Retraites : en 30 ans, l'article 40 a été utilisé 25 fois pour retoquer des propositions de loi
Par Lorélie CarriveLe 8 juin, la majorité devrait tenter d'utiliser l'article 40 de la Constitution pour bloquer la proposition de loi du groupe Liot qui prévoit d'abroger la réforme des retraites. L'actualité braque les projecteurs sur ce dispositif méconnu pourtant régulièrement utilisé à l'Assemblée.
49.3, 47.1, RIP... La réforme des retraites aura décidément (re)mis en lumière des mécanismes législatifs relativement méconnus. Dernier en date : l' article 40 de la Constitution. Le 8 juin prochain, le groupe Liot - composé de députés centristes, corses, d'Outre-mer et de dissidents socialistes - soumettra ainsi au vote de l'Assemblée une proposition de loi visant à abroger le texte adopté au forceps il y a deux mois, et qui repousse à 64 ans l'âge légal de départ à la retraite. Pour faire barrage, la majorité devrait donc avoir recours à l'article 40 de la Constitution, selon lequel une proposition de loi (ou un amendement) n'est pas recevable si celle-ci ou celui-ci crée une "diminution des charges publiques" ou "la création ou l'aggravation d'une charge publique".
Totalement ou partiellement irrecevables
Si cet outil, dont les modalités d'applications sont détaillées dans l'article 89 du règlement de l'Assemblée nationale, a jusqu'ici rarement fait parler de lui, il n'en est pas moins régulièrement utilisé. Ainsi, depuis 1993, 25 propositions de loi ont été jugées totalement ou partiellement irrecevables sur ce fondement, selon un décompte mis en avant par l'entourage de la Première ministre Élisabeth Borne.
L'exemple le plus récent remonte à janvier 2021. L'Assemblée examine alors une proposition de réforme du courtage de l'assurance. Plusieurs alinéas prévoient d'élargir le périmètre de l'ACPR, autorité adossée à la Banque et France et qui contrôle les banques et les assurances. Ces missions supplémentaires induisant un coût pour l'institution, le président de la commission des finances (à l'époque le LR Éric Woerth), a déclaré les alinéas concernés irrecevables.
De la carte communale à la lutte contre la prostitution
En 1998, dans le cadre des débats sur le Pacte civil de solidarité, un article qui permettait aux couples homosexuels ayant conclu un PACS de se voir reconnaitre la qualité d'ayant-droit d'assuré social avait été jugé irrecevable par le bureau de la commission des finances. Avant d'être finalement réintégré quelques semaines plus tard, à la faveur des débats. Trois ans plus tôt, en 2001, l'article 40 avait déjà été mis en avant pour un texte sur les retraites. Déposé par le communiste Alain Bocquet, celui-ci ouvrait le droit à la retraite à taux plein pour les salariés ayant cotisé 40 annuités.
Idem pour une proposition de loi de juin 2015 renforçant la lutte contre la prostitution : le texte prévoyait le blocage des sites internet proposant un accès à des prostituées. Saisi par l'écologiste Sergio Coronado, le président de la commission des finances Gilles Carrez avait retoqué la mesure, estimant que celle-ci représentait une charge supplémentaire pour l'État. On peut également citer, pêle-mêle, la proposition de loi Économie bleue (2015), celles sur l'assouplissement des règles relatives à la refonte de la carte communale (2012) ou l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et Mayotte (2009).
On notera par ailleurs un recours important à cet article sous la XIIIe législature (2007-2012), lors du mandat de Nicolas Sarkozy. La présidence de la commission des finances était alors aux mains du PS, assurée par Didier Migaud puis Jérôme Cahuzac.