Sarah Abitbol : "Peut-être que sur la glace, je vais pouvoir être complètement libérée"
Par La rédaction numérique de France Inter
Elle fait partie de celles qui ont réveillé les consciences sur les violences sexuelles dans le sport : la patineuse Sarah Abitbol avait dénoncé les viols et agressions sexuelles commis par son ex-entraîneur Gilles Beyer. Ce dernier vient de mourir, entraînant la fin de l'action judiciaire.
Gilles Beyer ne sera jamais jugé pour agressions sexuelles et harcèlement sexuel, des faits pour lesquels il avait été mis en examen en janvier 2021. Ni pour les viols et agressions sexuelles répétés dont l'accuse Sarah Abitbol, qui n'avait pas porté plainte au vu de la prescription des faits. Son ancien entraîneur est mort cette semaine, à l'âge de 66 ans. Il avait reconnu, dans une déclaration écrite, "des relations intimes" et "inappropriées" avec la jeune femme, âgée de 15 à 17 ans à l'époque des faits. Sarah Abitbol a accepté de répondre aux questions de Frédéric Barreyre dans le journal de 13h de France Inter.
FRANCE INTER : La mort de Gilles Beyer entraîne la fin de l'information judiciaire, il ne passera pas devant un tribunal. Comment vivez-vous cette annonce ?
SARAH ABITBOL : "Je suis perturbée, j'ai fait beaucoup de cauchemars et j'ai très peu dormi depuis cette annonce : il part avant d'être jugé. J'aurais aimé qu'il ait un procès. Ce qui est fou, c'est que ce décès arrive dix jours avant mon spectacle, où j'évoque mon traumatisme, la libération de la parole, ma renaissance et mon retour sur glace... Dieu en a décidé ainsi, c'est le karma.
Je pense qu'une confrontation, pour moi, était nécessaire. Peut-être que sur la glace, je vais pouvoir être complètement libérée, penser simplement à patiner, à cette renaissance, avec le public.
Un procès aurait été une reconnaissance. Mais cette reconnaissance, elle va venir du public. Je me sens de mieux en mieux, je suis à 70 % guérie aujourd'hui. Il faut se dire que ça devait être comme ça. Les planètes se sont alignées au moment où je reviens sur la glace."
Comment ce retour au patinage a-t-il été bénéfique pour vous ?
"C'est une sorte de thérapie pour moi, de parler avec mon corps. Il a parlé pour la première fois à 15 ans, et ensuite il n'a pas pu s'exprimer, tout comme mon esprit, pendant 30 ans. Aujourd'hui, je l'exprime sur la glace. C'est la première fois qu'une artiste arrive avec son metteur en scène avec un numéro qui est déjà monté, et qui montre aux patineurs de "Holiday on Ice" le rôle qu'ils ont, toute la chorégraphie. Ils font partie de ce message d'espoir pour toutes les victimes. Aujourd'hui, ils sont avec moi dans ce combat, et c'est très important pour moi."
En plus de ce spectacle, vous êtes aussi à l'origine d'une exposition photo (à Paris à partir du 3 février) pour sensibiliser aux violences sexuelles dans le sport. Qu'y montrez-vous ?
"C'est une exposition conduite par Tom Bartowicz, sur mes conseils. Elle regroupe des photos poignantes, qui s'adressent à un large public, avec des phrases choc. Il y a par exemple une photo de moi avec mes trophées, et ce message : "Ma plus belle victoire, c'est d'avoir parlé". Ces photos sont très subjectives, très sensibles, elles permettent à un public large de comprendre que ça peut arriver, ça incite à engager la conversation sur ces sujets, notamment avec les enfants.
Mon message c'est qu'un adulte n'a pas le droit de toucher à un enfant, et que s'il arrive quelque chose il faut en parler, il ne faut pas attendre 20 ou 30 ans. La honte et la peur doivent changer de camp. C'est trop important, parfois on en parle trop tardivement, et on en garde de grosses séquelles. Le moindre geste déplacé, le moindre problème : parlez-en, à un psychologue, à vos parents, à quelqu'un de confiance, parce que vraiment, ce n'est pas de notre faute."