Procès de l'attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray : qui sont les quatre accusés ?
Par Ariane GriesselLes deux terroristes qui ont assassiné le père Jacques Hamel et gravement blessé un paroissien le 26 juillet 2016, ont été abattus par les forces de l'ordre. Quatre hommes sont néanmoins jugés à compter de ce lundi 14 février devant la cour d'assises spéciale de Paris.
Près de six ans après l'assassinat du père Jacques Hamel, dans son église à Saint-Étienne-du-Rouvray, près de Rouen, le procès s'ouvre ce lundi devant la cour d'assises spéciale, à Paris. En l'absence des deux assaillants, Abel-Malik Petitjean et Adel Kermiche, tués sur place par les forces de l'ordre, les parties civiles devront se tourner vers les trois accusés présents dans le box pour espérer obtenir des réponses à leurs questions sur l'attentat du 26 juillet 2016. Le quatrième accusé, Rachid Kassim, sera absent : les autorités américaines pensent que ce ressortissant français a été tué à Mossoul, en Irak, en février 2017. Tout laisse pourtant penser qu'il a joué un rôle majeur dans l'attaque de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray.
L'absent : Rachid Kassim, propagandiste de l'EI, tué à Mossoul
Né le 24 janvier 1987 à Roanne (Loire), Rachid Kassim a, selon l'armée américaine, été tué par une frappe de drone à Mossoul (Irak) le 8 février 2017. Cependant, aucune preuve de sa mort n'a pu être apportée à ce stade, l'action publique à son encontre ne peut donc être considérée comme éteinte. Il est renvoyé devant la cour d'assises spéciale pour "participation à une association de malfaiteurs criminelle", "complicité d'assassinat en bande organisée", "complicité de tentative d'assassinat en bande organisée" et "complicité de séquestration en bande organisée".
Le jeune homme quitte la Loire pour rejoindre le groupe État islamique en Irak et en Syrie en 2014, avec son épouse et leurs enfants. À la suite d'une blessure, il se voit confier le rôle de propagandiste, à destination des jihadistes francophones, et appelle régulièrement les abonnés à ses chaînes de la messagerie cryptée Telegram à mener des actions terroristes en France "dans le cœur de la bête".
Rachid Kassim est soupçonné d'avoir, ainsi, incité Adel Kermiche et Abel-Malik Petitjean à passer à l'acte dans l'Hexagone. L'enquête sur l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray a révélé l'existence de plusieurs échanges privés entre les trois hommes. Ayant reçu une vidéo d'allégeance au chef de l'État islamique, Abou Bakr Al Baghdadi, enregistrée par Abel-Malik Petitjean, Rachid Kassim lui répond, dans un message audio : "c'est magnifique (…), qu'Allah fasse de toi une flèche dans le cœur des kouffars [mécréants, ndlr] (…), dès que t'as ce qu'il faut, frère, tu déclenches la tuerie, tu fais un séisme en France".
Perds pas de temps, tue-les minutieusement
Plusieurs autres messages d'encouragement suivront, ainsi qu'un échange sur les cibles potentielles : synagogue, bar, terrasse de café, boîte de nuit... "Perds pas de temps (…), tue-les minutieusement", conseille Rachid Kassim. Selon un témoin, il s'est ensuite dit "très fier" d'avoir été l'instigateur de l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray.
Le nom de Rachid Kassim apparaît également dans d'autres dossiers terroristes. Le jeune homme est notamment visible dans une vidéo dans laquelle il se félicite de l'attaque au camion sur la promenade des Anglais, à Nice, le 14 juillet 2016, avant d'exécuter un prisonnier. Son nom est aussi cité dans l'affaire "des bonbonnes de gaz", ces explosifs retrouvés dans une voiture dans le centre de Paris, en septembre 2016. Rachid Kassim est soupçonné d'avoir été en contact avec le commando, et de l'avoir "téléguidé" depuis la Syrie. C'est également à lui que Larossi Abbala, auteur du meurtre de deux policiers à Magnanville (Yvelines) le 13 juin 2016, envoie sa vidéo de revendication.
Farid Khelil, cousin de l'un des deux assaillants
Les trois autres accusés sont renvoyés devant la cour d'assises spéciale pour "association de malfaiteurs criminelle". Ils risquent jusqu'à trente ans de réclusion.
Parmi eux : Farid Khelil. Agé de 36 ans, il est le cousin d'Abel-Malik Petitjean, l'un des deux assaillants. Il est en détention provisoire depuis juillet 2016. Le trentenaire se décrit comme un pratiquant modéré, consomme de l'alcool et du cannabis, et dit condamner l'idéologie du groupe État islamique. Plusieurs témoins affirment cependant qu'il a intensifié sa pratique religieuse au contact de son père, avec lequel il renoue contact, et d'Abel-Malik Petitjean. Son ex-femme le décrit comme "influençable ". Elle dit avoir remarqué qu'il a installé un drapeau de l'Etat islamique en fond d'écran de son téléphone portable.
L'enquête sur l'attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray révèle l'existence, à son domicile, de dessins représentants des symboles du groupe État islamique, ainsi que sa participation à des fils de discussion sur Telegram dans lesquels apparaissent également Rachid Kassim, Adel Kermiche ou Jean-Philippe Steven Jean-Louis. Plusieurs messages audios enregistrés par Adel Kermiche, dans lesquels le futur terroriste appelle à frapper en France sont également retrouvés dans son téléphone.
Dans un de ces échanges, cryptés, alors qu'Abel-Malik Petitjean lui raconte son échec de départ en Syrie, Farid Khelil lui répond : "j'aimerais bien partir aussi". Le trentenaire noue alors le contact avec Jean-Philippe Steven Jean-Louis, en vue de ce que la justice soupçonne être une tentative de départ. Farid Khelil est également soupçonné d'avoir sollicité des conseils auprès de Rachid Kassim, ainsi que des informations sur les conditions de passage de la frontière turque vers le territoire syrien.
Deux semaines avant l'attaque à Saint-Etienne-du-Rouvray, Abel-Malik Petitjean se rend chez son cousin, en Meurthe-et-Moselle. Quelques jours auparavant, ce dernier lui a écrit être "prêt à accueillir n'importe quel soldat d'Allah". Farid Khelil affirme avoir voulu le séduire afin qu'il l'aide à réaliser des travaux chez lui, et raconte que son cousin s'est montré agacé par sa consommation d'alcool, et sa façon de faire la prière. Il assure avoir pris ses signes de radicalisation "avec légèreté ", y voyant une forme de provocation.
Boum crack badaboum
Le 25 juillet 2016, veille de l'attentat, Abel-Malik Petitjean écrit à Farid Khelil pour lui signaler qu'il est près de Paris et qu'il prévoit " de faire quelque chose", un "boum crack badaboum". "Qu'Allah te facilite", lui répond Farid Khelil, qui expliquera par la suite ne pas avoir pris ces propos au sérieux, jugeant l'expression "badaboum" puérile, et considérant ce discours comme "celui d'un gamin de 19 ans qui raconte des histoires".
Quelques heures après l'attentat, le 26 juillet, Farid Khelil contacte le service de renseignement territorial de Meurthe-et-Moselle pour informer ses agents d'un possible attentat en préparation. Le rendez-vous a lieu dans l'après-midi, sur le parking d'un centre commercial. Le trentenaire explique aux agents être radicalisé, leur fait part de son souhait de partir en Syrie, et dit espérer que son départ sera facilité. Il expliquera plus tard avoir choisi d'exagérer son adhésion aux thèses jihadistes afin de convaincre les agents du renseignement de l'intérêt à travailler avec lui. Lors de ce rendez-vous, Farid Khelil évoque une attaque en région parisienne, "type Bataclan ou terrasses", à l'initiative d'un ami qu'il présente comme un certain "Malik". Farid Khelil explique ne plus avoir de nouvelles dudit Malik.
Dans la nuit du 26 au 27 juillet, Farid Khelil écrit à Rachid Kassim, pour lui faire part de sa volonté de rejoindre Abel-Malik Petitjean en région parisienne. En parallèle, il échange avec Jean-Philippe Steven Jean-Louis, qui lui demande si son cousin est l'un des terroristes de Saint-Etienne-du-Rouvray, ce qu'il confirmera un peu plus tard.
Jean-Philippe Steven Jean-Louis : une chaîne Telegram et un départ raté vers la Syrie
Agé aujourd'hui de 25 ans, le jeune homme est en détention provisoire depuis juillet 2016. Issu d'une famille de confession chrétienne, Jean-Philippe Steven Jean-Louis se convertit à l'islam en 2014, estimant que cette religion lui apporte "un encadrement spirituel", que le coran "complète la bible et le nouveau testament" et qu'il y trouve les réponses à "toutes les questions" qu'il se posait.
Le jeune homme conteste toute adhésion aux thèses jihadiste. Au cours de l'enquête, il a affirmé avoir, tout d'abord, essayé de contrer "frontalement" les interlocuteurs les plus radicaux, avant de "leur faire croire qu[il] était avec eux, sans l'être vraiment, de manière à me rapprocher d'eux", et d'avoir, dans ce but, adopté leur langage, leurs codes, et diffusé leurs vidéos. Jean-Philippe Steven Jean-Louis est soupçonné d'avoir animé une chaîne jihadiste sur Télégram, dont il affirme avoir partagé les codes avec d'autres administrateurs, ce qui, selon ses dires, explique que son compte ait pu être utilisé à son insu. Le 27 juillet 2016, lendemain de l'attentat, il désinstalle l'application Telegram.
L'enquête a révélé la présence de nombreux documents de propagande jihadiste dans son téléphone et plusieurs supports informatiques, ainsi que la consultation de sites liés au groupe Etat islamique, des recherches sur la fabrication de faux documents, et des conversations vantant la propagande jihadiste.
Jean-Philippe Steven Jean-Louis dit avoir rencontré Abel-Malik Petitjean sur les réseaux sociaux, en 2015. Le jeune homme admet avoir tenté de se rendre en Syrie en compagnie du futur terroriste, en juin 2016, "pour faire de l'humanitaire", et rejoindre une jeune femme dont il se dit "amoureux", mais tous les deux ont été refoulés par les autorités turques.
Le 22 juillet 2016, Abel-Malik Petitjean écrit à Jean-Philippe Steven Jean-Louis pour l'informer qu'il va rejoindre " un frère déter " [déterminé], puis, le 25 juillet, qu'il est sur place: "On a un plan qu'on va renouveler donc on va peut-être faire la hijra [départ vers un pays musulman, ndlr] on voir sa (sic) ". Dans la foulée, le futur assaillant demande à son ami de lui ouvrir une cagnotte en ligne, Jean-Philippe Steven Jean-Louis ayant régulièrement recours à ce mode de financement (il expliquera pendant l'instruction avoir ouvert " moins de 20 cagnottes ", dans le but d' "aider la communauté musulmane "). Un témoin assure que les sommes récoltées devaient en réalité financer des départs vers la Syrie ou des actions terroristes en France, ce que conteste l'accusé.
Je crois que c'est lui qui a fait ce truc à l'église
Jean-Philippe Steven Jean-Louis assure ne jamais avoir eu connaissance du projet d'attentat des deux terroristes. L'accusation souligne, pour sa part, que le jeune homme est soupçonné d'avoir régulièrement fréquenté la chaîne Telegram d'Adel Kermiche, dans laquelle l'assaillant appelait régulièrement à des actions violentes, et juge "p_eu probable_" qu'il n'ait pas eu connaissance de ces messages.
Le lendemain de l'attentat, Jean-Philippe Steven Jean-Louis écrit à Farid Khelil, au sujet d'Abel-Malik Petitjean : "Je crois que c'est lui qui a fait ce truc à l'église (…) il voulait plus partir mais taper ici". Il incite son interlocuteur à "_venge_r" son cousin, ce qu'il expliquera par la suite par le fait d'avoir été "énervé" par la mort des deux assaillants.
Yassine Sebihia a passé la soirée avec les terroristes l'avant-veille de l'attaque
Agé de 27 ans, Yassine Sebaihia se décrit comme ayant une pratique de l'islam "irrégulière" jusqu'en juin 2016, période au cours de laquelle, n'arrivant pas à trouver du travail, il pense être victime d'une malédiction. Le jeune homme intensifie alors sa pratique religieuse.
Le 20 juillet 2016, Adel Kermiche publie un message sur sa chaîne Telegram, dans lequel il appelle ses abonnés à le rejoindre afin de "préparer des choses ici ". Il affirme donner des cours en arabe et en français à la mosquée de Saint-Étienne-du-Rouvray, et appelle ses abonnés à le rejoindre. Yassine Sebaihia décide de quitter la Haute-Garonne pour se rendre sur place : "Je pensais qu'on serait un groupe de cinq, six, dix potes", expliquera-t-il par la suite aux enquêteurs. Lorsqu'Adel Kermiche évoque auprès de lui un "gros plan", le jeune homme dit avoir compris qu'il s'agit d'une soirée.
Arrivé le soir du 24 juillet, Yassine Sebaihia retrouve Abel-Malik Petitjean. Les deux hommes dînent ensemble, puis dorment dans un parc, avant de se rendre chez Adel Kermiche, vers deux heures du matin. Le jeune homme racontera ensuite avoir entendu les deux futurs assaillants discuter, mais assurer ne pas avoir pu entendre ce qu'ils se disaient.
Yassine Sebaihia décide de rentrer à Toulouse dès le lendemain, le 25 juillet, se disant "déçu" par l'accueil, et affirmant avoir ressenti que ça présence était "un problème". Vers 9h30, il écrit à Adel Kermiche pour lui dire qu'il a oublié son chargeur de portable et que ce-dernier peut le jeter. Il est également soupçonné d'avoir échangé avec un autre interlocuteur, identifié comme "Abou Abdallah", lui faisant part de son intention de revenir à Paris et lui disant vouloir récupérer ses papiers chez lui.
Yassine Sebaihia affirme ne pas être radicalisé, et assure qu'il aurait pris ses distances avec les assaillants s'il avait été au courant du projet d'attentat. Il dit ne pas avoir pris au sérieux les appels au meurtre lancés par Adel Kermiche sur sa chaîne Telegram. Le jeune homme est soupçonné d'avoir effacé plusieurs données de son téléphone après l'attentat.