Sébastien Lifshitz : ses "Adolescentes" enthousiasment Le Masque et la plume

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Sébastien Lifshitz : ses "Adolescentes" enthousiasment Le Masque et la plume

Détails de l'affiche des "Adolescentes" du film de Sébastien Lifshitz
Détails de l'affiche des "Adolescentes" du film de Sébastien Lifshitz
- @Ad Vitam

CRITIQUE - Unanimité rare parmi les critiques cinéma de l'émission. Tous saluent la beauté du film et sa capacité à saisir ces deux filles et la société autour d'elles. Avec Sophie Avon (Sud-Ouest), Pierre Murat (Télérama), Xavier Leherpeur (7ème Obsession), Eric Neuhoff (Figaro) et Jérôme Garcin (L'Obs)

La présentation d'"Adolescentes" par Jérôme Garcin 

« Adolescentes, un documentaire et film de Sébastien Lifshitz. Il avait réalisé notamment Les invisibles. Pendant 2h15, on suit l'histoire assez banale, d'une amitié entre deux ados très différentes, mais inséparables : Emma et Anaïs, que le réalisateur a filmées depuis leurs 13 ans jusqu'à leur majorité, de la quatrième à la terminale, soit pendant cinq ans saisons après saisons dans la ville de Brive-la-Gaillarde.

Au début, je me suis dit que j'allais m'ennuyer. Et puis, très vite, on devient totalement addict. 

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Tout l'art de ce cinéma est de nous faire entrer en scope dans la vie quotidienne, voire intime, d'Emma, fille unique, issue d'un milieu favorisé, brillante en classe, mais avec un père toujours absent. Et dans celle d’Anaïs, élève en échec scolaire, venue d'un milieu très modeste, avec un frère handicapé et une mère dépressive. 

On les voit peu à peu devenir des jeunes femmes, chacune avec un avenir et des rêves différents, sans que jamais on n'ait l'impression qu'elles jouent devant la caméra. 

Un rôle qu'on aurait écrit pour elle. Et puis, c'est aussi le portrait de la France de ces cinq années-là. Une France blessée à mort par les attentats où bientôt Macron sera élu président. On pense de temps en temps à Boyhood (le film de 2014 de Richard Linklater qui a suivi une famille pendant 12 ans). Ce film de 2h15 est issu de 500 heures de rush ! » 

On aura tout vu
46 min

Eric Neuhoff : « Un film très réussi sur la vraie vie »

« Les 500 heures de rush expliquent la qualité des 2h15 restants. 

On sent la confiance : ces gens filmés ont complètement oublié la caméra, c'est sidérant ! 

On a raison de le comparer à Boyhood parce que c'est le même genre de film, mais dans la réalité, dans une ville de province, Brive-la-Gaillarde, où l'on voit le temps passer avec les événements, l'actualité… On voit ces deux gamines grandir. On a sous les yeux, de façon sidérante, cet âge où on a l'impression que personne ne vous ressemble assez pour vous comprendre. Même votre meilleur ami, parce qu'il y a des moments où elles sont un peu perdues toutes les deux.

Elles sont très différentes, elles sont le ying et le yang. L’une veut être actrice, l’autre infirmière, ou aide-soignante. 

On voit la vraie vie, pour une fois : le travail, l'école, les parents, l'incompréhension entre les générations, le temps qui passe, les saisons, les baignades dans le plan d'eau, les fêtes foraines, le 14 juillet, Noël… 

Pas une seule fois, il n'est question de la Foire du livre. On voit l'endroit où ça se déroule d'habitude, mais il n'y a rien dessus dans le film. On se rend compte que les livres ne doivent pas compter pour ces gamines, même si l'une d'elle s'appelle Emma peut-être en référence à Bovary.

Le film est très réussi. C'est marrant : malgré leur jeune âge, elles sont déjà nostalgiques de ce qui leur est arrivé. C'est très curieux et très beau. Et j'espère que cette expérience vécue durant ces cinq ans les aidera à ne pas devenir comme les autres. » 

Pierre Murat : « Un film formidable fondé sur la vie »

« J’avais très, très peur parce que je ne suis pas un fan de Boyhood. Je trouve les films Les Invisibles, Bambi ou La Traversée de Lifshitz magnifiques. Là, ce qui est formidable, c'est qu’il arrive à rendre au bout d'une demi-heure ces personnages totalement romanesques. Et à la fin, les deux filles deviennent presque les amies de films hollywoodiens comme Riches et célèbres (film de 1981 George Cukor avec Jacqueline Bisset et Candice Bergen) avec des gens qui passent leur adolescence ensemble, et dont on a envie de savoir ce qui va leur arriver.

Ce film est vraiment fondé sur la vie. Mais il devient une fiction absolument formidable, avec des personnages qui évoluent. L'une devient presque la mère de ses parents qu’elle conseille. 

Il y a une espèce d'humanité qui passe.

A la fin, elles éprouvent une nostalgie devant la génération qui arrive alors qu'elles sont toutes jeunes. Et elles remarquent qu’il y a déjà la nouvelle génération qui arrive : « Tu as vu, ils ont des téléphones portables. De mon temps, on n’avait pas tous ces téléphones ». Lifshitz a réussi à créer un cycle de la vie en 2h15. C'est vraiment formidable. » 

Xavier Leherpeur : « C'est vraiment un film magnifique » 

La grande différence avec Boyhood - qui pour moi n'est pas un très bon film - c'est la mise en scène, tout simplement.

Lifshitz n’a pas choisi un format qu'on utilise habituellement dans le documentaire. Il a pris un scope. Depardon dit que « le scope, c'était le format des westerns ». Il y a de cela dans ce film. 

Au contraire de Richard Linklater (le réalisateur de Boyhood) qui n'inscrivait ses personnages dans aucun contexte, aucun espace social, à part peut-être celui de la famille, Sébastien Lifshitz fait exister des espaces autour de ces deux filles qui sont des espaces de vie - le milieu scolaire, la famille, - qui sont tout ce qu'elles vont faire aussi plus tard, l'espace sociétal, c'est à dire la France pendant cinq ans. 

On voit les attentats, la peur, la manière dont elles s'engueulent avec leurs parents en les priant de ne pas faire d'amalgame, et que tous les musulmans ne sont pas des terroristes. Elles ont donc déjà un libre arbitre, et quelque chose d'une vraie prescience. Mais elles ont aussi déjà beaucoup de doutes, et pas beaucoup d'innocence. Elles ont déjà comme une conscience de ce qui les entoure, de ce qui les attend. 

Tout cela existe grâce à la mise en scène et à des plans fixes qui sont pensés pour qu'il y ait un cadre de vie autour des personnages. 

Le format du scope apporte du romanesque à la matière documentaire. Et puis ce n'est pas que l'histoire d'une adolescente, ce sont deux adolescents complémentaires, différentes, fusionnelles et à elles deux, elles ne racontent pas tout, mais beaucoup plus de choses que s'il n'y avait eu qu'un seul motif à l'intérieur du film. C'est vraiment un film magnifique. »

Sophie Avon : « Un film magnifique qui saisit avec intelligence les rapports mère-fille »

« C’est un film magnifique où en effet, elles deviennent des personnages. Et il faut reconnaître qu'il y a un travail de montage absolument extraordinaire, et de mise en scène. 

Sébastien Lifshitz arrive à saisir quelque chose de très peu montré au cinéma : le rapport entre une mère et sa fille. Des deux côtés d'ailleurs : autant Anaïs avec sa mère : l’adolescente très désemparée, face à cette mère, très poignante, qu'Anaïs rembarre. Et de l'autre côté, on a une mère très autoritaire face à Emma, qu’elle appelle sans arrêt « ma fille », comme si elle ne lui autorisait qu'à être sa fille. Cette mère-là aussi se fait rembarrer par Emma. C'est hilarant, et en même temps, c'est d'une cruauté et d'une violence… Le réalisateur saisit la violence des mots entre une mère et sa fille. Une violence qui fait partie de l'adolescence. C'est l’âge où l’on passe de la haine à l'amour et de l'amour à la haine en une seconde. Et c’est vraiment très très beau » 

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