Elle fête ce lundi ses 115 ans. La doyenne métropolitaine, et probablement également la doyenne des Français, est née le 11 février 1904. Lucile Randon, devenue à 40 ans Sœur André, ne voit plus très bien, n'entend pas grand chose mais elle a toujours toute sa tête.
Lucile Randon est née à Alès, dans le Gard, le 11 février 1904. Doyenne des Français en métropole, et probablement aussi doyenne des Français tout court (puisque Tava Colo, une habitante de Mayotte, serait née le 22 décembre 1902 mais l'État civil de l'île est sujet à caution), celle qui est rentrée dans les ordres, et se fait appeler depuis Sœur André, fête ce lundi ses 115 ans.
Après avoir été gouvernante à Marseille et institutrice à Versailles, notamment chez la famille Peugeot, elle entre dans la Compagnie des Filles de la Charité en 1944. Sœur André passe 28 ans à l'hôpital de Vichy pour s'occuper d'orphelins et des personnes âgées. Elle servira également dans la Drôme.
L'âge venu, après 30 ans passés à l'EHPAD des Marches en Savoie, Sœur André s'est transférée à 105 ans à l'EHPAD Sainte-Catherine Labouré de Toulon. C'est là que France Inter l'a jointe. Avec un peu de difficulté, c'est vrai, car la vieillesse a abîmé son audition. Sa vue aussi est très diminuée et elle est devenue dépendante, ce que cette femme parfaitement lucide, qui parle franc et qui a vécu trois guerres, comme elle dit, a du mal à supporter.
FRANCE INTER : Qu'est ce que ça fait d'avoir 115 ans ?
SŒUR ANDRÉ : "C'est dur à avaler parce qu'on a beaucoup d'inconvénients qu'on ne peut pas toujours dire. On n'est plus libres, voyez-vous. Je ne peux plus marcher, je ne peux plus manger seule, je suis tout à fait dépendante et ça ne me plait pas parce que j'étais très indépendante. C'est très dur à avaler. Et puis on ne dort pas bien parce qu'on a toujours mal quelque part, ce n'est pas rigolo. Avec les compagnes ou les gens autour de moi, je ne peux plus beaucoup parler car les souvenirs ne me viennent pas forcement. Et puis je ne les connais pas car j'ai changé plusieurs fois d'endroit, alors ce n'est pas drôle pour moi. Mais enfin, j'ai trouvé une maison et ici, à part les inconvénients, c'est le paradis, car il y a des êtres inimaginables de bonté."
FRANCE INTER : Comment vous voyez le fait d'être la doyenne de France, en tirez-vous une certaine fierté ?
SŒUR ANDRÉ : "Je suis la doyenne de France et la troisième du monde, on vient de m'apprendre ça. Je n'en tire aucune fierté, je préférerais être la plus jeune pour pouvoir bien travailler. Car l'inaction, ne pas pouvoir lire, broder, tricoter, tout ça me manque et on ne peut pas être toujours à côté de moi pour me tenir compagnie car il y a beaucoup de travail ici. Alors je suis un peu seule et isolée et ce n'est pas très drôle d'être seule dans sa chambre, avec ses douleurs."
FRANCE INTER : Quel a été le plus beau jour de votre vie ?
SŒUR ANDRÉ : "Le retour de mes deux frères de la guerre de 14. J'ai eu le bonheur de les voir revenir tous les deux, même si le premier était gravement blessé. Le plus jeune était bien en forme, officier, galonne, médaillé. D'un gamin, on avait fait un soldat vaillant et ça, j'en étais fière. Il est arrivé à la maison au milieu de la nuit. Quand je me suis levée pour aller à l'école, Maman me dit que mon frère Lucien est arrivé. Ça a été la joie. Il s'est réveillé, il m'a embrassé, j'étais tellement heureuse."
FRANCE INTER : Quel est le secret de votre longévité ?
SŒUR ANDRÉ : "Je n'ai aucun secret, trois fois je suis allée à la mort et trois fois j'en suis sortie. On ne sait ni pourquoi ni comment. J'avais une jumelle. Ma sœur est morte accidentellement à 18 mois, à l'époque nous étions séparées, chacune chez une nourrice. Je pense que le Bon Dieu veut que je remplace les jours qu'elle n'a pas vécu."
FRANCE INTER : Comment voyez-vous le monde d'aujourd'hui ?
SŒUR ANDRÉ : "Il est terrible, je trouve qu'on ne s'aime pas, on se déteste les uns les autres, on ne se cherche que des noises au lieu s'aimer et de s'entraider."
FRANCE INTER : Qu'allez-vous faire pour votre anniversaire ?
SŒUR ANDRÉ : "On me lève, on me fait belle, on m'amène à la messe – je suis en fauteuil roulant. Il y a une belle messe avec plusieurs prêtres et de la famille et des résidents. Ensuite on fait un repas spécial et puis il y a une petite réunion avec tout le monde et puis on se sépare en se souhaitant une bonne année. Dans le temps, j'étais très heureuse ce jour-là car on invitait pas mal de famille et des amis. Mais maintenant je suis trop fatiguée. C'est lourd à porter de faire des sourires à tout le monde toute la journée, dire un petit mot à chacun. Vous savez à 115 ans, ce n'est pas le rêve car parfois je dois dire des bêtises, à des moments on n'est pas très lucide."
FRANCE INTER : Que peut-on vous souhaiter ?
SŒUR ANDRÉ : "Surtout que les guerres finissent. Trois guerres, c'est beaucoup pour une vie. Durant la guerre d'Algérie, j'étais à l'hôpital de Vichy et j'en ai vu partir des petits gars… Je me souviens d'un très beau garçon, un maçon qui avait restauré la chapelle, il était charmant. Il est revenu de la guerre, mais une bombe avait explosé à côté de lui et il avait perdu la tête, il ne reconnaissait plus personne. Un beau garçon de 22 ans, ça faisait mal. Quel garçon charmant c'était...
Et que le Bon Dieu vienne me prendre bientôt. Partir pour soulager les gens qui s'occupent de moi et pour que je puisse retrouver ma famille et mes amis. 115 ans c'est suffisant, j'espère que le Bon Dieu me prendra cette année."