"Rabbi Jacob" avec Louis de Funès : l'histoire méconnue derrière ce film hors normes
"Rabbi Jacob" : rien qu'à l'énoncé du titre, on a envie de sourire au souvenir des répliques cultes. Derrière ce film léger et comique se cache une histoire méconnue, que Fabrice Drouelle raconte dans "Affaires sensibles". Avec un témoignage de premier plan : celui de Danièle Thompson, co-scénariste du film.
Lorsqu'il se lance dans ce projet, Gérard Oury a une ambition : mettre la France de l'après Mai-68 face à ses contradictions en évoquant devant la caméra le racisme, l'intolérance qui subsiste et la recherche de la fraternité qu'il reste à conquérir, le tout grâce au rire.
Le film est sorti en octobre 1973, pendant la guerre du Kippour, comme un télescopage. Rabbi Jacob est un objet cinématographique hors normes. Une aventure remplie de doutes sur l'écriture, parsemée d'aléas durant le tournage et qui a bien failli ne jamais sortir en salles.
Dans Affaires sensibles, la co-scénariste du film et fille du réalisateur, Danièle Thompson, raconte l'histoire "de l'intérieur". Mais au-delà des anecdotes de tournage, c'est l'occasion de (re)découvrir Louis de Funès.
Un scénario écrit dans la douleur
Dans son livre, Gérard Oury, mon père, l'as des as, Danièle Thompson explique que le scénario de Rabbi Jacob a sans doute été le plus compliqué à écrire de sa carrière : "Tous les scénaristes se reconnaîtront dans les affres qu'on traverse quand on invente une histoire qui part de rien puisque ce n'est pas l'adaptation d'un livre.
C'est vraiment la fameuse page blanche dans toute sa splendeur ou son horreur. C'est vrai que ça a été très, très compliqué.
C'est là où on est confronté à des pannes, à des moments de découragement, des moments d'enthousiasme qui sont parfois justifiés, parfois non. C'est le grand boulevard bien accidenté des scénaristes.
Le tandem de Funès / Oury
C'est le quatrième film que les deux hommes s'apprêtent à tourner ensemble après Le Corniaud (1965), La Grande Vadrouille (1966) et La Folie des grandeurs (1971). Danièle Thompson souligne qu'il y a ici une différence fondamentale par rapport au trois précédents : "Louis de Funès a eu beaucoup de cran de partir main dans la main avec mon père. lci le couple, c'était eux. Il n'y avait plus Bourvil ni Montand. Il n'y avait plus de principe du tandem qui avait été quand même celui des grands succès de mon père. Tout reposait sur les épaules de Louis. C'est un moment certainement où il a été heureux de prendre des risques. Toute cette aventure était risquée, dans tous les sens du terme."
L'acteur a pourtant accepté dès la première lecture du scénario, témoignant ainsi de sa confiance en son réalisateur.
Quand on lit une scène comme, par exemple, celle de l'usine de chewing-gum, il est quand même très, très difficile d'imaginer que ça va être incroyablement drôle
Louis de Funès, un acteur investi...
Comme de nombreux acteurs comiques, Louis de Funès était dans la vie très différent de son personnage survitaminé : "C'était vraiment le contraire de ça" se souvient Danièle Thompson. "C'était quelqu'un d'extrêmement studieux, qui avait beaucoup de trac. Un homme posé et réservé, attentif, travailleur, bosseur. Vraiment un autre personnage. Je trouve formidable de l'avoir côtoyé et d'avoir constaté cet extraordinaire dédoublement de la personnalité - qui est d'ailleurs le propre des acteurs. mais avec lui c'était encore plus fort que pour beaucoup."
... et inquiet
Une fois le film terminé, arrive le moment ou l'équipe découvre le film. Une projection privée dont Danièle Thompson a gardé un souvenir vivace : "Après le tournage, les comédiens ne participent pas du tout au montage et à la post-production. Et puis, un beau jour, on les appelle pour leur montrer le film. En général, ils ont le trac de se voir et très souvent, ils n'aiment pas se voir à l'écran. C'est quelque chose de très commun chez les comédiens.
Donc, il y a eu cette fameuse projection où je me trouvais. Nous étions très, très peu nombreux dans cette petite salle. Il y avait donc Louis et sa femme, Jeanne, mon père et moi, Bertrand Javal (le producteur) et Albert Jurgenson (le monteur).
On a passé un très dur moment, mon père et moi, parce qu'on a vu ce film qu'on n'a plus jamais, Dieu merci, revu comme ça - c'est-à-dire dans un silence de mort.
Les choses ne s'arrangent pas après la projection, au contraire : Louis de Funès est paniqué. "Il ne s'était pas trouvé drôle. Il n'avait pas trouvé le film drôle. Parce que s'il ne se trouvait pas drôle, tout le reste suivait. Jeanne n'était pas non plus très joyeuse. On est allé prendre un café. Tout le monde est resté très silencieux. Ça été un moment qui a été extrêmement angoissant et extrêmement pénible."
Quelques jours plus tard a lieu la première au Gaumont Alésia devant une salle composée pour moitié d'un "vrai public", c'est à dire de spectateurs qui avaient acheté leur place et pour l'autre moitié, d'un parterre d'invités : "Et là, la salle a été dans un état d'euphorie, de rires et de transe. C'est ce qui est absolument extraordinaire dans ces phénomènes, c'est pour cela que c'est si difficile de faire des projections privées pour des films comiques. Tout à coup, on voit un autre film.
On se prend à rire de son propre film, de nos propres idées, de nos propres dialogues qu'on n'a plus trouvé drôles depuis des mois et qui tout à coup se mettent à revivre. Ce sont des moments absolument magiques.
C'est un succès
Sorti à l'approche des vacances scolaires, le film prend directement la première place du box-office français et y reste près de deux mois avant de laisser la place à Blanche-Neige et les Sept Nains. Il terminera sa carrière à un peu plus de 7 millions de spectateurs. Seul succès de Louis de Funès aux Etats-Unis, le film est nommé au Golden Globe du meilleur film en langue étrangère.
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