Radio Begum, un îlot de liberté surveillée piloté par des femmes dans l'Afghanistan des talibans

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Radio Begum, un îlot de liberté surveillée piloté par des femmes dans l'Afghanistan des talibans

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Hamida Aman, fondatrice de Ragio Begum
Hamida Aman, fondatrice de Ragio Begum
© Radio France

Les talibans veulent les réduire au silence. Pourtant, en Afghanistan, une radio continue d'émettre à destination des jeunes femmes. Son nom : Radio Begum, "reines" en persan, qui émet en FM dans 10 des 34 provinces du pays.

Elle fait figure d'exception dans un pays où tout, ou presque, est interdit aux femmes. Depuis le retour des talibans au pouvoir, Radio Begum et son équipe de 15 animatrices et journalistes composent avec les fondamentalistes pour dispenser entre autres des cours à l'attention des Afghanes privées d'écoles secondaires. Sa fondatrice Hamida Aman a fui l'Afghanistan après l'invasion soviétique en 1979. Elle avait 8 ans. Aujourd'hui, Hamida fait des allers-retours entre la France et son pays natal. Pour que Radio Begum continue d'émettre, il a fallu faire des compromis avec les nouveaux maîtres de l’Afghanistan.

"Nous sommes tiraillées par plusieurs forces en présence, que ce soit le Ministère pour la promotion de la Vertu et la répression du Vice, qui a un grand pouvoir, et le Ministère de l'Intérieur, qui met beaucoup de pression sur les médias", explique Hamida Aman. "On est en permanence menacé mais on tient bon. Notre ligne éditoriale (et ce qui fait que nous sommes toujours là), c'est que nous ne touchons absolument pas à la politique et aux talibans. Mais quand il y a des nouvelles qui touchent les femmes, on en parle", ajoute-t-elle. Ainsi, elle raconte que "quand le décret interdisant aux femmes d'aller dans les universités est tombé, le standard de Radio Begum a été assailli d'appels. Forcément, on a été débordé. Tout le monde ne parlait que de cela.... On n'allait pas faire la sourde oreille."

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Six heures de cours à la radio chaque jour et des consultations gynécologiques

"On parle aussi des Droits des Femmes en utilisant le prisme de l'Islam comme paravent car il est important que les femmes sachent ce qui se dit sur leurs droits dans l'Islam pour mieux pouvoir se défendre. C'est vraiment la meilleure argumentation et la plus imparable".

En dehors des cours d'histoire-géographie, d'éducation civique, de théologie ou d'anglais qui occupent 6 heures d'antenne par jour, des émissions abordent des sujets très intimes, dans la limite de ce qui est permis par les talibans.

"Chaque jour, une gynécologue vient animer une émission d'une heure où elle donne des conseils. Elle répond aux appels des auditrices. C'est une consultation en ligne dans un pays où 90 % de la population dépend de l'aide humanitaire et n'a même pas de quoi acheter leur son pain quotidien. C'est vraiment un service qu'on leur rend de donner une consultation gratuite . Donc il va sans dire que c'est une émission qui est très, très courue, comme le soutien psychologique, parce que c'est un pays où tout le monde est en dépression : les femmes, les hommes, les enfants. C'est terrible d'entendre les appels de plus en plus de jeunes filles qui parlent de suicide. C'est effrayant", confie la fondatrice de la radio.

"Un couperet au-dessus de la tête"

De jeunes Afghanes en dépression depuis que les fondamentalistes leur ont interdit de se rendre à l'école, à l'université, d'aller dans les parcs, les bains publics, les gymnases... Chaque jour, Hamida Aman et son équipe sont suspendues au bon vouloir des talibans

"J'ai été très étonnée par le dernier décret qui interdit aux femmes de travailler dans les organisations non gouvernementales. Tous mes collègues s'attendaient à ce que les femmes travaillant dans les médias soient écartées et renvoyées chez elles. Mais paradoxalement, les talibans ont commencé par les ONG", relate Hamida Aman. Selon elle, "cela peut s'expliquer par le fait qu'ils ont voulu marquer les esprits, donner un grand coup et secouer un peu les occidentaux et la communauté internationale pour dire : on est là et on a les moyens de faire du mal. Pour l'instant, les femmes dans les médias continuent de travailler. Mais nous avons un couperet au-dessus de la tête et ça peut s'arrêter à n'importe quel moment".