génétique ne doit pas sous-entendre qu'ils avaient exactement les mêmes rapports à la vie que nous autres Homo Sapiens : 

LS : "C'est encore une déviation que de supposer notre trop grande ressemblance au regard de nos similarités génétiques. On a tellement voulu qu'il n'ait pas disparu et qu'il soit toujours là qu'on s'est dit qu'on avait tous quelque chose en nous de Néandertal mais en réalité non, car l'interfécondité et les interactions potentielles entre les deux espèces n'attestent en aucune manière qu'ils aient cultivé une humanité pleine et entière telle que nous. Nous n'avons pas encore trouvé les preuves d'existence d'une éthologie néandertalienne (mécanismes de reconnaissance et de perception propres). 

J-J H : "En réalité la sélection naturelle a déjà depuis longtemps fait le ménage et la plus grande partie de l'ADN néandertalien présent chez les potentiels hybrides Homo Sapiens a été nettoyée.

"Il n'existe pas de culture néandertalienne" 

La culture reste de toute façon un concept inscrit dans l'histoire de la perception des humains (Homo Sapiens).

Il n'y a pas de culture Néandertalienne scientifiquement démontrable 

- Ludovic Symmaque

LS : "Et s'il y en avait une, les données disponibles relèvent d'objets qui ont appartenu à des époques beaucoup trop reculées, sur de longues générations, pour qu'une hypothèse soit faite". 

J-J H : "Il y a la reconnaissance d'objets communs pour Sapiens au Paléolithique supérieur mais on n'a pas encore déterminé l'existence d'une éventuelle culture ayant existé dans le monde de Néandertal (et encore une fois tel que nous humains, l'entendons aujourd'hui)

LS : "S'il n'y a pas d'art néandertalien, on se rend compte que dans ce que nous autres humains appelons 'l'artisanat', chaque objet est unique, et fait état d'une créativité absolument troublante. Si aujourd'hui, la définition d'une potentielle humanité néandertalienne avait été "la liberté d'être et la créativité", peut-être que l'humanité de Néandertal aura été plus humaine que nous ne le serons jamais, puisque nous autres Homo Sapiens nous définissons par notre standardisation, notre normalisation, nos manières répétées d'être au monde". 

À réécouter : L’évolution humaine
La Terre au carré
54 min

Aller plus loin

🎧 RÉÉCOUTER - La Terre au carré : Neandertal : qui était vraiment notre cousin ?