#StopAsianHate : le douloureux réveil des Américains face au racisme anti-asiatique
Par Adrien Toffolet
Alors que Joe Biden se rend au chevet de la communauté asiatique d'Atlanta, de nombreuses voix se lèvent pour dénoncer le racisme contre cette communauté aux États-Unis. Pointée du doigt depuis le début de la crise sanitaire, elle est régulièrement victime d'agressions, jusqu'à la tuerie qui a fait 8 morts ce mardi.
Comme lors de chaque tuerie, les États-Unis se regardent dans un miroir. Mais contrairement aux précédentes, celle qui s'est déroulée ce mardi questionne la place de la communauté asiatique dans la société et le racisme dont elle est victime au quotidien. Ce 16 mars 2021, un homme de 21 ans, Robert Aaron Long, a attaqué trois salons de massages d'Atlanta et sa banlieue. Huit personnes sont mortes et parmi elles sept femmes, dont six d'origine asiatique. Depuis, une vague d'indignation soulève le pays pour dénoncer les agressions et les crimes qui touchent particulièrement cette communauté depuis plus d'un an.
Un climat alimenté par la géopolitique de Donald Trump
"Ce jour devait arriver. Cela fait un an qu'on alerte sur la situation et qu'on se bat contre ces crimes anti-asiatiques", déplore sur ABC Judy Chu, une élue démocrate de la Chambre des représentants, première femme sino-américaine à être élue au Congrès en 2009. Elle fait référence au climat d'hostilité alimenté par une partie de la population depuis l'apparition du coronavirus. De nombreux élus républicains ont suivi la rhétorique de l'ancien président Donald Trump, qui dès le début de l'épidémie, a utilisé, malgré les critiques insistantes, les expressions "virus chinois", "virus de Wuhan" ou encore "kung flu" (pour faire un jeu de mot avec la grippe) au cœur de son conflit diplomatique et commercial avec la Chine.

Depuis un an et encore plus aujourd'hui, ce genre de propos est jugé responsable du climat agressif, voire meurtrier, envers la communauté asiatique. Après la tuerie cette semaine, une élue démocrate de la Chambre des représentants, Grace Meng, n'y est pas allée par quatre chemins en s'adressant au camp adverse : "votre président, votre parti et vos collègues pouvez évoquer comme vous voulez les différends que nous avons avec d'autres pays, mais vous ne pouvez pas le faire en mettant des cibles sur le dos des Américains de la communauté asiatique."
3 800 signalements d'agressions en 1 an
Ces derniers jours, les médias américains remontent le fil de l'année écoulée en alimentant leurs pages de faits divers plus ou moins violents liés au sujet, témoignages à l'appui. Le dernier remonte à mercredi seulement mais se finit bien. Xiao Zhen Xie, 75 ans, se trouve tranquillement en train de marcher dans la rue à San Francisco. Elle attend devant un passage piéton que le feu passe au rouge, quand elle est attaquée par un homme blanc de 39 ans qui court vers elle et la frappe au visage. La retraitée, ramasse un morceau de bois, et tout en sanglotant, le visage en sang, cogne la tête de son agresseur en retour jusqu'à le blesser. L'homme est ensuite embarqué par la police sur une civière.
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En mars 2020, la principale association de défense des communautés asiatiques des États-Unis, Stop AAPI Hate, a rapidement perçu la hausse des incidents racistes et mis en place une plateforme de signalements pour les victimes. Il y a quelques jours, elle a présenté un bilan accablant. En un an, l'association a reçu près de 3 800 signalements, concernant des cas d'agressions, de harcèlements ou d'insulte, dont près de la moitié (44%) en Californie. La plupart du temps, il s'agit de violences verbales, mais certaines physiques ont conduit à la mort. Dans les deux tiers des cas, ce sont des femmes qui sont visées.
La question du crime de haine
La tuerie d'Atlanta est-elle un crime de haine ? La question fait débat. Arrêté par les autorités, Robert Aaron Long a rapidement avoué ses crimes. Sa famille et ses amis, qui ont aidé la police à le faire interpeller, le décrivent comme un "obsédé sexuel", un jeune homme conscient qu'il a un problème avec la pornographie et des habitudes dans des salons de massage qui prodiguent des massages sexuels. Face aux policiers, Long a assuré qu'il ne visait pas particulièrement la communauté asiatique, mais qu'il souhaitait se débarrasser de la tentation que représentaient pour lui des masseuses. Pour le moins maladroitement, le porte-parole de la police qui a donné les premiers détails de l'interrogatoire, a décrit le suspect comme quelqu'un qui souffre d'une addiction au sexe et qui a eu "une mauvaise journée". Le choix des mots a fait scandale, tout comme la fouille des réseaux sociaux de ce porte-parole qui a révélé des photos de lui arborant un t-shirt avec inscrit "Covid-19, virus importé de Chine".

Pour l'instant, les chefs d'accusations à l'encontre du tireur sont le meurtre et l'agression à main armée, mais l'enquête se poursuit afin de déterminer si les motivations de Long peuvent amener à ajouter aux charges la qualification de crime de haine. Autrement dit, l'enjeu est de savoir si l’assaillant a ciblé ses victimes en raison de leur race, de leur sexe, ou tout autre caractéristique discriminante. Sans cette qualification, le tueur risque déjà la peine de mort, mais compte tenu du climat de violence qui touche la communauté asiatique, une partie de l'opinion appelle à ce qu'elle soit inscrite noir sur blanc sur ce dossier.
Un même moteur : le suprémacisme blanc

Créé au début de l'épidémie de Covid, le #StopAsianHate inonde les réseaux sociaux depuis mardi (près de 4 millions de tweets selon Visibrain), repris par autant d'anonymes que de célébrités. Il est également repris par les militants de Black Lives Matter, qui voient dans le racisme anti-asiatiques le même moteur haineux : le suprémacisme blanc. De nombreux témoignages accompagnent ce hashtag, partout dans le monde, prouvant que le phénomène n'est pas lié qu'aux États-Unis. Mais dans le pays, c'est le sujet politique du moment. Tout le monde prend position.
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Pour la maire d'Atlanta, Keisha Lance Bottoms, interrogée par CNN, le caractère raciste ne fait aucun doute car "ce sont des salons asiatiques qui ont été pris pour cible et six des femmes qui ont été tuées étaient d'origine asiatique, alors il est difficile d'y voir autre chose". Comme d'une seule voix, les présentateurs vedettes des Late Show ont également tous pris partie dans ce sens. Trevor Noah du Daily Show : "ne me dites pas que ça n'a rien à voir avec la race. Même si le tireur affirme le contraire et que c'est lié à une addiction au sexe. On ne peut pas déconnecter cette violence des stéréotypes raciaux que les gens collent aux femmes asiatiques." Et d'ajouter : "Ce type a fait porter à un groupe de personnes la responsabilité de ses problèmes, et les a tués à cause de ça. Si ce n'est pas du racisme, alors ce mot n'a plus aucune signification."
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"Cela doit s'arrêter", disait Joe Biden
Au niveau local comme national, le problème est pris très au sérieux. Plusieurs grandes villes du pays, San Francisco, Chicago, New York, ont pris des mesures pour renforcer la sécurité des quartiers asiatiques avec des patrouilles de police supplémentaires. Quant à Joe Biden ce jeudi, il a symboliquement décrété la mise en berne des drapeaux sur les bâtiments officiels pendant 4 jours. Ce vendredi, le président américain a changé son programme, qui devait être consacré à son plan de relance de l'économie, pour aller à Atlanta à la rencontre de responsables de la communauté asiatique de la ville.

Critiqué pour n'avoir que deux conseillers d'origine asiatique dans son administration alors que son pays n'en compte pas moins de 21 millions (de nationalité américaine), Joe Biden est pourtant mobilisé sur le sujet depuis le début de son mandat. En janvier, lors de son premier discours télévisé à la nation, le président a pris soin de condamner les crimes qui touchent la communauté asiatique, "attaquée, harcelée, choisie comme bouc-émissaire (…) cela doit s'arrêter". Un vœu pieux qui doit se concrétiser vite désormais.