Quand Kraftwerk, le plus branché des groupes électro, consacrait un album au Tour de France

"La victoire en chantant", c'est l'un des nouveaux rendez-vous de L'oeil du tigre, chaque dimanche à 18h10. Une chronique de Pierre-Etienne Minonzio, l'une des plumes de L'Equipe. Chaque semaine, il mettra en lumière les liens qui unissent la musique et le sport. Et ils sont nombreux.
Spontanément, si on devait associer une musique au Tour de France, ce serait sans doute l'accordéon d'Yvette Horner, qui animait la caravane de la Grande Boucle dans les années 50. Ou alors, ce serait ces fanfares qui, dans les villages, se mettent à jouer au moment où les coureurs passent.
À événement populaire musique populaire. C'est assez logique.
Pourtant, selon moi, les meilleurs morceaux dédiés à cette épreuve ont été composés par un groupe on ne peut plus branché, idolâtré par David Bowie : Kraftwerk. Cette formation qui continue de se produire sur scène, a été fondée en 1970 dans l'ex RFA à Düsseldorf. Elle a véritablement jeté les bases de ce qu'on a appelé ensuite la musique électronique grâce à un usage précoce des boîtes à rythmes et des synthétiseurs. Si je devais résumer la démarche de Kraftwerk, je dirais, au risque de choquer les puristes, que le groupe propose des phrases musicales répétitives, accompagnées d'un discours ambivalent sur les bienfaits de la modernité.
Mais alors, me direz-vous, quel est le rapport entre les pionniers de Kraftwerk et le Tour de France?
A première vue, il n'y en a absolument aucun. Si ce n'est que les membres de Krafwerk sont d'authentiques passionnés de la petite reine. En 2014, j'avais eu la chance d'interviewer pour l'équipe leur leader, le très discret Ralf Hütter, qui m'avait confié que, à 68 ans, il continuait de pratiquer le cyclotourisme à haute dose et qu'il emportait son vélo avec lui en tournée pour faire de longues sorties entre chaque concert. Cette passion s'est retranscrite dans leur musique dès 1983, avec la publication d'un 45 tours nommé tout simplement Tour de France.
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Kraftwerk honore la Grande Boucle en égrainant des lieux qui lui sont intimement liés.
Le Galibier, le Tourmalet, les Champs Elysées. Mais ici, le culte rendu à cette course s'opère également via des boucles mélodiques entêtantes qui suggèrent les efforts récurrents produits par les coureurs du Tour de France. Ceux-ci incarnent d'ailleurs une forme d'idéal pour les membres de Kraftwerk, qui aiment à se définir comme des hommes machines.
Cette réflexion musicale sur le cyclisme s'est prolongée trente ans plus tard, en 2003, avec la sortie d'un album intitulé Tour de France Soundtracks, qui comprend le titre de 1983 remixé, mais aussi onze autres morceaux, dont Aéro dynamik.
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Pour pleinement appréhender ce Tour de France Soundtracks, il faut prendre en compte la manière dont Kraftwerk traduit ce disque en live. En 2014, j'avais vu le groupe se produire à la Fondation Louis Vuitton et c'est un des meilleurs concerts auquel j'ai jamais assisté pendant que le quatuor interprétait sur scène les morceaux de Tour de France Soundtracks. On pouvait voir derrière eux des vidéos vintage du Tour en 3D mettant en scène des champions des années 50 ou 60 comme Fausto Coppi, Rik Van Looy ou Jacques Anquetil.
Ce mélange entre des sons futuristes et des visuels nostalgiques constituait un hommage judicieux au Tour de France. Une course séculaire qui se joue justement des repères temporels. Elle se renouvelle chaque année tout en célébrant constamment son passé, qui constitue son bien le plus précieux. Car la fascination qu'exerce aujourd'hui le vainqueur du Tour vaut en grande partie par le prestige de tous ceux qui l'ont précédé dans le palmarès de la course. À mes yeux, l'album Tour de France soundtracks retranscrit parfaitement cette manière d'avancer en regardant toujours derrière soi qui caractérise la Grande Boucle et qui explique pourquoi elle vieillit si bien.
Tout comme la musique de Krafwerk, d'ailleurs.