Procès 13-Novembre, jour 144 : "On vous a réclamé le prix du sang !"

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Procès 13-Novembre, jour 144 : "On vous a réclamé le prix du sang !"

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Plaidoirie de Me Orly Rezlan, qui défend Mohamed Bakkali
Plaidoirie de Me Orly Rezlan, qui défend Mohamed Bakkali
© Radio France - Valentin Pasquier

Au 144e jour d'audience, ce sont les avocats de Mohamed Bakkali qui ont plaidé. Me Orly Rezlan, qui défendait déjà cet accusé au procès du Thalys, a choisi la sobriété, avec brio.

Durant les neuf mois de ce procès des attentats du 13-Novembre, Me Orly Rezlan s'est souvent levée pour l'homme qu'elle défend : Mohamed Bakkali, accusé qui en impose dans le box et que les avocats généraux considèrent comme une "pièce maîtresse qui concentre toutes les attentions de la cellule et qui jusqu'au bout, a impressionné par sa maîtrise, son calme, son niveau de langage". Un niveau que l'on a pu jauger lors de son précédent procès, le procès de l'attentat contre le Thalys, lors duquel il a été condamné à 25 ans de réclusion ; il a fait appel de ce verdict. Un niveau que l'on a également perçu à ce procès des attentats de Paris et de Saint-Denis, lors de son interrogatoire de personnalité. L'accusé Bakkali n'avait pas hésité à reprendre le parquet national antiterroriste d'une voix grave, et il avait fait impression en racontant les cours de sociologie en détention. Puis, en janvier dernier, Mohamed Bakkali s'est refermé derrière son droit au silence, refusant de répondre à ses interrogatoires sur les faits. "Et son droit au silence, disons-le, ne lui a pas été favorable, il a exacerbé toutes sortes de fantasmes", commence à plaider Me Rezlan, d'une voix très posée, mains derrière le dos.

"Je ne vais pas me faire ventriloque"

Elle dit que si Mohamed Bakkali s'est tu à ce procès, "c'est parce qu'il est ressorti du procès du Thalys avec un sentiment d'impuissance, il a compris que le doute ne profite pas à l'accusé". Elle plaide qu'on lui prête des calculs et des stratégies, mais rappelle que Mohamed Bakkali s'est beaucoup exprimé pendant l'instruction, qu'il avait alors fait des déclarations contre Daech, "mais ici qui l'aurait cru ?" Me Rezlan précise qu'elle ne veut pas se transformer en "ventriloque des déclarations qu'il n'a pas faites", mais elle veut essayer de "faire un pont entre lui et vous". Et elle reprend les éléments qu'on lui reproche ; elle tente de les démonter un à un.

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D'abord sur cette fausse carte d'identité "Castillo" sur laquelle on le reconnaissait sous une grossière perruque ; cette carte n'a pas été utilisée directement pour la cellule, affirme l'avocate. Elle souligne ensuite que Bakkali n'a "pas été sollicité pour aider Ibrahim El Bakraoui à se rendre en Syrie", à la différence d'autres accusés du box. Or, Bakkali était très ami avec l'un des frères El Bakraoui, logisticiens en chef des attentats du 13-Novembre, tous les deux morts en kamikazes dans les attaques du 22 mars 2016 à Bruxelles. Pour elle, Mohamed Bakkali n'est absolument pas "le 3e frère", ainsi qu'on a tenté de le présenter.

Elle plaide que Bakkali est "entré dans cette bande organisée par une voie détournée", "n'a rien mis en place", "n'est intervenu dans les planques qu'au troisième retour". Comprenez le troisième retour des commandos rapatriés de Syrie en passant par la Hongrie. Le troisième, en l'occurence, correspondait au trio qui frappera ensuite le Bataclan. Elle poursuit, toujours avec ce même ton tranquille qui n'élude pas, mais minimise. Elle martèle que les locations de voiture imputées à Bakkali n'interviennent qu'au moment du 4e retour, celui du duo Krayem et Ayari, entre autres. Ainsi en arrive-t-elle à cette démonstration : "Bakkali n'est qu'un maillon, certes utile mais qu'on peut remplacer". Sans Bakkali, les attentats du 13-Novembre auraient aussi pu être organisés, selon Me Orly Rezlan.

"Bakkali est dedans et dehors, dans la zone grise"

Aussi méthodiquement que tranquillement, elle poursuit. Me Rezlan assure que les frères El Bakraoui échangent avec Bakkali sur une ligne téléphonique normale, non clandestine, ce qu'Ibrahim El Bakraoui n'avait pas fait avec Abdelhamid Abaaoud ou Brahim Abdeslam, deux des terroristes du 13-Novembre. L'avocate en conclut que dans cette cellule, Bakkali était "à la fois dedans et dehors, dans ce qu'il faut appeler la zone grise". Elle s'insurge contre l'accusation qui le poursuit pour complicité d'assassinats alors que pour elle, juridiquement il y a à peine l'association de malfaiteurs terroriste le concernant. Elle rappelle que pour être impliqué dans une AMT, il faut avoir conscience du but terroriste de la cellule. Concernant Bakkali, l'accusation pense donc qu'il connaissait carrément le projet. "Mais quel est le point de bascule entre le but et le projet ?", interroge Me Rezlan.

Elle plaide habilement d'autres arguments. Elle fait remarquer que lorsqu'Abdelhamid Abaaoud s'est échoué dans un buisson d'Aubervilliers, il n'a pas contacté Bakkali. En quoi serait-il une pièce maîtresse alors ?, interroge-t-elle. Puis elle rappelle que Bakkali s'est rendu de lui-même après les attentats. Une reddition en trompe-l'oeil pour les avocats généraux, qui pensent que c'était pour mieux protéger la cellule. Me Rezlan réplique que "chez Daech, on ne se présente pas à la police, on met un chapeau et on se planque !"

"Ne pas briser les digues de l'Etat de droit !"

Subtilement, Me Rezlan demande pourquoi Mohamed Bakkali a décidé d'aider les frères El Bakraoui ? Lui qui était un homme "intelligent, marié, père de famille, qui avait un bébé, une petite fille qui a aujourd'hui 7 ans". Elle met en avant ce que "la laïcité individualiste" ne permettrait pas de comprendre. Elle plaide qu'il a agi par mauvaise conscience religieuse, pour aider des "frères" en somme, "il a été sensible au discours de l'islam". Et elle pose cette question cruciale : si les Bakraoui ne s'étaient pas fait exploser à Bruxelles et s'ils étaient dans ce box à ce procès, aurait-on aussi réclamé une peine de réclusion à perpétuité contre Mohamed Bakkali ?

Elle affirme que la peine perpétuelle n'aurait eu "aucun sens". C'est son unique reproche au parquet national antiterroriste. "On vous a réclamé le prix du sang !", lance-t-elle aux magistrats de la cour d'assises spécialement composée. Mais la justice ne doit pas être "impitoyable", "juste", "équitable", clame Orly Rezlan, toujours aussi posée. Et elle conclut ainsi sa brillante plaidoirie : "Si au nom de l’émotion suscitée par ces crimes, on en arrive à condamner à l’égal de l’assassin, le complice d’actes préparatoires, le loueur de voitures et de maisons, alors il faudra admettre que l’Etat de droit aura fondu sous le choc !" Et elle demande à la cour de "ne pas briser les digues de l'Etat de droit." Sur les bancs des avocats de parties civiles, plusieurs de ses confrères saluent cette plaidoirie.

Enfin, c'est Me Abraham Johnson qui a le dernier mot. L'autre conseil de Mohamed Bakkali choisit d'être très bref. Et ne met vraiment en exergue qu'une seule phrase prononcée par Bakkali devant un juge d'instruction français. Le juge lui avait demandé ce qu'il pensait des attentats. Et Bakkali avait alors répondu : "C'est une abomination".

Plaidoirie Me Abraham Johnson pour Mohamed Bakkali
Plaidoirie Me Abraham Johnson pour Mohamed Bakkali
© Radio France - Valentin Pasquier

Les plaidoiries de la défense reprendront ce mercredi à 12h30 pour l'accusé Sofien Ayari. Le verdict reste attendu le 29 juin.

Retrouvez tous nos articles consacrés au compte-rendu, jour par jour, du procès des attentats du 13 novembre 2015 ici .