Procès 13-Novembre, jour 140 : “En réalité, Muhammad Usman ne fait pas partie de l'équation" clame son avocat

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Procès 13-Novembre, jour 140 : “En réalité, Muhammad Usman ne fait pas partie de l'équation" clame son avocat

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L'accusé Adel Haddadi à la Cour d'assises spéciale de Paris, le 4 novembre 2021 (archives).
L'accusé Adel Haddadi à la Cour d'assises spéciale de Paris, le 4 novembre 2021 (archives).
© Radio France - Valentin Pasquier

Les plaidoiries des avocats de la défense se poursuivent, aujourd’hui pour Adel Haddadi et Muhammad Usman, tous deux accusés d’avoir été prévus pour faire partie des commandos du 13 novembre 2015.

Ils ont longtemps été “les Autrichiens”, ces deux accusés pourtant pakistanais pour l’un et algérien pour l’autre, mais surnommé ainsi car c’est en Autriche qu’ils ont été arrêtés. Muhammad Usman et Adel Haddadi sont ces deux accusés qu’on peine à dissocier l’un de l’autre alors que pourtant ils sont si différents, ces accusés qui ont été un peu les oubliés du box, ces dix mois d’audience durant. Alors, et parce que leur culpabilité n’est pas remise en question, leurs avocats ont avant tenter de les faire exister, une dernière fois à ce procès. L’un, puis l’autre. Chacun pour lui-même.

Usman, une enfance dans une République islamiste

Muhammad Usman, tout d’abord. “L’oublié du dernier rang”, plaide son avocat Me Edward Huylebrouck, “l’accusé qui a été invité pour la dernière fois à prendre la parole le 25 janvier dernier. Il y a une éternité." C’est l’accusé dont son propre avocat, Me Karim Laouafi, a été lors de leur première rencontre, “étonné par la dureté de ses traits”, par sa méfiance aussi, “tout simplement parce qu'on ne venait pas du même monde." Car, poursuit Me Karim Laoufi au sujet de son client pakistanais et qui n’avait pas mis un pied en France avant son transfert dans le cadre du dossier des attentats du 13 novembre 2015, "Muhammad Usman a grandi dans une République islamiste, avec un enseignement religieux qui a pour but de faire naître des sentiments anti-occidentaux. Et vous devez prendre en compte ce conditionnement."

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Une "mission" à mener en Europe

Ce conditionnement et le chemin inverse qu’il a entrepris, assurent ses avocats. "Depuis six ans, Muhammad Usman pense. Et il a appris pas mal de choses. Déjà, il a appris à sourire. Il a appris à penser par lui-même et même contre lui-même. Muhammad Usman démontre que la réversibilité des pensées est possible. "C’est principalement cette évolution que ses avocats demandent à la cour de retenir à l’égard de Muhammad Usman. Car ils l’admettent sans aucune difficulté, sa culpabilité dans l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste ne fait pas de doute. "Je vais couper court à tout faux suspense, sourit même Me Edward Huylebrouck, nous n'allons pas plaider l'acquittement. Muhammad Usman a séjourné en Syrie, il y a un destin criminel en France quand bien même il est demeuré inachevé." Pas de doute, donc. Quoique.

Car si Muhammad Usman a reconnu avoir pris la route de l’Europe avec la mission assigné par l’Etat islamique de venir y commettre "une mission", cette mission n’était alors pas clairement définie. “Et c’est ce qui nous dérange avec cette thèse lancinante d’un lien indivisible avec les attentats du 13 novembre : comment peut-on le dire indissociable d'un événement qui s'est planifié à un moment où il était certain qu'il n'en ferait pas partie?"  Car Muhammad Usman, tout comme Adel Haddadi, a été arrêté sur la route des migrants et donc freiné dans sa progression vers l’Europe.

"Il ne fait pas partie de l'équation"

"Au moment où la date du 13 novembre est retenue, au moment où les cibles sont définies, Muhammad Usman est en pleine mer Egée et il n'y a aucune chance qu'il soit à Paris le 13 novembre. En réalité, il ne fait pas partie de l'équation." Et de poursuivre, en opposition avec les réquisitions du ministère public, “ce qu'on entend c'est : Muhammad Usman aurait du se faire exploser s'il n'avait pas été arrêté. Ici on ne prédit pas l'avenir, on refait le passé si, si , si , si…" "En quelque sorte , plaide Me Huylebrouck, Paris est mis en bouteille dans une boule de cristal." Ou, dans sa version belge et en hommage à Jacques Brel : "Il est faux de croire qu'il y avait une attente de Muhammad Usman à Bruxelles. A Bruxelles, on attend pas Muhammad Usman comme on attend vainement Madeleine pour prendre le tram 33 et manger des frites chez Eugène ".

Paris et Bruxelles dont Muhammad Usman n’aura jamais rien vu. Sauf l’Arc de Triomphe, un matin de ce procès, alors qu’il partait se faire soigner un oeil malade et que le fourgon de l’administration pénitentiaire tombé en panne, il a fallu le transférer dans un autre véhicule, plaide enfin Me Merabi Murgulia. Le temps de ce transfert, il a donc aperçu "un grand arc. Et j’espère, poursuit l’avocat, qu’il retiendra de la France qu’elle a un grand arc et une grande justice".

L'aide à l'identification de djihadistes importants

Adel Haddadi, ensuite. Pour lui aussi, l’enjeu n’est pas sa culpabilité, qu’il reconnaît. Mais cette peine maximale requise contre lui par le parquet national antiterroriste. Exempte de toute nuance et individualisation, selon ses avocats. Car oui, “Adel Haddadi vous dit qu'il est parti d'Algérie en février 2015, qu'il a rejoint la zone irako-syrienne, qu'il a accepté la mission d'aller commettre un attentat en France, qu'il a utilisé un faux passeport et qu'il a pu aller jusqu'en Autriche”, déclare d’emblée Me Simon Clémenceau. "Mais la réalité dans ce dossier c'est qu'Adel Haddadi a éclairé les investigations." En s’expliquant sur ce qui le concerne, tout d’abord. Mais en permettant aussi l’identification de djihadistes importants dans le dossier des attentats du 13 novembre. "Vous ne pouvez pas passer sous silence le fait qu'Adel Haddadi a contribué à l'identification du cerveau des attentats. Sa capacité à coopérer, à s’amender, cela change quelque chose."

Et sa consœur, Me Léa Dordilly, d’insister à son tour : "L'aveu, le désaveu, les regrets, la honte, le renoncement devraient être vus comme des petits pas. Vous devez considérer qu'en avouant, en dénonçant, en avouant sa honte, Adel Haddadi s'est affranchi de cet obstacle infranchissable qu'est l'engagement idéologique."

Lui, Adel Haddadi, dont elle rappelle le parcours en Algérie, la pauvreté familiale, les 40 mètres carrés d’appartement partagés à dix. Adel Haddadi dont elle plaide aussi, expérience de Stanley Milgram à l’appui, “ le ressort de l'agir chez Adel Haddadi c'est une faiblesse de caractère, pas une détermination sans faille ”. Et peut-être, poursuit-elle, “ qu'il faut accepter qu'Adel Haddadi ne soit pas à la hauteur des crimes que vous jugez et qu'il n'a pas non plus été à la hauteur de la mission qui lui a été confiée. Cette mission, il a d'ailleurs été aussi incapable de la refuser que de la remplir." Adel Haddi pour lequel elle conclut encore : "Dire le droit et la justice c'est pas seulement punir. Ce n'est pas vrai. C'est nuancer, moduler, adapter. C'est soupeser la peine. ” Une peine qu’elle espère inférieure à la peine maximale.