Prostitution : "Je n'ai pas envie de me retrouver sur un trottoir et de risquer ma vie à chaque minute"
Par Jérémie LancheParce que la pénalisation des clients les enferme dans la clandestinité et les expose à des risques accrus, certaines prostituées ont fait le choix de partir dans des pays où la prostitution est pleinement légale. C'est le cas en Suisse. Reportage à Genève.
À première vue, on se dit que le plus grand "salon" de Genève – c'est comme ça qu'on appelle les maisons closes en Suisse – devrait se trouver dans le quartier chaud historique de la ville, celui des Pâquis, près de la gare. À première vue, seulement : pour le trouver, il faut en fait se rendre dans le quartier touristique et familial de Plainpalais. Un panneau indique l'entrée, dans une rue légèrement en retrait. À l'intérieur, des "employées" accueillent les "clients" avant de les emmener dans les chambres, à l'étage.
Propreté et la sécurité
La propriétaire, Madame Lisa, tient à montrer la propreté des lieux. La propreté et la sécurité : c'est ce qui a convaincu Julie*, parisienne d'origine, de travailler ici.
Je suis d'abord venue pour la légalité. Il faut savoir qu'en Suisse, quand on travaille dans la prostitution, on est fiché et on paye des impôts.
Comme n'importe quel travailleur étranger, les travailleuses du sexe doivent obtenir un permis de travail. Elles ont aussi l'obligation de s'enregistrer auprès de la Brigade contre la traite et la prostitution illicite (BTPI) de la police genevoise. La jeune femme ne s'en cache pas : les salaires plus élevés en Suisse ont également motivé sa décision de s'installer ici.
En Suisse, une prostituée peut gagner plus de 10 000 francs (un peu moins de 9 000 euros) par mois. C'est plus que le revenu moyen, qui tourne autour des 6 000 francs (5 300 euros).
Mais même si la prostitution est légale en Suisse, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de problèmes pour autant. "Le plus vieux métier du monde" n'est pas un métier comme les autres. Les réseaux, les violences, "ça existe en Suisse aussi", rappelle Pénélope Giacardy, de l'association Aspasie qui lutte pour les droits des travailleuses du sexe. En décembre 2018, une Nigériane de 36 ans a ainsi été condamnée à trois ans de prison pour avoir forcé plusieurs de ses compatriotes à se prostituer.
150 françaises à Genève
Malgré tout assure Pénélope Giacardy, "il y a clairement _moins d'agressions de prostituées en Suisse qu'en France__. Les conditions de sécurité sont bien meilleures. Elles ne sont pas obligées d'exercer la nuit, dans la rue, dans des zones reculées où elles seraient exposées aux agressions._ _Et parce qu'elles ont le droit de travailler, elles se sentent légitimes pour appeler la police en cas de problème.__"_
Selon les derniers chiffres de la police genevoise, 150 Françaises sont enregistrées à Genève en tant que travailleuses du sexe. Soit la quatrième nationalité la plus représentée après l'Espagne, la Roumanie et la Hongrie. Un chiffre stable depuis deux ans, mais en baisse depuis 2014.
Pénélope Giacardy ne s'attend pas à une arrivée massive de Françaises en Suisse, dans la foulée de la validation de la loi de 2016 par le Conseil constitutionnel. Si impact il y a, il se situerait plutôt du côté des clients, plus enclins à passer la frontière pour éviter de se faire sanctionner en France.
Julie, elle, ne compte pas retourner en France de sitôt.
Je n'ai pas envie de me retrouver sur un trottoir, au bord d'un bois, et de risquer ma vie à chaque minute.
* Le prénom a été modifié