Rentrée littéraire, "Le temps gagné" de Raphael Enthoven : Le Masque et la plume s'écharpe

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Rentrée littéraire, "Le temps gagné" de Raphael Enthoven : Le Masque et la plume s'écharpe

Raphaël Enthoven en juin 2019
Raphaël Enthoven en juin 2019
© Getty - Stephane Cardinale - Corbis

"Livre merdique", "La France du Maréchal potin" ou au contraire "Premier roman courageux" ? Les critiques du Masque et la plume ne sont pas d'accord sur le dernier livre du philosophe. Avec Olivia de Lamberterie (Elle), Frédéric Beigbeder (Figaro-Magazine), Michel Crépu (La NRF), Arnaud Viviant (Transfuge).

La présentation de "Le Temps gagné" par Jérôme Garcin

"On parle d'un livre de 520 pages que l'éditrice Muriel Beyer appelle "la confession d'un enfant du XXIe siècle" dans un milieu ultra cossu et ultra germanopratin dont tous les personnages sont évidemment reconnaissables.  

On peut jouer au jeu très hypocrite de ne pas donner leur nom. Je pense que ce serait idiot. Donc, Raphaël Enthoven raconte avoir été battu par son beau-père. On pourrait ne rien en dire. Sauf que depuis, il porte plainte. Le psychanalyste Isi Beller attaque pour diffamation, injure et atteinte à la vie privée et demande même réparation du préjudice moral. 

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Raphaël Enthoven n'épargne pas son père, Jean-Paul Enthoven, qu'il accuse de lâcheté : « Mon propre père était trop occupé à regretter la vie qu'il avait pour se soucier de la mienne ». 

Il règle méchamment, le mot est faible, ses comptes avec son ex-femme Justine Lévy, qu'il a quittée pour une dame qui ressemble beaucoup à Carla Bruni, quand elle était en couple avec son père.  

Si vous ne me suivez pas, ce n’est pas grave. 

Le père Jean-Paul Enthoven publie au même moment un roman Ce qui plaisait à Blanche publié chez Grasset.  

Quand il ne dézingue pas les siens, Raphaël Enthoven retrace son parcours de philosophe Normalien médiatique. 

Il se défend beaucoup dans les entretiens d'avoir pratiqué de l'autofiction pure et dure. Mais quel est ce livre sinon ?"

Olivia de Lamberterie : "C'est un roman merdique"

"J'aime beaucoup le journaliste Raphaël Enthoven. Je le trouve souvent courageux et je partage ses positions sur l'universalisme. 

Mais j'ai trouvé ce livre vraiment dégoûtant. J'ai fermé les yeux en le lisant.

Je les ouvrais pour venir ici en parler au Masque, mais j'aurais vraiment aimé les fermer. Le temps gagné vous rend voyeurs de choses qui ne vous regardent pas. C'est un livre qui vous rend juge d'instruction. En tant que lecteur, on s’interroge : où est la vérité ? Comment savoir puisque la seule source de vérité est ce garçon, le narrateur ? 

Il faudrait qu'il y ait un logiciel pour compter le nombre de phrases qui commencent par « je » « je » « je »…  Chez Emmanuel Carrère, il y a beaucoup de « je » mais le monde existe autour. 

Là, vous avez Raphaël et les méchants, c'est à dire tout le monde.  

On a évoqué le beau-père et le père. Mais je trouve les pages sur son ex-femme disqualifiantes. On ne peut pas écrire sur une femme que vous avez épousée ce qu'il écrit sur celle qu'il appelle Faustine. Dans tous les interviews, il dit que c'est Justine Lévy. Alors à quoi bon l'appeler Faustine ?

Il dit qu’on l’a forcé à l’épouser… Mais que veut-il dire par là ? Justine Lévy a écrit sur lui, mais pas de cette manière. Elle n'a pas fait cette espèce de règlement de comptes avec que du ressentiment. Elle n'a pas raconté comment Raphaël Enthoven allait sur le trône. Lui, le fait. Il s’est dit que ça allait être moderne ? Transgressif ?"  

Frédéric Begbeider : "Cette page fait allusion à Belle du Seigneur. Albert Cohen écrit que les bruits de chasse d'eau détruisent l’amour dans un couple qui habite un tout petit appartement. Tous les couples un peu romantiques font attention quand ils vont aux toilettes. Ce n'est pas scatologique." 

Olivia de Lamberterie : "C'est un roman merdique. La scène de l'avortement est disqualifiante. Personne n'a le droit de raconter cela. Personne n'a le droit d'écrire aussi platement. Tous ces « je », « je »… Le Temps gagné n'a pas de rythme, ni de style.  

Pour finir, c'est lui qui parle, c'est Raphaël Enthoven. Mais alors, pourquoi lui est Raphaël dans le livre, et pas les autres ? Pourquoi Carla Bruni s'appelle Béatrice ?"

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Frederic Beigbeder : "Beaucoup de choses qui sont exagérées dans la manière de traiter ce livre"

F.B : «  On ne peut pas commencer des phrases sur la littérature en disant « Personne n’a le droit de...». C'est très grave.  Il y a beaucoup de choses qui sont exagérées dans la manière de traiter ce livre. Pourquoi Raphaël Enthoven se fait massacrer partout ? Il y a une règle dans la critique littéraire, c'est qu'on ne dézingue jamais un premier roman. Il a certes écrit des livres de philosophie mais pas encore de roman. 

Ensuite, Adolphe, de Benjamin Constant est l'histoire d'une désillusion amoureuse. Il a changé les noms, mais Mme de Staël s'est reconnue. Elle était furax. Dans La recherche du temps perdu, il y a le comte Greffulhe, qui est décrit sous le nom du duc de Guermantes. Il était furax aussi. 

L'histoire littéraire n'est faite que de ça : d’écrivains qui ont transformé leur existence, et des personnages réels en personnages de roman. 

Si jamais Raphaël ne fait pas ça, alors on arrête d'écrire des livres sur la vie. Tu as apprécié Yoga où Carrère a édulcoré par respect pour ses proches la réalité. Ici, Raphaël Enthoven prend le risque de vraiment tout dire. C’est courageux, mais il le paye très cher."

Olivia de Lamberterie : "La littérature, ce n'est pas trépigner en disant « j’ai le droit » !" 

F.B : "Ce livre est l'histoire d'un homme qui se libère de son père, de sa mère, de son milieu, d'une pression qui l'a poussé à se marier avec sa meilleure amie d'enfance. Il est ainsi libéré de ce mariage aussi. Une histoire très compliquée à raconter. Ça fait 500 pages et moi, je trouve que c'est un des grands livres de la rentrée."

Michel Crépu : « Un roman de l'époque écrit par un enfant de la culture 1968 sur lequel plane le fantôme de Lacan »

"Je trouve que c'est un livre très intéressant. C'est un roman de l'époque écrit par un enfant de la culture 1968. L'époque Lacan, très présent dans le livre. Il plane au-dessus comme une sorte de fantôme. 

Mais ce livre est fait de maladresses et en même temps d'habileté, d'élégance, mais aussi d'horreurs, et d'obscénités... On peut poser un regard très négatif de ce livre, mais ce n'est pas ce qui m'intéresse.  

Je pense que Proust et Balzac aurait été très intéressés par cette histoire. Ils en auraient fait quelque chose." 

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Arnaud Viviant : « C'est la France du maréchal Potin ! »   

"Quand je lis ça, j'ai l'impression d'avoir passé dix heures dans la salle d'attente de mon coiffeur ! 

Ces personnages ne m'intéressent pas. Justine Lévy, Bernard-Henri Lévy, Enthoven père, etc.  De son passé, il n'en fait rien et il n'écrit pas. Il ne sait absolument pas écrire. 

C'est la France du maréchal potin ! On est entre le maréchal Potin et le maréchal Popotin.

J’ai dû me désinfecter vraiment après cette lecture et j'ai lu L'Autobiographie philosophique de Barbara Cassin. Là, vous avez une sorte de chef d'œuvre qu'aurait pu faire Raphaël Enthoven. C’est un premier roman, mais Raphaël Enthoven n’est pas le perdreau de l'année. D’ailleurs Le temps gagné n’est pas un roman.  

Frédéric Beigbeder : "Vous voulez des romans aseptisés ? Des livres « feelgood » ? Des kits de développement personnel, c'est cela que vous voulez ?"  

Olivia de Lamberterie : "Choisis ton camp, camarade. Ne pas aimer Yoga d'Emmanuel Carrère et défendre ce roman est très bizarre."

Le temps gagné de Raphaël Enthoven (l'observatoire).

Avec : 

  • Olivia de Lamberterie (Elle)
  • Frédéric Beigbeder (Figaro-Magazine)
  • Michel Crépu (La NRF) 
  • Arnaud Viviant (Transfuge) 
  • Jérôme Garcin (L'Obs)