Procès du 13 Novembre, jour 23 : "J'ai cru comprendre dans son regard qu'il ne me tuerait pas"

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Procès du 13 Novembre, jour 23 : "J'ai cru comprendre dans son regard qu'il ne me tuerait pas"

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Agathe et Jérôme, au procès ce 12 octobre, victimes au Bataclan, lors des attentats du 13 novembre 2015.
Agathe et Jérôme, au procès ce 12 octobre, victimes au Bataclan, lors des attentats du 13 novembre 2015.
© Radio France - Valentin Pasquier

De nouvelles victimes survivantes du Bataclan ont témoigné aujourd'hui à la barre. Outre l'horreur des faits en eux-mêmes, elles ont confié les difficultés de l'après. Dans leur suivi psychologique, comme sur le plan professionnel.

Ils sont une quinzaine par jour, depuis six jours. À la barre, leurs témoignages durent parfois dix minutes. Parfois cinquante. Certains s’expriment sans note, d’autres lisent intégralement le texte qu’ils ont écrit pour l’occasion. Beaucoup sont en larmes, la voix tremblante, l’émotion qui déborde. Certains sont tout en retenue. Chacun, surtout, qu’importe l’effet de répétition inévitable alors que se sont enchaînés plus d’une centaine de témoignages au total, est unique et extrêmement émouvant dans cette unicité. Mais dans ce qu’ils disent, on retrouve quasiment toujours les mêmes thématiques : l’attentat, les séquelles de l’attentat, leurs attentes vis-à-vis du procès.

De l’attentat, on avait l’impression de tout savoir. L’ambiance festive “vraiment bon enfant”, se souvient Jérôme, 48 ans, ancien trader et premier à témoigner aujourd’hui. "Faite de rires et de bière", ajoute Sophie. Une ambiance pulvérisée par les premiers tirs : "Trois détonations qui avaient l’air d’être un problème d’enceinte", poursuit Jérôme. "Et puis une rafale". Après les rafales, "on passe au coup par coup, poursuit Romain, c'est une nouvelle étape dans l'horreur. Je comprends qu'ils visent les gens au sol". Agathe, elle, se souvient du terrible enchaînement : "Des cris, des tirs, les cris s’arrêtent. Des supplications, des tirs, les supplications s'arrêtent. Et parfois, après les tirs, des ricanements." Romain se dit alors "que si je dois mourir, au moins qu'ils visent la tête. Je ne pensais pas un jour penser ça. Je vois une mare de sang couler vers nous. Encore une étape dans l'horreur." Tout cela, la cour d’assises spécialement composée l’a déjà beaucoup entendu.

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"Il n'a pas du croiser beaucoup de regard ce soir-là"

Ce qu’on découvre avec sidération, en revanche, c’est ce qu’a vécu Guillaume ce soir-là. Guillaume, étudiant de 21 ans à l'époque se présente d’emblée à la barre comme "celui que le terroriste Samy Amimour a mis en joue sur scène. J’ai été sauvé in extremis par le commissaire de la Bac nuit et son collègue. Sans eux, je ne serais probablement pas ici." La cour, en effet, a mesuré l’immense courage de ces deux hommes, entrés de leur propre chef dans le Bataclan, sans aucun équipement. Ce sont eux qui ont tiré sur le premier des trois terroristes, sauvant ainsi des dizaines, peut-être des centaines de vie. Dont celle de Guillaume, donc. Mais ce qu’on ignorait c’est ce qu’il s’est passé avant. Comme tous, le jeune homme venu au concert avec sa compagne, a été propulsé au sol par le mouvement de foule. 

Guillaume, au procès ce 12 octobre, victime au Bataclan, lors des attentats du 13 novembre 2015.
Guillaume, au procès ce 12 octobre, victime au Bataclan, lors des attentats du 13 novembre 2015.
© Radio France - Valentin Pasquier

Alors qu’il tente de s’approcher de la scène pour s’enfuir, il aperçoit l’un des terroristes, est surpris par sa "démarche nonchalante : il tient son arme par la crosse, fait mine de la balancer. Je m’attendais à plus  professionnel". Et leurs regards se croisent. Dans ce regard, explique Guillaume, 

J’ai cru comprendre qu’il ne me tuerait pas. Il n'a pas dû croiser beaucoup de regards ce soir-là. Je me suis dit que c'était peut-être plus difficile de tuer après.

Il lui intime néanmoins de monter sur scène à ses côtés : "Lève-toi, sinon je te mets une balle dans la tête". Guillaume se retrouve ainsi sur scène, "les bras en l’air", face au canon d’une kalachnikov. Il a à peine le temps de découvrir l’horreur de la fosse, lorsque "le terroriste me demande d'aller relever une vieille personne qui était accroupie. Il me dit : "aide ce fils de pute à se relever et on va voir s'il est mort." Quelques instants après, c’est avec un des deux autres terroristes, montés au balcon du Bataclan, qu’un "échange" s’installe. "Il me demande 'qu’est-ce que tu fais ?'" raconte Guillaume. "Et l’autre terroriste sur scène répond : 'c’est bon, il est avec nous'"

Mais ce n’est pas du goût du terroriste du balcon : "Couche-toi, où je te tire une balle dans la tête". C’est alors qu’apparaissent, dans un coin de son champ de vision "deux ombres". "J'ai vite compris qu'il s'agissait de policiers, je ne saurais pas dire pourquoi." Les ombres tirent. Guillaume saute, fuit la scène. Ressent le souffle de l’explosion dans les jambes. Et sort du Bataclan. Indemne physiquement. Et psychologiquement, ce qui l’a aidé, raconte-t-il, c’est la rencontre avec le commissaire qu’il l’a cherché pour vérifier qu’il s’en était sorti. "Cette rencontre a été pour moi fondamentale, ça m'a beaucoup aidé. Il a été non seulement un sauveur pendant l'attentat mais aussi pour l'après." D’ailleurs, conclut-il, il  n’a "pas vraiment" eu de suivi psychologique dans cet après. 

"J'ai eu rendez-vous avec un ponte et il s'est endormi"

Des psychologues, Sophie, en a vu beaucoup en revanche. Quelques-uns l’ont aidée, notamment en pratiquant la méthode EMDR - pour "Eye movement desensitization and reprocessing", méthode utilisée pour soigner les syndrome de stress post-traumatique et que beaucoup de parties civiles ont raconté à la barre avoir suivie. Mais beaucoup, beaucoup de thérapeutes lui ont causé du tort, raconte Sophie. Ce coup de fil à la cellule psychologique tout d’abord, un jour où, de retour à Paris, elle ne se sent pas bien. 

La personne m'a raccroché au nez en me disant de me rappeler quand je serais calmée, parce que je n'arrivais pas à parler. 

Il y a aussi, raconte Sophie en pleurs, ce rendez-vous avec “un ponte”. Qui, durant l’entretien “s’est endormi” : “Il s'est endormi alors que je lui disais que j'ai vu des jeunes de mon âge en tuer d'autres du même âge.  Et quand il s'est réveillé, il m'a demandé de lui parler de mes grands-parents." Sophie poursuit encore, d’autres expériences, avec d’autres psychologues : 

Celui qui m'a conseillé de regarder des films de Charlie Chaplin pour me calmer, celui qui me demandait le remboursement de la sécu à chaque début de séance, celle qui s'est effondré en larmes et que j'ai dû consoler durant tout le reste de la séance. 

À Quentin, 16 ans, un psychologue de l’hôpital, “lui a dit qu’il n’avait pas besoin de suivi”, raconte son père à la barre. “Depuis, il ne veut plus voir de psy.” Il y a Constance, aussi, qui évoque à la barre ce psychiatre "qui m'a bien médicamentée mais mal accompagnée, mal conseillée" et qui, après avoir essayé “toutes les thérapies” est parvenue à la conclusion que “ce qui fonctionne le mieux c’est quand même le Xanax et l'alcool." Jusqu’à “une deux bouteilles d’alcool par jour” pour Shaili, qui n’a “même plus la force de chercher une psy”. 

Shaili, au procès ce 12 octobre, victime au Bataclan, lors des attentats du 13 novembre 2015.
Shaili, au procès ce 12 octobre, victime au Bataclan, lors des attentats du 13 novembre 2015.
© Radio France - Valentin Pasquier

"Licenciée quand mon employeur a su que j'étais au Bataclan"

Pour d’autres, c’est auprès de leur employeur qu’ils n’ont pas bénéficié de la bienveillance minimale. Jérôme, l’ancien trader, qui a "n’a pas pris de vacances pendant dix ans", se levait "à trois heures du matin pour voir les chiffres des bourses asiatiques" se retrouve aujourd’hui "à la charge de ma mère". Parce que "quand vous gérez de l’argent" et que vous êtes un survivant du Bataclan, "les gens ont peur que vous pétiez un câble à un moment où un autre".  Et si le 13 novembre 2015, Anne-Sophie, agent à la RATP est "super contente que mon chef m’ait accordé ma soirée", elle déchante très vite sur l’après. Il y a bien eu cette "promesse d’Elisabeth Borne, les yeux dans les yeux, de la possibilité d’un reclassement", explique-t-il. Mais six ans après, le reclassement se fait toujours attendre. Elle qui espérait dans son travail une moteur pour se reconstruire est aujourd’hui "en plein boring-out". Sans but, sans mission : "Je n'ai même pas à travailler, je dois juste pointer". Avec la menace d’un licenciement pour avoir refusé les postes qu’on lui proposait "à savoir machiniste, électromécanicienne ou poseuse de caténaire sous tunnel". 

Sandrine, ce 12 octobre, victime au Bataclan, lors des attentats du 13 novembre 2015.
Sandrine, ce 12 octobre, victime au Bataclan, lors des attentats du 13 novembre 2015.
© Radio France - Valentin Pasquier

Il y a aussi Sandrine “licenciée le 7 décembre 2015 quand mon employeur a su que j'étais au Bataclan." Ou Romain, qui a certes “repris le travail très vite”. Mais qui, un jour, croise “un homme dans la rue qui ressemblait à Omar Mostefai, le terroriste qui nous avait tiré dessus. J'ai été pris d'une peur irrationnelle.” Il démissionne, quitte ce travail qu’il aimait. Romain a retrouvé un emploi depuis. “Mais dans lequel je ne m'épanouis pas".