Procès du 13-Novembre, jour 2 : "Je ne cautionne pas votre justice !", clame Salah Abdeslam
Par Sophie Parmentier
Au deuxième jour de ce procès, Salah Abdeslam a pris la parole pour parler de "victimes en Syrie" et de "victimes à Molenbeek", alors que la cour reçoit les constitutions de parties civiles qui veulent être reconnues victimes des attentats du vendredi 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis.
Au deuxième jour de ce procès des attentats du 13 novembre, tous les regards sont encore braqués sur Salah Abdeslam, seul membre des commandos parisiens encore en vie, cet accusé si provocateur hier lors du premier jour d'audience. La question que beaucoup de parties civiles se posaient ce matin : allait-il revenir s'asseoir à sa place dans le grand box de verre ? Ou allait-il refuser d'être extrait de sa cellule, après avoir déclaré haut et fort hier qu'il n'y avait "pas de divinité à part Allah", après s'être présenté comme un djihadiste : "J'ai délaissé toute profession pour devenir combattant de l’État islamique." Quatre heures plus tard, Abdeslam s'était mis à vociférer qu'il était traité "comme un chien depuis six ans". Abdeslam, resté mutique pendant cinq ans face aux magistrats instructeurs, est revenu pour parler ce matin. Parler fort, presque crier par moments, alors que ce n'était pas son tour de parole.

Salah Abdeslam, barbe épaisse, sweat-shirt tricolore, noir, blanc et bordeaux
Il est arrivé encadré de son escorte de gendarmes, barbe toujours aussi épaisse, démarche assurée, tenue sportswear. Dans un sweat-shirt tricolore, noir, blanc et bordeaux, Salah Abdeslam échange quelques mots à travers la vitre, avec son avocate Me Olivia Ronen. Il ressort au bout d'une poignée de minutes, sans que personne ne comprenne pourquoi. Finalement, on apprend que c'était pour un entretien avec son avocate, que le président de la cour avait accepté pour respecter les droits de la défense. L'entretien n'a pas été long. Abdeslam est revenu dans son box, où il s'est assis, à côté des treize autres accusés présents à ce procès. Parmi eux, plusieurs amis d'enfance. L'audience démarre officiellement vers 13 heures.
Le président de la cour d'assises spécialement composée fait une rapide mise au point sur des questions de procédure. Jean-Louis Périès prévient les avocats de parties civiles qu'il veut rapidement trancher la question de la recevabilité pour un certain nombre de cas, notamment pour les personnes morales. L'avocate du Bataclan se lève aussitôt, furieuse. Elle s'énerve qu'on la presse ainsi, réclame plus de temps pour plaider. Me Patrick Klugman, qui représente la ville de Paris, renchérit dans le même sens. Me Mehanna Mouhou ne comprend pas lui non plus qu'on se questionne sur la recevabilité du Bataclan, en tant que personne morale victime.

Me Mouhou réclame de son côté la constitution en tant que partie civile du 48, rue du Corbillon à Saint-Denis, adresse à laquelle s'étaient cachés deux des terroristes après avoir perpétré les attentats du 13 novembre 2015, là où le logeur Jawad Bendaoud avait loué un appartement. À cette adresse, l'immeuble entier a été abîmé après l'assaut du RAID. Me Mouhou estime qu'il y a vraiment lieu de se constituer partie civile. Il note au passage qu'au procès des attentats de janvier 2015, il n'y a pas eu tant de débats avec les personnes morales. Me Christian Saint-Palais, avocat de la défense, à la tête de l'association des avocats pénalistes, préconise de trancher cette question rapidement, pour éviter les parties civiles "fantaisistes". D'autant qu'il y a eu plusieurs "fausses victimes" du Bataclan, depuis 2015 ; elles ont d'ailleurs été jugées, et leurs faux témoignages ont écœuré les vraies victimes.
Nous sommes présumés innocents même si je ne cautionne pas votre justice, dit Salah Abdeslam
Les avocats sont ainsi en train de s'échauffer sur cette question du statut de victime quand soudain, Salah Abdeslam se lève, dans un coin du box, et s'approche de son micro. "Est-ce que les victimes en Syrie pourront prendre la parole ?", dit-il. Abdeslam parle fort. L'air autoritaire. "La sagesse veut qu'on condamne un homme après l'avoir jugé, pas avant jugement", clame Abdeslam. "Nous sommes présumés innocents. Même si je ne cautionne pas votre justice", poursuit-il. Il assure qu'il y a "d'autres victimes, à Molenbeek", c'est le quartier de Bruxelles où il a grandi. Le président Périès lui coupe la parole. Abdeslam le coupe aussi. "Ne soyez pas égoïste, Monsieur le président, écoutez-moi !" Et l'accusé qui focalise tous les regards enchaîne : "À Molenbeek, il y a beaucoup de générosité et parmi ces gens-là, il y a Mohammed Amri, Hamza Attou, Ali Oulkadi". Il cite le nom de co-accusés qui l'ont aidé dans sa cavale après les attentats du13-Novembre.
Monsieur Abdeslam, on verra ça ultérieurement ! Vous avez eu cinq ans pour vous expliquer ! rétorque le président de la cour
Amri et Attou sont jugés pour être venus le chercher à Paris dans la nuit, et l'avoir ramené en voiture en Belgique le 14 novembre 2015. La cavale d'Abdeslam avait ensuite duré quatre mois. "Ils m'ont rendu des services alors qu'ils savaient rien de ce que je faisais dans la vie. Ils ont fait ça sans réfléchir. Et pour ça, ils sont en prison depuis six ans", crie Abdeslam. Il crie fort. Et le président ne veut pas se laisser faire. Jean-Louis Périès s'oppose avec calme mais fermeté. "Monsieur Abdeslam, on verra ça ultérieurement !" Abdeslam continue à hurler sans doute, mais on ne l'entend plus. Le président Jean-Louis Périès lui rappelle : "Vous avez eu 5 ans pour vous expliquer, et vous n'avez pas fait de déclarations, c'était votre droit le plus strict, ce n'est pas le moment, c'est un débat technique". L'audience est suspendue.

Elle reprend dans le calme. Le président annonce que les débats sur la recevabilité de certaines parties civiles aura lieu le lundi 4 octobre, jour où le procès ne devait pas avoir lieu car il est prévu que des lundis soient libres. À la reprise, le président Périès invite les parties civiles encore non constituées à s'avancer jusqu'à la barre. Le défilé, qui a commencé hier, se poursuit. Il y en a tant de parties civiles à ce procès, que noter leurs identités dure deux jours entiers. Les parties civiles qui n'ont pas d'avocats s'avancent seules, en ce début d'après-midi. Elles sont de tous âges, toutes couleurs de peau, toutes confessions. Des femmes et des hommes qui marchent d'un pas à la fois lent et pressé, le long du box des accusés et se postent devant la cour face au président, pour décliner leurs noms et prénoms.
Des parties civiles de tous âges, toutes couleurs de peau, toutes confessions
Une femme coiffée d'un hijab déclare qu'elle était au stade de France, en chuchotant presque et sans convaincre. "Où ?" demande le président. "A l'intérieur". Un avocat général rappelle que les juges d'instruction ont estimé qu'à l'intérieur du stade, a priori il n'y avait pas de préjudice. S'avance à la barre un homme qui veut aussi se constituer partie civile. Il est le compagnon, dit-il, d'une femme qui a perdu sa fille au Bataclan. Un policier s'avance à son tour. Dit qu'il est intervenu hors service le soir du 13 novembre 2015, rue de Charonne. Il parle de son préjudice psychologique : "Je suis en longue maladie depuis 2016". Camille Hennetier, avocate générale, se lève dans sa robe rouge : "Il ne s'agit pas de minimiser ni contester, mais juridiquement, n'ayant pas été une cible au moment où les crimes se sont produits, vous n'êtes pas victime directe". Le policier : "Mais nous, quand on est allé sur place, ça tirait encore", assure ce policier. La délicate question de la recevabilité des parties civiles se poursuit. Avant la douloureuse lecture des faits, à partir de demain. Dans le box, les accusés écoutent en silence. Salah Abdeslam ne s'est pas relevé. Il est resté assis, bras croisés.