Sur un ferry à Marseille, 700 réfugiés ukrainiens "comme dans un village"

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Sur un ferry à Marseille, 700 réfugiés ukrainiens "comme dans un village"

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Des Ukrainiennes assistent à une réunion sur la façon de trouver un emploi en France à bord du ferry Corsica Linea "Méditerranée" à Marseille, le 26 avril 2022.
Des Ukrainiennes assistent à une réunion sur la façon de trouver un emploi en France à bord du ferry Corsica Linea "Méditerranée" à Marseille, le 26 avril 2022.
© AFP - Nicolas Tucat

Depuis un mois, des réfugiés ukrainiens vivent sur un ferry, en attendant un hébergement. Parmi eux, 200 enfants, qui vont à l'école et jouent sur le pont, quand leurs parents préparent leur avenir.

Anna et ses enfants profitent du soleil sur le pont d'un ferry amarré à Marseille : ce ne sont pas des vacanciers mais des réfugiés ukrainiens qui, sur ce bateau, ont enfin trouvé la sécurité, "comme dans un village", avec 700 autres compatriotes. Le "Méditerranée" dessert habituellement l'Algérie, pour la Corsica Linea. Mais il est désormais cloué à quai, à la gare maritime de la Joliette à Marseille, avec ses inhabituels passagers.

Des Ukrainiens vivent à bord du ferry Corsica Linea "Méditerranée" à Marseille.
Des Ukrainiens vivent à bord du ferry Corsica Linea "Méditerranée" à Marseille.
© AFP - Nicolas Tucat

Un navire loué par l'État

Anna Ivzhenko, 37 ans, n'était jamais montée sur un bateau de toute sa vie. Elle trouve ce mode d'hébergement "insolite", mais "ce qui compte, c'est que c'est un endroit sûr". Avec ses quatre enfants, cette chanteuse, animatrice de spectacles, a dû fuir son grand appartement de Kiev: "On a été réveillés par des bombardements pendant des jours, on ne pouvait plus dormir ni vivre".

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Irina Ivzhenko pose dans sa cabine, où elle vit avec ses quatre enfants, à bord du ferry Corsica Linea "Méditerranée" à Marseille, le 26 avril 2022.
Irina Ivzhenko pose dans sa cabine, où elle vit avec ses quatre enfants, à bord du ferry Corsica Linea "Méditerranée" à Marseille, le 26 avril 2022.
© AFP - Nicolas Tucat

En un mois, les réfugiés comme elle ont investi les couloirs, les ponts et les salons du ferry, où toute la signalisation a été traduite en ukrainien. Les 200 enfants présents ont décoré le navire corse de leurs dessins et parsemé des jouets, peluches et ballons jaune et bleu un peu partout.

Loué par l'État à la compagnie maritime Corsica Linea depuis la fin mars, pour un montant non dévoilé, ce centre d'hébergement flottant constitue "l'opération la plus importante de France" par sa capacité d'accueil : jusqu'à 1.600 passagers, selon la préfecture. Le gros navire blanc n'est plus un moyen de transport mais "comme un village où ils se sentent bien", décrit le commissaire de bord. "Quand on demande aux enfants de dessiner leur maison, ils dessinent un bateau", s'amuse-t-il.

De l'aide pour faciliter l'intégration en France

"C'est bien plus qu'un hébergement", insiste le directeur général de la Corsica, Pierre-Antoine Villanova, faisant défiler sur son téléphone les vidéos de la chasse aux œufs organisée à Pâques, "un moment très émouvant". Une centaine d'enfants, aiguillés par un référent de l'éducation nationale, sont scolarisés dans les établissements du quartier.

À bord, les réfugiés ont aussi accès à de précieux services qui facilitent leur arrivée en France : des employés de banque pour ouvrir un compte, des assistants sociaux, des référents de la Caisse d'assurance maladie, des médecins, des baby-sitters et même une permanence de Pôle emploi.

Une Ukrainienne marche sur un pont du ferry Corsica Linea "Méditerranée" à Marseille, le 26 avril 2022.
Une Ukrainienne marche sur un pont du ferry Corsica Linea "Méditerranée" à Marseille, le 26 avril 2022.
© AFP - Nicolas Tucat

Ce mardi matin, c'est la Corsica Linea elle-même qui recrute : avec une dizaine d'autres femmes, Anna assiste à une réunion menée par la DRH de l'armateur qui cherche du personnel pour l'été.

Alertes aux bombardements sur les téléphones

M. Villanova l'assure, il veut "les intégrer, le plus possible". Pourtant, la plupart n'ont qu'une envie, "rentrer chez eux", assurent deux infirmières de la cellule d'urgence médico-psychologique de l'AP-HM (hôpitaux marseillais). Les deux professionnelles, habituées à intervenir sur des événements de crise, décrivent "des personnes chez qui l'événement traumatique perdure : il y a un début, mais pas de fin".

Ces hommes et femmes ont connu la guerre, la fuite, l'exil, et sont toujours en tension, comme en transit, "et donc ils ne s'autorisent pas encore à craquer", décrit l'infirmière Céline Nguyen. Dans leur tête, "ils sont encore en Ukraine : ils sont en communication constante avec le front, certains n'ont même pas désactivé les alertes aux bombardements sur leur téléphone".

Une Ukrainienne enseigne les mathématiques à son fils à bord du ferry Corsica Linea "Méditerranée" à Marseille, le 26 avril 2022.
Une Ukrainienne enseigne les mathématiques à son fils à bord du ferry Corsica Linea "Méditerranée" à Marseille, le 26 avril 2022.
© AFP - Nicolas Tucat

Le "Méditerranée" reprend le large en juin

Le cocon du bateau peut les sécuriser, estiment les psychologues, "mais l'écueil, c'est que c'est aussi une forme de confinement, donc on les encourage à sortir". "C'est comme une grande famille de près de mille personnes ici, mais on ne peut pas aimer tout le monde", glisse Alona Diordiieva, professeure d'anglais de 40 ans, qui déplore le manque d'espace privé. "Epuisée de vivre dans une toute petite pièce sans fenêtre" avec son fils, elle rêve d'espace : "C'est fait pour une traversée de trois jours, pas pour vivre des mois. Je ne sais même pas si c'est le jour ou la nuit quand je suis dans ma cabine".

L'hébergement sur ce bateau est temporaire, insiste la préfecture, qui pilote le projet avec le groupe SOS et a identifié un millier de places d'hébergement sur le département. Le 15 juin, le "Méditerranée" reprendra la mer vers l'Algérie.