Regarder le design autrement au musée des Arts et Métiers

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Regarder le design autrement au musée des Arts et Métiers

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EXPO - Le design consiste à rendre les objets beaux - certes, mais pas seulement : c’est aussi les rendre pratiques, moins chers, ludiques… Au musée des Arts et Métiers, l'exposition "Invention / Design, regards croisés" se propose de faire tomber quelques idées reçues.

Non, le design, ce n'est pas juste "rendre les objets jolis"

Selon Antoine Fenoglio, cofondateur du studio de design “ Sismo” et commissaire de l’exposition :

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La valorisation du design dans le mobilier a beaucoup troublé la façon dont était perçu le design .

Par exemple, le design, c'est aussi le "Mine Kafon ",un détonateur de mines innovant et écologique créé par le designer afghan Massoud Hassani. L'objet fait environ deux mètres d'envergure, se déplace grâce au vent et possède un GPS en son centre pour pouvoir repérer où il se situe... et où se trouvent les mines qu'il fait exploser sur son passage. Les "pieds" en bambous sont facilement remplaçables après explosion.

Mine Kafon, Massoud Hassani, 2011
Mine Kafon, Massoud Hassani, 2011
© Hassani Design

Le design, c'est aussi le projet Protei de César Harada : un drone marin qui peut faire des retours sur la qualité de l'eau dans des zones dangereuses pour l'homme - comme celles autours de Fukushima.

Lit LeafBed NOCC / Leaf Supply, 2011
Lit LeafBed NOCC / Leaf Supply, 2011
© Leaf Supply

Autre illustration d'un design qui se veut pratique plus qu'esthétique : le lit leafbed , déjà utilisé par les Nations Unis au Kenya et au Panama. Constitué uniquement de carton, un matériau disponible partout et en grande quantité, ce lit de camp dédié à l’hébergement d’urgence lors de catastrophes naturelles peut supporter jusqu’à 300 kilos. Il est aussi modulable et peut devenir table ou tabouret.

Rendre accessible les innovations de demain

Le design ne concerne pas que des objets exceptionnels comme ces trois exemples, il est aussi partout dans notre quotidien. Antoine Fenoglio rappelle que "toutes les brosses à dents ont été dessinées et ça ne se voit pas forcément. C'est très compliqué à fabriquer, une brosse à dents. Si vous mettez votre brosse dans la bouche et qu'elle vous blesse la gencive ou qu'elle est trop lourde, ce n'est pas du bon design" - tout simplement parce que personne ne veut acheter un objet pénible à utiliser, et qu'alors, l'objet ne sera pas utilisé… et oublié : "Tout un tas d’idées géniales ne sont jamais devenues des innovations et sont tombées dans l’oubli " rappelle Anne-Claude Hinault, sociologue et maître de conférences associée au CELSA. Alors que "des idées tout-à-fait mineures, ou pas radicalement innovantes se sont très rapidement diffusées dans les pratiques sociales."

Un phénomène observé également par Antoine Fenoglio, qui l'explique au micro de Julie Pietri :

L'inventeur se préoccupe avant tout que l'objet fonctionne ; le designer, que cet objet soit utilisé .

DESIGN Antoine Fenoglio : \"L'inventeur fait en sorte que l'objet fonctinne et le designeur, qu'il soit utilisé\"

1 min

Selon Marc Giget, Président de l’Institut européen de stratégie créative et d’innovation :

L’invention, c’est un phénomène scientifique de laboratoire ; l’innovation, c’est introduire ceci dans la réalité [...] Il y a environ 15 ans entre une invention et l’innovation qui en découle.

Quinze années pendant lesquelles les designers vont rendre (ou pas) l'objet accessible au public.

Regarder, écouter, comprendre les usagers

Pourquoi la souris d'ordinateur, carrée hier, est devenue ronde aujourd'hui ? Julie Pietri a posé la question à Antoine Fenoglio :

Peut-être qu'au départ, les besoins ergonomiques n'étaient pas aussi flagrants qu'aujourd'hui. [...] Il y aussi le temps de l'usage de cet objet : quand la souris était carrée, vous alliez une fois par jour sur ordinateur. Aujourd'hui, quand vous êtes au bureau, vous y allez peut-être deux à trois heures chaque jour. Le design s'adapte à ce nouvel usage.

DESIGN Antoine Fenoglio : \"Quand la souris était carrée, vous alliez sur ordinateur une à deux fois par jour \"

1 min

Le plus souvent, la forme d'un objet dépend de son principe de fonctionnement . Dans ce cas, les formes évoluent peu : on retrouve dans les autocuiseurs d'aujourd'hui les mêmes principes fondamentaux qui ont dirigé la construction de la "Marmite de Papin" (1693) : une soupape (logique puisque l'objet est sous pression), des poignées (il est chaud), un corps très robuste (pour contenir la force de la vapeur)...

Clavier d'ordinateur
Clavier d'ordinateur
© Musée des arts et métiers-Cnam / photo Mathieu Stern

Et pour les exceptions - les objets terriblement contre-intuitifs et pourtant utilisés - il faut prendre en compte les habitudes . Peut-être vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les claviers d'ordinateurs "azerty" étaient aussi absurdes ? Tout simplement parce que c'est un héritage formel des machines à écrire, où il fallait éviter que les tiges de fer des lettres ne se percutent lorsqu'on écrivait - on a alors inventé le clavier le moins pratique possible : azerty.

Si vous vous demandez pourquoi personne n'a pensé à faire évoluer les choses depuis, écoutez Antoine Fenoglio :

Il est très dur de s'abstraire d'une technique définie à l'origine . Dans le cadre du clavier "azerty", le minitel a essayé de faire un clavier "A, B, C, D, etc." ; les guichets automatiques de la SNCF aussi. Cela n'a pas marché : c'est devenu une acceptation culturelle , d'ergonomie, qui fait que tout le monde a l'habitude de ça et que ça ne semble pas nécessaire de le changer - alors qu'aujourd'hui on pourrait parfaitement s'en passer.

Antoine Fenoglio : "Il est très dur de s'abstraire d'une technique définie à l'origine"

27 sec

Tous designers demain avec l'imprimante 3D ?

Projet Vanités high-tech, Sismo, 2010
Projet Vanités high-tech, Sismo, 2010
© Sismo

Que peut-on faire avec une imprimante 3D ? Beaucoup de choses plus ou moins utiles. Et on peut aussi s'essayer à l'art : le studio de design "Sismo" créé depuis 2010 les « Vanités high-tech » : des sculptures de votre propre crâne - via IRM et imprimante 3D.

Les imprimantes 3D sont accessibles à tout à chacun aujourd'hui. Est-ce que cela veut dire que demain, nous pourrons tous dessiner nos objets ? "Oui, mais", répond en substance Antoine Fenoglio :

Youtube n'a pas tué Hollywood . Tout le monde fait de la petite vidéo mais on aura toujours besoin de bon scénaristes. Le designer en cela sera toujours le professionnel qui scénarise le mieux l'objet, son service et le contexte dans lequel il évolue.

Pour lui, l'intérêt de l'imprimante 3D réside surtout dans les retours utilisateurs : l'imprimante permet de produire rapidement des prototypes à faire essayer aux utilisateurs, et d'améliorer le produit en fonction de leurs retours :

imprimante 3D essayer design

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Exposition Invention / Design, regards croisés au CNAM
Exposition Invention / Design, regards croisés au CNAM
© Mathieu Stern