Sans-abris au temps de la Covid : "Ces prochains mois vont être difficiles" au bois de Vincennes

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Sans-abris au temps de la Covid : "Ces prochains mois vont être difficiles" au bois de Vincennes

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Trois fois par semaine les sans-abris du Bois de Vincennes peuvent venir se réchauffer, demander de l'aide administrative dans le local de la maraude.
Trois fois par semaine les sans-abris du Bois de Vincennes peuvent venir se réchauffer, demander de l'aide administrative dans le local de la maraude.
© Radio France - Alexandra Lagarde

Ils sont plus d'une centaine à avoir vécu la crise sanitaire et les deux confinements dans le Bois de Vincennes. Privés des distributions alimentaires et de leurs petits boulots du jour au lendemain, cette période aurait pu être catastrophique si les associations n'avaient pas réagi. Mais le plus dur reste à venir.

Dix heures précises, les équipes d'Emmaüs Solidarité ouvrent les portes de leur local avenue de Nogent, au pied du Bois de Vincennes. Quelques silhouettes, têtes baissées, masque chirurgical sur la bouche, se pressent pour entrer. À l'intérieur de la bâtisse, des viennoiseries fraiches dans des petites assiettes, des thermos de café posés sur une table. "Bien dormi Sadou ?" interroge un membre de l'équipe. "Comment vas-tu Nikolaï ?", demande un autre. 

Les mains repliées sur le gobelet de café fumant, une petite dizaine de sans-abris tentent de se réchauffer malgré les courants d'air. La grande porte doit rester ouverte, Covid oblige. Depuis juin dernier, le centre a rouvert ses portes. Trois fois par semaine les "habitants" du bois peuvent venir demander de l'aide pour des formalités administratives aux équipes d'Emmaüs, se restaurer, partager un moment. Car eux non plus n'ont pas été épargnés par la crise de la Covid-19

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À crise exceptionnelle, aide exceptionnelle 

Aujourd'hui, ils sont 121 sans-abris dans le bois, répartis dans 85 campements. Ils ont été jusqu'à 175 en octobre dernier, pendant le deuxième confinement. Bruno Morel, directeur général d'Emmaüs Solidarité se réjouit de voir que le nombre de sans-abris a baissé ces dernières semaines après plusieurs mois difficiles : "L'ouverture des places dans des centres d'hébergement a permis de réduire le nombre de sans-abris. Et puis nous avons créé, pour les situations les plus urgentes, une petite structure de 17 places d'hébergement dans un pavillon qui appartient à la Ville de Paris en plein cœur du bois." 

Dans le local de la maraude des petits gâteaux, du gel hydroalcoolique et des boissons sont mises à disposition pour les sans-abris.
Dans le local de la maraude des petits gâteaux, du gel hydroalcoolique et des boissons sont mises à disposition pour les sans-abris.
© Radio France - Alexandra Lagarde

Des petites améliorations après des mois qui n'ont pas toujours été simples, même s'ils auraient pu être bien pire. En mars dernier, du jour au lendemain, toutes les distributions alimentaires ont été stoppées et les centres d'hébergement fermés. "Les gens qui vivent dans le bois sont des personnes très autonomes, explique Herbert qui est à la tête de l'équipe d'Emmaüs solidarité dans le bois de Vincennes. Certains ont même un travail dans le BTP ou la logistique, leur activité s'est donc arrêtée pour eux aussi début mars. D'autres encore subsistaient grâce à la manche, mais dès les premiers jours du confinement ils revenaient parfois avec un euro à peine pour manger et s'acheter des produits d'hygiène. Il a fallu réagir vite pour éviter le pire." 

Un masque de tissu blanc sur la bouche, les cheveux grisonnants, Diao reste debout devant l'entrée du local. Il se souvient des derniers mois : "Je vivais dans les bois pendant le premier confinement. Je faisais des ménages donc j'ai pu continuer de travailler. Au début j'avais peur, oui. Je ne savais pas ce que c'était." Depuis un mois le quinquagénaire a trouvé une place en hébergement, mais il garde la crainte de tout perdre : "J'ai passé plus d'un an dans les bois. Bien sûr que la période est inquiétante.

"On a vu que collectivement on pouvait améliorer les choses maintenant il faut qu'on arrive à traiter de la question du 'sans-abrisme', en dehors de l'actualité."

C'est dans ce contexte très particulier que les équipes de maraude ont mis en place, dès les premiers jours du confinement, grâce à des partenariats, une distribution alimentaire. "On a distribué jusqu'à 330 paniers repas par jour. Dans les colis il y avait un repas pour le midi, des flacons de gel hydroalcoolique, des masques", détaille Herbert. Des actions toutes nouvelles pour Emmaüs, mais nécessaires selon le chef d'équipe : "On n'avait jamais distribué dans le bois directement auprès des sans-abris car l'idée est toujours d'éviter de les sédentariser. Mais là, dans ce contexte, il fallait réagir vite." Toujours en réaction à cette crise, Emmaüs a également distribué une vingtaine de portables reconditionnés. Herbert se souvient de la réaction de Richard, un sans-abris âgé de plus de 65 ans lorsqu'il a reçu un portable : "Il était super heureux, je me souviens. Ce portable devait lui servir à nous prévenir en cas de besoin, si jamais il présentait des symptômes du Covid. Mais il lui a surtout permis de renouer des liens avec sa famille."

Depuis le début de la crise, Emmaüs Solidarité a distribué des centaines de gel hydroalcoolique aux sans-abris du bois de Vincennes.
Depuis le début de la crise, Emmaüs Solidarité a distribué des centaines de gel hydroalcoolique aux sans-abris du bois de Vincennes.
© Radio France - Alexandra Lagarde

Car cette crise a également permis quelques moments de répit. Sylvain fait partie de l'équipe des maraudes, il en a été témoin : "je me souviens ce jour où l'un des sans-abris m'a dit, 'Ça faisait depuis longtemps que je n'avais pas pris de poids'. Les paniers repas ont vraiment facilité les choses. Malgré tout la situation reste difficile, notamment pour ceux qui étaient en phase de réinsertion au moment de la crise et qui sont revenus au point de départ." 

Devant lui sur le comptoir du bar du local de la maraude, des flacons de gel hydroalcoolique sont disposés comme sur le présentoir d'une pharmacie. Richard, qui habite dans le bois, s'avance et en récupère deux. Herbert le regarde faire puis commente : "Aucun des sans-abris n'a eu le Covid-19, nous avons réussi en quelques mois à les sensibiliser sur ce sujet-là et ce n'était pas gagné d'avance. On reste attentifs." 

Plus de sans-abris ces prochains mois ? 

Attentifs et combattifs, ce sont aussi les termes de Bruno Morel, alors que la crise est loin d'être terminée : "On va être extrêmement vigilants sur les places en structures qui ont été exceptionnellement ouvertes ces derniers mois. Le plus gros échec serait de remettre ces personnes à la rue. On ne sait pas du tout ce que va devenir cette crise épidémique, mais tous les indicateurs nous laissent penser qu'elle va durer au-delà de l'hiver, il faut donc se préparer pour ces prochains mois. Mais derrière tout ça le sujet reste celui du manque des logements sociaux à coût abordable." Il marque une pause avant d'ajouter : "Toutes les associations se sont mobilisées pour que les SDF ne soient pas les oubliées de la crise. On a vu que collectivement on pouvait améliorer les choses mais maintenant il faut qu'on arrive à traiter de la question du sans-abrisme, en dehors de l'actualité."

Une question d'autant plus centrale selon le directeur que ces prochains mois risquent d'amener de nouvelles personnes à la rue : "Je crains les conséquences économiques de la crise du Covid. Toutes les personnes qui avaient des petits boulots qu'ils ont perdu ces derniers mois, qui ont essayé de tenir avec les petites réserves qu'ils avaient, s'ils en avaient, on craint qu'ils finissent à la rue ces prochains mois." Herbert partage cet avis et souligne l'effet pernicieux de la précarisation : "c'est un phénomène au long cours. Une procédure d'expulsion de logement peut prendre jusqu'à deux ans. Les gens en difficulté aujourd'hui peuvent être à la rue dans plusieurs mois." 

C'est pourquoi Bruno Morel envisage les mois qui viennent avec beaucoup de prudence : "Nous sommes dans le flou, comme tout le monde. Il y a un risque que la population augmente dans le bois de Vincennes. Le pavillon, qu'on a créé à Saint-Maurice par exemple, est ouvert pour deux ans, ce n'est pas pour rien. Ces prochains mois vont être difficiles."