Présidentielle 2022 : face à Eric Zemmour, le changement de discours du Rassemblement national

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Présidentielle 2022 : face à Eric Zemmour, le changement de discours du Rassemblement national

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Marine Le Pen lors d'un meeting à Caudry en 2019 et Éric Zemmour le 12 novembre à Bordeaux.
Marine Le Pen lors d'un meeting à Caudry en 2019 et Éric Zemmour le 12 novembre à Bordeaux.
© AFP - Stephane Duprat, Sylvain Lefèvre

Nous avons épluché cinq mois de déclarations du Rassemblement national. Les premières questions sur Éric Zemmour à des élus du RN sont apparues au début de l'été, quand les signaux faibles montrant l'intérêt du polémiste pour la présidentielle se dévoilaient. Depuis, le ton a changé et s'est clairement durci.

L'opération de communication était bien préparée et elle a fonctionné à merveille. Le lundi 28 juin au matin, au lendemain du second tour des élections régionales, des milliers d'affiches "Zemmour Président" fleurissent sur les panneaux électoraux partout en France. Des photos circulent sur les réseaux sociaux, les médias s'en emparent. Éric Zemmour a une tribune quotidienne sur CNews, et le murmure d'une probable candidature commence à se propager. 

C’est la candidate du Rassemblement national à la présidentielle Marine Le Pen qui essuie les plâtres d’une première question le 24 juin sur les velléités présidentielles du polémiste. Cinq mois plus tard, son discours et celui de ses lieutenants vis-à-vis d’Éric Zemmour a clairement évolué. 

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Durant l'été : "J’ai du respect, il a beaucoup de talent"

Trois jours avant le second tour des régionales, Marine Le Pen est interrogée dans la matinale d'RTL. D’abord sur le scrutin et la possible désillusion du RN dans ces élections locales. Puis vient la question de la journaliste Alba Ventura : "Vous pensez qu’Éric Zemmour ira jusqu’au bout ?" "Je ne vais pas commenter quelque chose qui n’existe pas", répond sèchement la candidate. "Nous avons des divergences. J'attends de savoir ce qu'il propose. J’entends beaucoup de constats, peu de solutions". Cet élément de langage reviendra souvent dans la bouche du RN. La veille déjà, sur France Inter, Marine Le Pen avait évoqué le polémiste au détour d’une question : 

Les commentaires d’Éric Zemmour démontrent qu'il est devenu un candidat et qu'il n'est plus un éditorialiste. Je les trouve désobligeants et injustes. 

Quelques jours plus tard, le maire RN de Perpignan Louis Aliot s'attarde à son tour sur une candidature de l’ancien journaliste. Elle "ne nuirait pas plus que ça ​au Rassemblement national", assure-t-il à Sud Radio. "C’est un ami. Je pense qu’il a son rôle dans le débat. À la télévision, il agite des idées. C’est un polémiste, un auteur de talent, un intellectuel". Dans les médias, en ce début d’été, les premières réponses des membres du RN sont plutôt bienveillantes. Marine Le Pen considère sur Franceinfo qu’elle "n’a pas peur" d’Éric Zemmour. Elle ne le considère pas "comme un concurrents" mais plutôt comme "le concurrent des Républicains, de Nicolas Dupont-Aignan".

Le 3 juillet, sur BFM TV, Nicolas Bay tresse même des lauriers : "J’ai du respect, il a beaucoup de talent". "Nous tendons la main à tous les patriotes, Éric Zemmour en fait incontestablement partie, pour qu'ils mènent ce combat à nos côtés pour faire gagner nos idées." Des propos qu’il réitère le lendemain sur Europe 1.

"Avant et pendant l'été, Éric Zemmour était un potentiel candidat", analyse Erwan Lecoeur, spécialiste du populisme et de l'extrême droite française. "Il provenait d'un endroit, du monde médiatique, il est le bateleur et n'était pas implanté en politique. Il est probable qu'il n'ait pas été pris au sérieux par le RN."

Pour Erwan Lecoeur, la technique est alors la suivante : "Lorsqu'il y a un concurrent dans son propre camp, il faut tenter de faire un baiser qui tue, l'embrasser pour mieux l'étreindre et mieux le contraindre. Il ne fallait pas donner trop de place à Éric Zemmour."

À la rentrée : "Il ne fait pas de propositions et n'apporte pas de solution"

Dans son émission sur CNews, Éric Zemmour avait d'ores et déjà fait de Marine Le Pen l’une de ses cibles. Fin aout, il relance les hostilités : "Tout le monde a compris au RN qu’elle ne gagnerait jamais." Réponse de Louis Alliot : "C’est un propos inutile, on n’est pas dans le même combat. Le Rassemblement national et Marine portent un message de gouvernement." Sous-entendu : la probable candidature d’Éric Zemmour est une cause perdue.

Pourtant, le RN continue d’opter pour l’option câlinothérapie. "Plus il y a de candidats qui sont proches de nous, plus on aura de temps de parole", se réjouit le porte-parole du RN Julien Sanchez sur Public Sénat. "Plus on est rassemblés, mieux c'est. Si Éric Zemmour veut faire œuvre utile et battre Emmanuel Macron, le mieux est encore de se rassembler", ajoute le député Sébastien Chenu sur France Inter

Mais le discours du Rassemblement national engage sa mue. Pendant ce temps, le polémiste perd sa tribune sur CNews après la décision du CSA de décompter son temps de parole. Il entame une tournée pour faire la promotion de son livre. Dans les sondages, la courbe des intentions de vote croît sans cesse quand celle de Marine Le Pen chute. Elle perd des points et du terrain. Sébastien Chenu reconnaît sur Franceinfo "être un peu saoulé" par les questions incessantes sur Zemmour.

Jordan Bardella amorce alors la contre-attaque politique sur France Inter dès le 28 septembre. "Il fait que des constats, il ne fait pas de propositions et n'apporte pas de solution", clame le président par intérim du RN et conseiller régional. "Je regrette qu'Éric Zemmour passe d'avantage de temps à taper sur Marine Le Pen qu’à critiquer, attaquer, proposer des alternatives à Emmanuel Macron". "Je lui demande de ne pas se tromper d'adversaire", ajoute Louis Alliot, le maire de Perpignan.

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Cet automne : "Ni un adversaire ni un partenaire, mais un concurrent"

Si les amabilités sont terminées, le RN ne veut pas couper les pont_s. "On aura besoin inévitablement à un moment donné des uns des autres",_ précise Gilbert Collard. Nicolas Bay, le 25 octobre, est sur la même ligne : "Il faudra être capable de se rassembler, au second tour au moins, pour éviter qu'Emmanuel Macron soit cinq ans de plus à l'Elysée." En clair, le RN se voit déjà au second tour en mai prochain, et il aura besoin des votes du polémiste. "Je pense qu’Éric Zemmour ne peut pas gagner cette élection présidentielle", affirme le président par intérim RN Jordan Bardella.

Mais les attaques sont plus frontales. Éric Zemmour continue de pilonner le RN dans ses discours. Steeve Briois vient en aide à Marine Le Pen sur Twitter : "Un peu d’humilité et de chaleur humaine lui feraient du bien. Et de modestie également. Ses attaques répétées et déplacées contre Marine Le Pen sont inutiles." Le temps des mains tendues s’éloigne.

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Le 10 novembre, sur Europe 1, la candidate du Rassemblement national vise directement l’ancien journaliste : 

Il a le sentiment d'être le général de Gaulle réincarné, il est autocentré. Il n'a pas l'expérience que moi j'ai.

Elle regrette également l’absence de programme, pour tenter de se démarquer : "Il n'y a pas une seule mesure nouvelle, innovante, en matière d'immigration, à part celle sur les prénoms, qui est folklorique." Quatre jours plus tard, sur le plateau de Franceinfo, elle renchérit : "Ce n’est ni un adversaire, ni un partenaire, c’est un concurrent." Avant une nouvelle attaque dans le champ des idées : "Ces propositions sont plus immatures que celles que nous proposons." Pour décrédibiliser le discours de Zemmour, Jordan Bardella remarque que "les constats que fait Éric Zemmour sont des constats qu'on a fait, nous, il y a trente ans".

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Dernière sortie en date de Marine Le Pen, ce mardi matin sur France Inter. La posture est encore différente. "La violence et le mépris à mon égard sont incompréhensibles", déplore la candidate RN. "Ça finit pas être suspect cette volonté de n'attaquer que moi, il n'attaque jamais Emmanuel Macron", avant de rappeler que Zemmour "n’a aucune chance de battre" le locataire de l’Elysée. 

L'invité de 8h20 : le grand entretien
25 min

"Le Rassemblement national a compris que l'on entrait dans la campagne" décrypte le politologue Erwan Lecoeur. "Ils vont donc parler politique, faire de la politique, et maintenant, ça va cogner. C'est ça une élection présidentielle. C'est une bataille." Une bataille qui ne fait que commencer.