"Si j'avais su..." : au procès de l'Afghan qui a enfreint son contrôle administratif en France
Par Ariane Griessel
Le ressortissant afghan placé lundi en garde à vue pour avoir enfreint le contrôle administratif auquel il est soumis, en raison des liens qu'il est soupçonné d'avoir avec les talibans, a été condamné mercredi à dix mois de prison avec sursis.
"Si j'avais su, croyez-moi, je n'aurais pas essayé de sortir". Dans le box des prévenus, l'homme jugé en comparution immédiate, ce mercredi 25 août, fait partie des cinq évacués d'Afghanistan soupçonnés d'être liés aux talibans. Ces hommes qui suscitent polémiques et inquiétudes, dont l'un a été vu armé en train de tenir un barrage taliban. Mais celui qui se tient dans le box, en cette fin d'après-midi, n'a ni attitude guerrière, ni discours revendicatif. Polo vert kaki, taille moyenne, mince, serrant un mouchoir dans sa main gauche, regard parfois perdu, il ne saisit pas la mécanique de ce droit français que même les francophones ne comprennent pas toujours.
L'homme, repéré par la DGSI, fait, comme ses quatre compatriotes, l'objet d'une Mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (Micas) qui lui interdit de quitter la commune de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) où se trouve son hôtel. Or, ce ressortissant afghan, âgé de trente ans, a été interpellé lundi 23 août dans le 18ème arrondissement de Paris. Il "ne savait pas", donc. Ses versions, relayées au tribunal par un interprète, varient au fil de l'audience.
Dans l'une, il explique que le policier a laissé le document lui notifiant la mesure dans sa chambre, en son absence. "On imagine assez mal un commissaire venir dans votre chambre, voir que vous n'êtes pas là, et laisser le document sur la table", s'étonne la présidente. Le traducteur mime les épaulettes pour insister sur le grade du policier. Quelques minutes plus tard, autre version : ce serait son épouse qui aurait signé. La présidente insiste: "La signature ressemble beaucoup à la vôtre. D'autant que c'est une mesure qui porte bien son nom, qui est 'individuelle', et qui ne concerne pas votre femme."
Achat de médicaments
La question, en filigrane, est la suivante : l'homme a-t-il sciemment cherché à échapper à la surveillance ? Et si oui, dans quel but ? Lui dit avoir eu besoin de médicament contre un mal de tête et des nausées persistantes. Sorti de l'hôtel, il se serait vu proposer de l'aide par une personne rencontrée à son arrivée, qui lui aurait offert de lui payer ses courses, et l'aurait entraîné jusqu'à Paris malgré lui. "Je me suis inquiété quand j'ai vu que nous prenions le train", affirme le prévenu. Inquiétude dont se saisira la procureure peu après, pour souligner que l'homme devait donc être au courant des restrictions de déplacement auxquelles il était soumis.
Ahmad M. ne comparaît pas pour ses liens supposés avec les talibans, mais difficile de ne pas aborder le sujet, puisque tout est parti de cette suspicion. Le prévenu nie toute adhésion à l'idéologie des islamistes. Il dit avoir été procureur en Afghanistan depuis cinq ans, fils de policier, et avoir eu peur pour sa vie : "Les talibans avançaient tous les jours. A chaque fois qu'ils arrivaient quelque part, ils tuaient les policiers et les procureurs." L'homme assure qu'un voisin lui a raconté que les nouveaux maîtres d'Afghanistan sont venus frapper chez lui, après son départ. Et raconte son évacuation via l'ambassade de France à Kaboul : "On est arrivés, quand je me suis retourné, mon père et mon frère n'étaient plus là. Je ne sais pas où ils sont."
Lui parvient à embarquer avec sa femme et sa fille de trois mois, ainsi que plusieurs autres membres de sa famille. Un voyage qui l'amène jusqu'à cet hôtel de Noisy-le-Grand, où il aurait dû, quoi qu'il en soit, respecter une quarantaine liée aux mesures sanitaires, même s'il n'est pas "jugé pour ça", comme le rappelle la présidente. "Je vous assure que je respecterai la loi en France (…). L'état français a complètement le droit de surveiller les personnes qui viennent de l'étranger, surtout d'un pays comme l'Afghanistan", estime le prévenu.
"Le procès d'un homme simplement parti au supermarché"
Pas convaincue, la procureure note également la similitude entre la signature du document notifiant la Micas et celle du jeune homme. Souligne qu'il y a des centres commerciaux à proximité de l'hôtel où vit Ahmad M. Insiste sur les incohérences dans ses déclarations. "Le principe essentiel est le respect des lois de la République, et, aujourd'hui, monsieur n'a pas respecté les lois de la République." Elle requière un an de détention, dont six mois avec sursis.
Une peine "jamais requise dans un dossier de primo-délinquant à la 23e chambre", constate l'avocate de la défense. "Dans cette situation de peur, il y a un risque, c'est que l'on frappe vite - ce que l'on vient de faire avec cette comparution immédiate – et surtout, il y a le risque que l'on frappe fort, et que l'on frappe mal", plaide Alice Ouaknine, pour qui il s'agit ici "du procès d'un homme qui est simplement parti au supermarché". Elle argue du fait que ce dossier est lié à un arrêté né de seules suspicions de liens avec les talibans, un texte reposant sur "des éléments mystérieux". "On vous demande de sanctionner le non-respect d'une loi que nous ne sommes pas en mesure de comprendre".
Invité à prendre une dernière fois la parole, Ahmad M. l'assure : "Je ne ferai rien contre l'intérêt de votre pays, la France." Condamné à dix mois de prison avec sursis (un "avertissement extrêmement sérieux", prévient la présidente), il n'a eu aucune réaction à l'annonce du jugement.