Ce jeudi matin, la cour d’assises spéciale de Paris, qui juge Abdelkader Merah en appel, entendait la mère des frères Merah. De nouveau, Zoulikha Aziri a défendu son fils emprisonné, jusqu’au mensonge, jusqu’à l’absurde.
Zoulikha Aziri est une petite femme ronde, vêtue d’une longue tunique noire, un foulard, noir également, encadre son visage. Sur le banc des parties civiles, les familles des victimes la fixent d’un regard sévère, elle ne les regarde pas. En préambule, elle demande. "Pourquoi mon fils est toujours incarcéré ? Ce n’est pas lui. Celui qui a commis les faits, il est mort. Je suis sa mère, je sais que Mohamed a tout fait. Abdelkader, il ne savait rien".
Pendant plus de trois heures, sous le feu roulant des questions, Zoulikha Aziri n’en démord pas. Sa famille ? "Normale, comme tout le monde", jusqu’au divorce. Son fils Mohamed ? C’est en prison qu’il a changé. Abdelghani, son fils aîné qui accuse sa famille d’être antisémite et radicale ? "Il est fou", s’énerve-t-elle.
Propos confus et contradictions
C’est de chez elle que, le 4 mars au soir, quelqu’un s’est connecté sur la petite annonce postée par Imad Ibn Ziaten pour vendre sa moto. Il est la première victime du tueur, le 11 mars 2012. "Personne est venu chez moi, c’est Mohamed, il avait les codes, il s’est connecté depuis l’extérieur !" lance-t-elle. Abdelkader est passé, mais très vite, beaucoup plus tôt, ça n’est pas lui, elle en est sûre. Les propos sont confus, les dates, les heures, imprécises ; elle se contredit.
"Madame", tente la présidente, "vous avez un fils qui est mort dans cette affaire. Un autre est en prison depuis sept ans. Essayez de faire un effort de mémoire. On est pas là pour vous embêter, mais en tant que maman, vous pouvez nous donner des éléments". Peine perdue. Zoulikha Aziri ne sait plus, ni quand ses fils se sont réconciliés, ni pourquoi.
La tension monte quand les avocats des parties civiles tentent de la pousser dans ses retranchements. "Quel est votre regard sur ce qu’a fait Mohamed Merah ?", demande l’un. "Il a eu la peine pour ses crimes, il est mort. Les familles, ils ont perdu leurs enfants, je pense à eux… mais Mohamed, c’est mon fils, ça reste mon fils. Je présente mes excuses, je demande pardon, qu’est ce que vous voulez que je fasse de plus ?__", dit-elle d’un ton agressif, en agitant les mains. On lui rappelle ses propos au parloir -sonorisé sans qu’elle le sache- avec Abdelkader, où elle s’est réjouie du "cadeau" de Mohamed.
L'impossible dialogue des mères
"Vous êtes fière ?", demande Francis Szpiner, avocat de la famille Ibn Ziaten. "Fière de quoi ? Que mon fils soit mort ? De la cour d’assises ? Si Mohamed était vivant, il aurait été jugé !" Elle crie, puis commence à pleurer. Nie jusqu’à l’absurde ce qu’elle a pu dire, répond à côté quand on lui parle de l’antisémitisme de sa famille : "Mes enfants sont devenus comme ça, ça n’a rien à voir avec l’éducation".
Fermée, butée, Zoulikha Aziri est incapable de condamner vraiment les crimes de son fils. Incapable, aussi, de regarder Latifa Ibn Ziaten, autorisée par la cour à lui poser une question. "J’ai élevé mes enfants avec fierté", dit la mère d’Imad. "Moi aussi, je viens de l’autre côté de la Méditerranée. Quand j’entends cette femme dire ‘j’ai tout fait, c’est normal…’ Cette mère comme moi, je lui demande de dire toute la vérité. Si vous êtes vraiment une mère, et une croyante, et sincère. S’il vous plaît, je vous en prie". Sa voix se brise en sanglots.
Zoulikha Aziri ne se retourne pas. "Elle a perdu un fils. Les autres, ils ont perdu des petits. Je leur dis, c’est normal qu’ils pleurent et qu’ils cherchent la vérité. Moi aussi, j’ai perdu un enfant, moi aussi ma famille a été détruite. Moi aussi je cherche la vérité. Tout ce que je sais, je l’ai dit". L’audience se termine sur la frustration de cet impossible dialogue ; mais avec aussi un certain soulagement : celui d’avoir, grâce à l’impeccable tenue d’audience de la présidente, évité la violence des échanges qui avaient envahi la cour d’assises en 2017.