Procès 13-Novembre, jour 142 : "Pour juger, il faudra aussi vous mettre à la hauteur de l'accusé !"
Par Sophie Parmentier
Ce sont les trois avocats de l'accusé Ali El Haddad Asufi qui ont plaidé aujourd'hui. Trio complémentaire et plaidoiries éloquentes. Ils ont demandé l'acquittement pour celui qu'ils défendent et contre qui le parquet national antiterroriste a requis seize ans de réclusion criminelle.
C'est Jonathan de Taye qui commence. Il est le jeune avocat belge d'Ali El Haddad Asufi, qu'il connaît depuis plusieurs années. Il est un jeune ténor au visage jovial, barbe et cheveux roux, qui a souvent plaisanté durant ces neuf mois d'audience, et il entame sa plaidoirie avec humour. Il ne va pas tarder à se lancer sur "le volet de l’homme au vélo volé". ll sourit. "J’essaye de détendre l’atmosphère, mais ça ne me fait pas rire car un homme est dans le box pour cette mascarade." La mascarade qu’il dénonce, c’est l’enquête belge. Celle menée d’abord par la juge Panou, que l’on a vue à cette barre. Mesuré, Jonathan de Taye dit qu’il ne dénonce pas pour autant “un complot policier”, mais regrette que les enquêteurs bruxellois aient tant été sous pression, qu’ils dormaient parfois au bureau, le clavier d’ordinateur calqué sur la joue. Il y a donc eu selon lui une manque de rigueur regrettable. Et il dit que la juge Panou s’est “fourvoyée, enlisée” dans cette affaire à l’encontre d’Ali El Haddad Asufi.
Mascarade
À l’origine, donc, un co-accusé, Krayem, qui évoque un réseau d’armes à Rotterdam, à l’époque où il parlait encore en audition. Ensuite, un homme accusé d’être un trafiquant d’armes international. Ali El Haddad Asufi, son contact. Mais ledit trafiquant “je l'imagine sur son vélo volé, avec des kalachnikovs dans sa besace,” ironise Me de Taye. Il s’emporte contre le fait que son client soit dans le box. Il devrait être au procès de Paris bis, clame-t-il. Procès parallèle, pour un autre cercle d’hommes soupçonnés d’avoir été de petites mains de la cellule terroriste. Les peines encourues n’ont rien à voir. Me de Taye cite un accusé proche d’El Haddad Asufi contre qui on a requis deux ans de prison. Huit fois moins donc que les 16 ans de réclusion requis la semaine dernière par le parquet national antiterroriste.
L’avocat se moque gentiment du PNAT. Il donne une image. "Moi, si j’entends des sabots dans un parc, je pense d’abord à des chevaux, car on n’est pas dans la brousse, mais même dans un parc à Paris, l'accusation voit des zèbres partout !" Rires dans la salle. C’est donc à tort que son client serait jugé ici pour association de malfaiteurs terroriste, accusé d’avoir cherché à se procurer des armes à Rotterdam. Pas de preuve, plaide-t-il. Et d’ailleurs les avocats généraux ont reconnu que des 31 chargeurs de kalachnikovs du 13-Novembre, on ne sait d’où ils provenaient. Me Taye concède que son client a trafiqué du stup, mais pas des armes, jure-t-il. Pourtant, l'accusation se dit que ce voyage à Rotterdam, lors duquel Ali El Haddad Asufi est censé aller chercher de mystérieuses "Clio". Ce qui pour les enquêteurs resterait un nom de code pour des armes.
"Rangez les religions au placard et jugez !"
Me Menya Arab-Tigrine enchaîne, et se désole qu'Ali El Haddad Asufi soit ici, "sali" par le mot "terroriste". Elle compare l'immense salle d'audience à "une boîte à cauchemars". Entame une plaidoirie idéologique. "Nous partons d'une croyance pour arriver à un crime, religion et droit. Vous ne maîtrisez pas le mouvement", dit-elle à la cour. "C'est quoi la radicalisation ? C'est qui ? C'est où ? C'est quand ? " Et elle s'insurge que son client soit dans le box, "à la place d'Ibrahim El Bakraoui". L'un de ces logisticiens en chef des attentats du 13-Novembre est mort en kamikaze le 22 mars 2016, lors des attentats de Bruxelles. Il était l'ami d'Ali El Haddad Asufi. Un ami multi-délinquant, qui est devenu islamiste radical, et a fini par "sacrifier" El Haddad Asufi, plaide l'avocate, en le mêlant à son insu à cette cellule terroriste.
Elle prétend que son client ne savait rien de cette cellule, et qu'il n'a pas perçu l'embrigadement d'Ibrahim El Bakraoui, passé des braquages au terrorisme de masse. Elle fait un parallèle : "on ne part pas du principe qu'un homme en soutane avec une croix est un pédophile parce qu'il y en a, c'est pareil pour nous !" Ce n'est donc pas parce qu'il y a eu des musulmans radicalisés qui ont prêté allégeance à Daech qu'Ali El Haddad Asufi a pu se douter que son ami musulman allait devenir terroriste, en somme. "Rangez les religions au placard, et jugez !", conclut-elle.
Le trio d'avocats a plaidé l'acquittement pour Ali El Haddad Asufi
Vient le tour de Me Martin Méchin. "Pour juger, il faudra aussi vous mettre à la hauteur de l'accusé", lance-t-il aux magistrats de la cour. "Ce que je vous propose, d'imaginer un immense tamis, tamis de l'audience, avec les témoignages, la parole des accusés. Parce que pendant six ans, comme des orpailleurs, les enquêteurs ont cherché la pépite d'or qui ferait tomber Ali El Haddad Asufi". Mais l'avocat martèle qu'ils n'ont trouvé aucune pépite. Juste "des poussières d'indices". Il propose sa "clé de lecture" pour comprendre Ali El Haddad Asufi, qui pour lui ne devrait être poursuivi que pour recel de malfaiteurs. L'avocat dit que pendant neuf mois, on a "cherché une clé pour le dossier", avec les 20 accusés ; lui ne veut montrer qu'une "clé unique, celle qui ne sert qu'à Ali".
Ali El Haddad Asufi ne se serait pas douté que son ami Ibrahim El Bakraoui voulait se rendre en Syrie, le jour où il lui a demandé de l'accompagner à l'aéroport pour un départ en Turquie. La Turquie n'avait rien de louche, plaide-t-il, pour ce voyage de juin 2015 qui va finalement se terminer dans un centre de rétention. Un mois plus tard, juillet 2015, Ibrahim El Bakraoui part en Grèce, et emmène durant 24 heures Ali El Haddad Asufi. Durée du séjour qui étonne les enquêteurs. Ce voyage express n'était-il pas destiné à rencontrer Abaaoud, passé par la Grèce de retour de Syrie ? Ou même aller en Syrie ? Me Méchin hausse les épaules et ne comprend pas qu'on en vienne à soupçonner la Grèce. Il plaide aussi l'absurdité d'avoir voulu à aller en Syrie cet été 2015, quand les membres des commandos commençaient à se diriger vers l'Europe. Mais Ibrahim El Bakraoui aurait pu tout aussi bien faire un aller-retour pour chercher une information, un ordre ou même enregistrer une vidéo de revendication. À la fin de l'été en tout cas, il y a un appartement qu'El Haddad Asufi cherche pour son ami. Un appart où on jouait à la Playstation et où on mangeait des pizzas. Appartement conspiratif, mais là encore, El Haddad Asufi ne s'en serait pas douté, et il n'y serait d'ailleurs quasiment plus passé à partir d'octobre.
Ali El Haddad Asufi l'ami "sacrifié" ? Me Méchin demande à la cour de se "remettre à la hauteur" de cet accusé. Et il termine ainsi. "Je suis désolé de vous le dire, mais vous ne rentrerez pas dans l'Histoire. À l’issue de ce verdict, c’est simplement l’histoire avec tout petit H, l’histoire de Ali El Haddad Asufi, que vous aurez jugé." Et le trio d'avocats réclame l'acquittement. Dans son box, Ali El Haddad Asufi, chemise blanche, cheveux gominés en arrière, les a écoutés attentivement. Ainsi s'achève cette première semaine de plaidoiries de la défense. Reprise lundi à 9h30 -exceptionnellement-, pour la défense des accusés Osama Krayem puis Yassine Atar. Dernières plaidoiries le 24 juin avec les avocats de Salah Abdeslam. Verdict le 29 juin.
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