Qui sont ces artistes outsiders que l’on ne connaît pas et qui intéressent les acheteurs ?
Par Christine SiméoneÀ Paris, l’Outsiders Art Fair rassemble, du 17 au 20 octobre, les marchands d’art spécialisés dans l’art brut. En marge de la Foire internationale d’art contemporain (Fiac), ils apportent une nouvelle tendance sur le marché, à l’égal de l’art contemporain.
De l’art brut, on connaît en France ce que Dubuffet nous a fait découvrir, on connait les œuvres de Séraphine de Senlis, d’Aloïse Cortaz, les dessins de Lesage ou de Crépin et à Paris on suit les expositions proposées par la Halle Saint-Pierre.
Désormais, cet art dit "des fous", des grands dépressifs, des fantasques et des autodidactes, se faufile aussi dans les lieux de marché de l’art contemporain. Aux États-Unis, certains amateurs se sont chargés de professionnaliser la production de quelques uns de ces artistes spontanés, hors écoles et hors marché. Désormais, la France épouse ce mouvement.
Ainsi, en marge de la Fiac, se tient désormais à Paris l’ Outsider Art Fair. Cette foire existe depuis 1993 à New York, où elle rassemble des artistes d'horizons divers, y compris les arts et traditions populaires. Elle essaime en France depuis 2013 et se déroule du 17 au 21 octobre.
On y trouve cette année des œuvres d'artistes déjà bien connus. C'est le cas de la photographe Vivian Maier qui a passé sa vie à photographier des scènes de rue à Chicago et à New York et dont le talent a été reconnu après sa mort, en 2009. C'est aussi le cas de Bill Traylor, l’homme qui dessinait sur les trottoirs de Montgomery en Alabama, avec son crayon et ses bouts de carton. Douze ans avant sa mort, c’est-à-dire en 1939, tous ses souvenirs d’une enfance difficile, pauvre, victime de racisme envers les afro-américains, sont ressortis dans les 1 500 œuvres. Ces dessins valent aujourd'hui plusieurs centaines de milliers de dollars.
Voici quelques un des artistes qui seront donc montrés à l'Outsider Art Fair.
Maroc, Iran, Italie : des artistes partout dans le monde
L'art brut ou naïf, les arts populaires ou dissidents, existent partout dans le monde. Pour la première fois, l'Outsider Art Fair montrera des artistes marocains d'Essaouira. La peinture de Regragui Bouslai est pour l’instant inconnue en France. Il peint des multitude d’animaux imbriqués et superposés avec des couleurs très vives ou bien de personnages fantasmagoriques, d’inspiration africaine. Rites de passages, fêtes populaires et religieuses semblent être à la source de ces scènes foisonnantes.
La présence de la Fabuloserie est toujours notable dans une foire pour collectionneurs d'art et marchands, quand on a connu cette institution bourguignonne comme un musée d'arts populaires. Cette maison-musée enfouie depuis longtemps dans la campagne, au nord de la région, abrite en fait le trésor d'un collectionneur, Alain Bourbonnais. Il présente, entre autres, Simone Le Carré-Galimard, né en 1912 à Troyes, ses poupées et dessins de personnages fantaisistes.
Citons aussi l'Américaine Helen Rae qui n’est connue des experts outre-Atlantique que depuis quelques années, alors qu’elle est inscrite dans un atelier d’art pour handicapés en Californie depuis près de 30 ans. Rae ne communique pas par la parole, elle vit dans son monde, et s'attelle à dessiner ce qu’elle voit dans les magazines de mode et les publicités pour les marques de luxe. Mais avec ses crayons de couleur, ce n’est pas le glamour qu’elle représente, ce sont des regards tenaces, des moues boudeuses, pour des mannequins plantés dans des décors fantasmés. Elle fait partie de ces créateurs que les collectionneurs américains ont repérés et choisis de "mettre sur le marché".
Sinichi Sawada est un artiste japonais, né en 1982 et autiste. La Halle Saint-Pierre à Paris a contribué à faire connaître l'art brut japonais et Sawada en particulier. Il a aussi été sélectionné pour la Biennale de Venise en 2013. Il confectionne d’étonnantes sculptures de terre et d’émail, des petites monstres fantasmatiques. Il travaille dans un atelier à l’intérieur de son établissement pour handicapés mentaux.
Pour certains, cet art brut contemporain est le dernier lieu d’expression vraie, parce que la création n’y est pas une création par destination. Les "bruts" ne créent pour personne, ils se projettent tout vivants, en quelque sorte, sur leurs supports, sans se demander s’ils répondent à une question, un appel, un problème de société, un courant artistique ou une commande.
L'art brut est toujours dérangeant
Source d'expression d'un malaise existentiel, exutoire, l'art brut ou naïf permet aussi, grâce à ses côtés naïfs, de ne pas attirer de controverses. On le voit avec Samaneh Atef , une artiste irakienne, informaticienne de formation. Elle recourt à une esthétique naïve, pour dénoncer l’oppression des femmes. Elle emprunte aux codes du folklore et les met en contrepoint de la violence qu’elles subissent. Elle se dit proche de Frida Khalo, car la création lui permet de dépasser des moments de dépression, comme l'artiste mexicaine.
Elisabetta Zangrandi, italienne, pratique une peinture instinctive, sans préalable. Quand elle était jeune, elle utilisait n'importe quel matériau : des roches, bouteilles, citrouilles, caisses en bois. Récemment son jardin tout entier a servi de support.
Pour Martine Lusardy, directrice de la Halle Saint-Pierre, "l’art brut ne se cherche pas, même pas dans les ateliers d’art thérapie. Il se trouve, on tombe dessus par hasard. Mais notre regard sur l’art brut est modifié car désormais il est acheté, montré et normalisé et reconnu par des experts".
In fine, c’est comme si l’art brut c’était rangé, mais il est toujours dérangeant.
Becca Hoffman, la directrice d'Outsider Art Fair, insiste de son côté sur la plus grande accessibilité de cet art. Plus lisible, plus accessible et souvent moins cher, quelques centaines d'euros pour certaines œuvres, que les chouchous de l'art contemporain.