Procès de l'attentat à Saint-Étienne-du-Rouvray : "Le costume est trop grand pour moi", lance l'un des accusés

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Procès de l'attentat à Saint-Étienne-du-Rouvray : "Le costume est trop grand pour moi", lance l'un des accusés

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Le procès de l'assassinat du prêtre Jacques Hamel s'est ouvert lundi 14 février à Paris
Le procès de l'assassinat du prêtre Jacques Hamel s'est ouvert lundi 14 février à Paris
© AFP - Benoit PEYRUCQ / AFP

Le procès de l'attentat de l'église de Saint-Étienne-du-Rouvray s'est ouvert lundi devant la cour d'assises spéciale, à Paris. Les accusés contestent avoir été au courant du projet d'attentat.

Guy Coponet a posé une photo de son épouse, devant lui, sur la table des parties civiles. Janine Coponet était présente dans l'église de Saint-Étienne-du-Rouvray, près de Rouen, ce 26 juillet 2016, lorsque, à la fin de la messe, les deux terroristes Abdel-Malik Petitjean et Adel Kermiche ont tué le prêtre Jacques Hamel à coups de couteau, et gravement blessé le paroissien, 87 ans à l'époque des faits. Près de six ans plus tard, le nonagénaire est seul face aux trois accusés présents dans le box : Janine Coponet est décédée l'an dernier. Parfois, cet homme aux cheveux blancs, légèrement courbé, tourne son regard vers ce souvenir sur papier glacé.

Comme les autres parties civiles, Guy Coponet aimerait "comprendre". Comprendre comment deux hommes de 19 ans ont réussi à organiser un attentat sans être repérés. Comprendre qui aurait pu les aider dans leur projet macabre. Si quelqu'un les y a encouragés. Et comment deux jeunes français dont le parcours de vie semblait plutôt banal en sont arrivés à tuer un prêtre en pleine messe et gravement blesser un fidèle. Des interrogations que partage notamment Roseline Hamel, la sœur du prêtre assassiné. Assise au premier rang des parties civiles, cette octogénaire élégante fait directement face aux accusés, dont elle dira à la suspension d'audience qu'ils ont joué un rôle dans la mort de son frère, mais sont aussi "victimes du terrorisme".

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Le "fantôme" de l'audience

Pas sûr que l'audience qui s'est ouverte ce lundi matin devant la cour d'assises spéciale, à Paris, apporte les réponses espérées. En réalité, ils devraient être quatre, dans le box des accusés, mais Rachid Kassim, soupçonné d'avoir incité les assaillants à passer à l'acte, est présumé mort en Irak. "Son fantôme plane sur cette audience", note un avocat à l'ouverture du procès. Ils sont donc trois, dans le box.

À gauche, Yassine Sebaihia, 27 ans, chevelure fournie, lunettes, et pull marron. Au centre, Farid Khelil, 36 ans, petite queue de cheval, polo blanc sous un pull gris. À droite, Jean-Philippe Steven Jean-Louis, 25 ans, d'origine haïtienne, cheveux rasés, chemise bleu-gris. Trois hommes qui ne sont pas poursuivis pour "complicité", mais pour "association de malfaiteurs terroriste", pour laquelle ils encourent trente ans de réclusion. La loi française précise que l'on peut avoir à répondre de ces faits sans avoir eu une connaissance détaillée du projet d'attaque.

Dans la salle Voltaire du vieux Palais de justice, surchauffée, l'après-midi est consacré à la personnalité des accusés, hors de leur éventuel engagement religieux. Farid Khelil, 36 ans, d'abord. Le cousin d'Abdel-Malik Petitjean, l'un des deux terroristes. En détention provisoire depuis le 31 juillet 2016, il conteste les faits qui lui sont reprochés, ainsi que toute velléité de départ en Syrie. L'accusé donne de lui l'image d'un homme volage, allant de conquête en conquête, "des hommes et des femmes". Se présentant comme un gros consommateur de cannabis, il en plaisante : "Je dis que je suis en sevrage, mais c'est ce qu'on dit quand on n'arrive pas à arrêter. Ça fait 24 ans que je suis en sevrage.

Une vie sentimentale "agitée"

Élevé par une mère "fille de Harki", qui lui donne "une très bonne éducation, tournée vers l'intégration". Selon l'accusé, à la maison, la famille ne parle pas arabe, ne discute pas de religion, "on vit à la française" : "C'était normal pour moi de manger de tout, mon beau-père buvait du bon Beaujolais à table."

Devenu chauffeur-routier, il se syndique à la CFDT, puis la CGT. Écoute les cours du Collège de France sur France Culture, dans son poids-lourd, ainsi que les émissions d'Histoire sur France Inter. Puis son employeur est placé en liquidation, soupçonné d'avoir eu recours à de l'optimisation fiscale. "C'est légal, mais c'est pas vraiment moral, si vous voyez la différence, monsieur le Président." L'homme de Loi hoche la tête.

Farid Khelil est loquace. S'il se dit, au début, un peu "perturbé" par cette prise de parole, il semble vite apprécier l'attention qui lui est consacrée. "Attendez, laissez-moi terminer !", lance-t-il à l'une des avocats générales, qui tente de reprendre la parole. Père de deux enfants, dont une fille de seize ans qu'il ne "connait pas", il décrit une vie sentimentale "agitée". En dit moins sur son père, un absent, lui aussi. Il a quitté le foyer lorsque l'accusé avait six ans, il dit avoir essayé de s'en rapprocher, et, avec lui, de la religion, qui semblait pouvoir être un lien. Farid Khelil se souvient de ce jour "inouï" où, après ses 18 ans, son père lui propose de prendre la nationalité algérienne, "l'un des seuls cadeaux qu'il m'a fait".

"C'était pas son délire"

Le procès d'assises est ainsi fait que les débats sur la personnalité tournent autour des faits, sans jamais s'y plonger. Le lien avec Abdel-Malik Petitjean est donc abordé rapidement. Un cousin que Farid Khelil dit avoir vu rarement : "Je ne le connaissais pas. On s'est vus une fois petits, puis je l'ai revu à l'enterrement d'un oncle, je l'ai logé chez moi." À l'en croire, la greffe ne prend pas : "On buvait pas mal, on fumait, lui, c'était pas son délire." Il se souvient d'une nouvelle visite en mai. Mais semble avoir oublié celle que lui a rendue son cousin en juillet, quelques jours avant l'attentat. 

Pas un mot, non plus, règle des assises oblige, sur les symboles du groupe État islamique et les documents de propagande jihadiste retrouvés à son domicile. Ou ces échanges avec son cousin, dans lequel il se dit "prêt à accueillir n'importe quel soldat d'Allah". Le débat viendra plus tard. Mais Farid Khelil l'a déjà bien fait sentir : hors de question d'assumer une quelconque responsabilité dans l'attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray. "Le costume est trop grand pour moi", dit-il, à la cour d'assises.