Réforme de la justice : les futurs "tribunaux de proximité" portent-ils bien leur nom ?
Par Sara GhibaudoLe projet de loi, examiné en deuxième lecture aujourd'hui à l'Assemblée nationale, prévoit de fusionner les tribunaux d'instance et de grande instance dans un seul "tribunal judiciaire". Les actuels juges d'instance estiment que la justice va perdre en proximité.
Avec la réforme, le TGI de Créteil deviendra le tribunal judiciaire du Val de Marne. De lui dépendront les six tribunaux d'instance actuels, qui perdront leur autonomie. À Saint-Maur par exemple, deux magistrats traitent aujourd'hui beaucoup de dossiers de tutelles, et des demandes d'expulsion locative. Des contentieux au coeur de la vie des gens, pour lesquels la proximité est essentielle estime le juge Patrick Gendre, du Syndicat de la magistrature: "Nous sommes deux juges, avec environ 750 dossiers de tutelle par magistrat. C'est raisonnable ici, du coup on a aussi des délais relativement court". Trois à quatre mois avant l'audience, six mois pour avoir un jugement :"On reçoit beaucoup les gens, les majeurs à protéger, on essaye vraiment de les rencontrer physiquement".
"L'accueil est très important aux tutelles", confirme Clémence Blanc, greffière, "parce que les personnes sont fragilisées, et il y a une charge émotionnelle importante. Et je trouve ça très important parce que justement on a du contact directement avec les justiciables, et ça, on l'a beaucoup moins dans les grosses juridictions" témoigne la fonctionnaire qui a travaillé aux TGI de Paris ou Créteil.
Avec la réforme, Patrick Gendre deviendra un "juge du contentieux de la protection". Il sera toujours compétent pour les tutelles, le surendettement et les expulsions. Mais le tribunal d'instance traite aussi aujourd'hui tous les petits litiges entre particuliers ou avec les commerçants (pour des montants inférieurs à 10 000 euros). Ces litiges seront-ils traités demain par les "tribunaux de proximité", nouvelle appellation des tribunaux d'instance ? Oui, répond la chancellerie, qui affirme que ce sera fixé par décret. Au Syndicat de la magistrature, Patrick Gendre craint au contraire que saisir la justice ne devienne plus compliqué qu'aujourd'hui, au greffe de Saint-Maur : "C'est là qu'on fait l'accueil des personnes qui viennent entamer une procédure par simple déclaration au greffe. On leur remet un formulaire, ils le rendent, et ensuite ils sont convoqués au tribunal sans autre formalité".
Si on complexifie la procédure et qu'on l'aligne sur celle du TGI, c'est un peu comme si vous disiez aux gens : 'demain pour acheter votre baguette du pain, il faudra passer par un notaire !'
Autre source d'inquiétude, la future plateforme nationale de traitement des injonctions de payer. Des magistrats et des greffiers (on ne sait pas encore exactement combien), rassemblés dans un seul tribunal, examineront les injonctions de payer pour l'ensemble de la France (plus de 400 000 par an). Aujourd'hui les juges d'instance protègent les plus fragiles des abus du crédit à la consommation explique Patrick Gendre. "Les banques et organismes financiers demandent des condamnations sans audience. Et on procède à des vérifications qui peuvent permettre, soit de rejeter [les injonctions] quand les crédits sont trop anciens, soit s'il y a des irrégularités, le juge peut supprimer le droit aux intérêts de l'organisme prêteur. Et quand on a affaire à des crédits renouvelables avec un taux à 18-20%, cela a une importance majeure !. Les futurs magistrats recrutés sur la plateforme nationale seront-ils assez nombreux et suffisamment formés à ce contentieux technique pour protéger les consommateurs ? "
Enfin, la garde des sceaux Nicole Belloubet a beau répéter qu'aucun site judiciaire ne sera fermé, les syndicats de magistrats restent convaincus qu'avec cette fusion des tribunaux d'instance et de grande instance, le texte ouvre la voie à une nouvelle réforme de la carte judiciaire, qui viendrait vider peu à peu certains des futurs "tribunaux de proximité". Le juge Patrick Gendre pense que lui et ses collègues juges d'instance commenceront par être appelés plus souvent en renfort au TGI de Créteil, pour siéger lors des audiences pénales de comparutions immédiates.