"Squid Game" : pourquoi vous êtes devenus accros à la série
Elle est apparue de nulle part et pourtant la série a réalisé le plus gros démarrage de l'histoire de Netflix. Un incroyable phénomène qui a mûri sur les réseaux grâce notamment aux nombreux partages de son effigie, cette poupée, faisant l'objet de nombreux mèmes. Qu'est-ce que cette série a donc de si exceptionnel ?
Dans l'émission "Le Téléphone sonne", Renan Cros, professeur de cinéma à l'ESSEC et Marianne Chaillan, professeure de philosophie, spécialisée de pop culture expliquent pourquoi on a tendance à dévorer cette série aussitôt commencée, quand bien même elle pose des questions morales en misant sur un registre particulièrement malsain qui fonctionne à 100 %.
Une réflexion sur la nature humaine
- La question existentielle : l'homme est-il mauvaise par essence ?
On en revient à la célèbre question posée par le philosophe anglais Thomas Hobbes, qui avait déjà théorisé, au XVIIe siècle, "la guerre de tous contre tous". Un thème qui, si il a toujours été investi par le cinéma, se transfigure ici d'une manière très singulière et incite à réfléchir autrement sur la question : "Il s'agit de penser ce qui fait notre humanité, craintive, mise sous pression par la course folle aux gains qui nous fait souvent prendre les mauvais choix", estime Renan Cros.
"Le Squid Game montrerait que nous sommes bien loin d'une vision naïve d'une humanité bienveillante animée par l'amour du prochain. Un jeu pervers voué à transformer l'homme en bête sauvage et égoïste. Il y régnerait en réalité une inimitié naturelle entre les hommes où règne la loi du plus fort, où la force et la ruse seraient les vertus cardinales"
- La critique de la société du spectacle
La série nous fait réfléchir sur notre irréductible goût du spectacle. Un thème qui séduit beaucoup de monde paradoxalement car le spectateur se conforte dans une déculpabilisation de la cruauté que crée spécialement ici la fiction. Puisque leur gestes deviennent volontaires au péril de leur vie, alors le jeu peut avoir lieu, et on peut… continuer la série ! Mais justement on tombe directement dans le piège car on se donne une raison de penser qu'on en ressortira meilleurs alors que… pas forcément :
Cette série, c'est la société du spectacle poussée à son cynisme le plus absolu
Renan Cros ajoute : "Cela s'inscrit dans une critique du capitalisme qui consiste à devenir une victime consentante. C'est notre propre mise en abîme qui est interrogée, notre jubilation du spectacle. Nous sommes confrontés à notre propre paradoxe : devenir accro même si on a conscience que moralement la série n'est pas tenable en vrai. La catharsis est aujourd'hui séductrice et non repoussante".
Le cinéma asiatique en vogue : une représentation expiatoire de la violence "gratuite"
Ce type de mise en scène de la violence, typique des films coréens, ne saurait exister s'il n'étaient pas implicitement mêlés aux enjeux politiques, économiques et sociaux qui touchent le pays, notamment très déchiré avec son voisin la Corée du Nord. La violence est intrinsèque au cinéma coréen :
- Une représentation cinématographique atypique de la violence
Renan Cros : "Un point de vue novateur par rapport à ce que nous avons l'habitude de regarder, typiquement asiatique, où nous partageons le point de vue du système, à travers notamment les yeux de cette fameuse poupée qui joue à "1, 2, 3 soleil"". Nous sommes du point de vue du bourreau, c'est ce qui donne à voir la représentation d'une violence gratuite dont l'objectif est de remettre en question notre plaisir coupable à regarder cette série malgré tout.
"On la dévore pour la perfection de la narration"poursuit Renan Cros, "avec ses cliff-hangers, ses effets de surprise à chaque fin d'épisode, qui donnent immédiatement envie de voir le suivant.
Il y a une esthétique graphique, une mythologie cinématographique cynique vraiment très impressionnante que le cinéma américain et occidental n'arrivent plus à faire. C'est la force du cinéma sud-coréen aujourd'hui. Choquer et immortaliser des émotions inhabituelles par un graphisme extrêmement pop.
- Une violence fictive qui traduit les maux de la société coréenne
"C'est un cinéma violent qui traduit les maux de la propre société coréenne fracturée" souligne Renan Cros. "Un cinéma profondément politique et esthétique en même temps. On parle de soft-power car, derrière cette série, il y a la terreur permanente de réfléchir au basculement d'un modèle de société".
Marianne Chailland : "C'est une parabole sur la société coréenne qui entend dénoncer ses conditions de vie. Le tout retranscrit sur fond d'une compétition à mort dont l'engouement est progressivement devenu mondial et qui a commencé à émerger à l'époque de "Battle Royale" (2000) au cinéma".
- Un cinéma qui fait du bien après le confinement
La série nous permet de questionner l'usage de la cruauté à outrance. Elle propose une lecture cathartique de la violence qui n'est pas sans liens avec les épreuves de violence que l'humanité a subi pendant ces deux années de crise. Nous avons cultivé une forme de désespoir qu'on attribue à la société, et avec lequel on renoue immédiatement dans cette série :
"Cette série fonctionne parce qu'on a tous souffert depuis deux ans de pandémie et de confinement" estime Marianne Chailland. "Elle fait ressortir plein de tensions et de pulsions refoulées. On a besoin d'une bonne décharge de violence pour sublimer tout ça".
Renan Cros renchérit :
Ce "Squid Game" nous apparaît comme la seule logique de la société prise dans son paroxysme de violence
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