RTT, congés, rideau baissé… Ces Français qui se mobilisent contre la réforme des retraites sans faire grève
Par La rédaction numérique de France Inter
Alors que les syndicats appellent à une troisième journée de grève contre la réforme des retraites mardi 7 février, des Français cherchent de nouveaux moyens de se mobiliser, sans que cela n'impacte trop leur travail ou leur portefeuille. Nous avons recueilli leurs témoignages.
Les syndicats appellent à une troisième journée de grève contre la réforme des retraites mardi 7 février. Mardi 31 janvier, le taux de gréviste était en baisse par rapport au 19 janvier, mais le nombre de manifestants dans la rue en hausse. Cette fois, le ministère de l'Intérieur estime qu'environ un million de personnes vont se joindre au cortège, soit un peu moins que la semaine dernière. Mais pour certains employés, il est parfois délicat de poursuivre la mobilisation, pour des raisons financières ou parce que le secteur professionnel se mobilise peu. Alors certains s'arrangent autrement, bien décidés à ne pas lâcher le mouvement.
Prendre des journées de RTT ou des congés
"J'ai posé une demi-RTT pour l'après-midi, pour rejoindre la manifestation parisienne à Opéra, et faire le parcours durant tout l'après-midi", explique Théo, 28 ans, chargé de communication digitale en Île-de-France, contacté via un appel à témoin lancé sur le site de France Inter. Après deux ans de chômage, il n'avait pas pu se mobiliser les 19 et 31 janvier, mais, désormais, il ne manquera plus aucun défilé. " J'ai participé à quasiment toutes les manifestations contre les réformes des retraites depuis que j'ai l'âge de manifester, 16-17 ans environ. Ça a toujours été une conviction", explique-t-il.
Il travaille pour "une petite association où il n'y a pas de syndicat représentatif, donc il n'y a pas de préavis de grève qui a été déposé". Ila donc choisit de s'organiser seul. Après avoir "pris de plein fouet" la réforme de l'assurance chômage et vu son allocation baisser, il n'a pas envie de perdre ses droits à la retraite. Aujourd'hui, il voit son père, âgé de 63 ans et qui devrait partir à la retraite : "Mais il ne peut pas car il n'a pas assez cotisé."
Même détermination pour Christine, 57 ans, climatologue à Météo-France et qui envisage de "poser une journée de congé" ce 7 février, comme plusieurs collègues. "J'ai déjà perdu deux jours de paie pour battre le pavé en janvier, ça commence à faire financièrement", explique-t-elle. Mais pas question pour autant de se démobiliser, elle estime que les manifestations restent "une preuve de mobilisation efficace".
"J'aurais aimé qu'on puisse conserver cette liberté de partir à 62 ans. Il y a des professions qui partent déjà plus tard, car les personnes ont des conditions de travail qui leur sont plus favorables. Mais je suis agacée par l'injustice que ça créé", déclare-t-elle . "Moi je serai assise deux années de plus sur un fauteuil, donc ce n'est pas un combat personnel mais un combat pour tout le monde." Et elle compte tenir sur la longueur : "Là, si je prends une journée de congé, la prochaine fois je pourrai peut-être faire grève. L'idée pour moi c'est de continuer car je pense que c'est une vraie régression sociale."
Fermer son établissement
Anne, gérante d'un petit hôtel-restaurant sur une île bretonne, à l'habitude de fermer son établissement pour pouvoir aller manifester sur le continent, en bateau. "Ça me parait important", explique cette cheffe d'entreprise âgée de 58 ans, qui ne prend pas de clients à partir de la veille au soir. "Je ne vois pas comment, dans nos professions, on va pouvoir avoir des gens qui travaillent jusqu'à 64 ans. C'est inimaginable. Physiquement, ce sont des métiers qui sont difficiles ", lance-t-elle, très remontée contre la réforme des retraites. " En cuisine et en service, c'est fatigant. Les femmes de chambre, je ne vous en parle même pas. J'invite les gens à venir faire une semaine des chambres… " Selon Anne, " il va y avoir énormément d'arrêts-maladies, on va déplacer le problème."
Elle estime que le fait de sanctionner les entreprises n'est pas forcément une bonne solution non plus. "Vous imaginez...je ne vais pas raisonnablement embaucher quelqu'un dont je sais que ça va l'épuiser. Et on va me sanctionner moi ? C'est reporter la responsabilité sur les chefs d'entreprise. Je ne suis pas concernée car j'ai moins de 50 salariés, et j'ai compris que c'était le seuil, mais ce n'est pas parce que ça ne me concerne pas que je ne m'en préoccupe pas." Anne , qui a "très bien compris la réforme", considère que c'est "un choix politique, un choix de société" très éloigné du sien.
D'autres, comme Christophe ou Anne, salariés du secteur privé, ont décidé de faire grève une demi-journée. Les manifestations, "je les ferais toutes", déclare Christophe, technicien de production. "Et j’essaye toujours d’emmener des personnes avec moi", ajoute ce cinquantenaire, opposé au report de l'âge légal de départ à 64 ans. Nathalie, elle, est fonctionnaire et est donc obligée de faire grève la journée entière. Elle va se mobiliser, une troisième fois, pour "le maintien des acquis" et la situation des "femmes".
Financer les caisses de grève
Parmi ceux qui ne ne peuvent pas se déclarer "grévistes", certains décalent leurs horaires de travail ou participent à l'élaboration de banderoles, rapporte le site d'information "Rue 89". Chez les plus jeunes, la contestation de la réforme s'organise sur la plateforme Twitch, où des streamers ont déjà récolté 43.000 euros qui seront reversés aux caisses de grève, rapporte Franceinfo.
Théo, qui témoignait ci-dessus, rejoint régulièrement ces "temps de débat virtuel sur Discord et sur Twitch". "Lorsqu'on ne peut pas être présent physiquement ou par la grève, on se mobilise virtuellement", conclut-il. Parfois, "entre deux réunions" de travail. En 2020, lors de la précédente mobilisation contre la réforme des retraites, des vidéastes s'étaient relayés durant plusieurs semaines sur la chaîne "Le Stream Reconductible". En jouant aux jeux vidéos, ils avaient récolter plus de 130.000 euros de dons pour les caisses de grève.