
Le régime Assad fête à peine ses 40 ans lorsqu'éclosent les printemps arabes. Mais rien ne laisse penser que la Syrie autoritaire verra émerger un mouvement de contestation. C'est pourtant le cas en février 2011. Et la répression de Damas marquera le début d'une guerre civile encore sans issue aujourd'hui.
2011 : la Syrie gagnée par la contestation populaire
Alors que la Tunisie et le l’Égypte sont plongées dans la tourmente révolutionnaire depuis déjà plusieurs semaines, les premiers appels à manifester en Syrie commencent à apparaître en février 2011.
L’arrestation et la torture de quinze adolescents ayant écrit des slogans anti-régime sur les murs de Deraa, une localité au sud du pays, met le feu aux poudres. Le 15 mars, un premier rassemblement symbolique a lieu à Deraa pour protester contre les sévices infligés par les services de sécurité à ces jeunes.
Ce n’est que le vendredi suivant que la colère populaire éclate dans la ville, après la répression d’une manifestation pacifique. Peu à peu, le mur de la peur tombe face à un appareil sécuritaire tentaculaire. Le 18 mars à Deraa, la police fait feu sur les protestataires et tue quatre d’entre eux.
Dans les semaines qui suivent, les défilés rassemblent de plus en plus de monde dans les grandes villes syriennes. Face au mouvement de contestation, la répression s’intensifie et les arrestations se multiplient.
Le 30 mars, le président Bachar Al-Assad prononce son premier discours public depuis le début des manifestations. Devant le parlement, il explique que la Syrie est victime d’un complot fomenté de l’intérieur avec l’aide de l’étranger.
Neuf mois après le début des manifestations, 5 000 personnes ont été tuées dans la répression. Des milliers d’autres ont été arrêtées par les services de sécurité.

2012 : la bataille de Damas et d’Alep
À la mi-juillet 2012, le sud de Damas connaît de violents combats entre les rebelles et l’armée syrienne, qui cherche à les déloger. Le 20 juillet, l’Armée syrienne libre (ASL), qui rassemble des groupes d’opposants de diverses obédiences, lance une grande offensive pour prendre Alep, la capitale économique syrienne. Les affrontements se concentrent dans la vieille ville au cours desquelles les souks historiques et la mosquée des Omeyades sont gravement endommagés.
Pendant le mois de juillet 2012, le régime de Bachar Al-Assad semble vaciller sur ses bases. Le général Manaf Tlass, fils de Moustapha Tlass, compagnon de route d’Hafez Al-Assad et inamovible ministre de la Défense, fait défection le 6 juillet avec l’aide de la France, qui l’accueille à Paris.

Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, le présente comme le prochain président de la future Syrie démocratique.
Le 18 juillet, un attentat vise le siège de la Sécurité nationale où se tient une réunion de hauts responsables sécuritaires. Quatre d’entre eux meurent dans l’explosion, dont Assef Chawkat, beau-frère de Bachar Al-Assad. La veille, les rebelles ont pris le contrôle des postes frontières avec la Turquie et l’Irak.
Dans les chancelleries occidentales, on analyse les événements de juillet comme le "début de la fin" du régime Assad. À Paris, les diplomates du Quai d’Orsay répètent aux journalistes qu’il ne fait aucun doute que le président syrien abandonnera le pouvoir "dans les trois mois".
2013 : attaque chimique aux portes de Damas
Le 21 août 2013, l’armée syrienne bombarde des positions tenues par la rébellion dans la Ghouta, banlieue à l’est de Damas, devenue un bastion des insurgés, qui y ont creusé un labyrinthe de tunnels pour se déplacer.
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
Très vite, sur les réseaux sociaux, des images insoutenables des victimes font le tour du monde. Elles montrent des corps sans vie alignés, y compris des enfants, et des blessés agonisant la bave aux lèvres et les yeux exorbités.
Les rebelles de la Ghouta accusent l’armée syrienne d’avoir utilisé des gaz toxiques dans les combats. Le régime de Bachar Al-Assad rejette ces accusations. Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunit en urgence et demande de faire la lumière sur ces événements tragiques.
Pour les Occidentaux, il ne fait guère de doute que l’armée syrienne a franchi la "ligne rouge" fixée par Barack Obama en employant des armes chimiques.
Le 27 août, à l’occasion de la conférence annuelle des ambassadeurs de France, François Hollande déclare :
"Le massacre chimique de Damas ne peut rester sans réponse. La France est prête à punir ceux qui ont pris la décision infâme de gazer des innocents."

États-Unis, France et Grande-Bretagne lancent les préparatifs d’une campagne militaire contre le pouvoir de Bachar Al-Assad. Des cibles sont désignées.
Le 29 août, le parlement britannique rejette une motion présentée par le Premier ministre David Cameron pour autoriser une riposte militaire à l’usage des armes chimique.
Le 30 août, le secrétaire d’État américain qualifie l’attaque de la Ghouta, qui a fait, selon son bilan, 1 929 morts, de "crime contre l’humanité" et appelle à des représailles militaires. "L'histoire nous jugera extrêmement sévèrement si nous détournons le regard", déclare-t-il.
À la surprise générale, Barack Obama préfère finalement ne pas frapper le régime de Bachar Al-Assad, en annonçant le 31 août sa décision de demander un feu vert du Congrès alors que les réacteurs des chasseurs bombardiers chauffent déjà.
2014 : Daech, maître de l’est de la Syrie
Le conflit syrien s'enlise : d'un côté, une opposition armée qui n’est pas parvenue à renverser le régime ; de l'autre, les forces de Bachar Al-Assad qui utilisent des tapis de bombes contre les rebelles. Cette situation favorise l’émergence de groupes djihadistes, comme le Front Al-Nousra, branche syrienne d’Al-Qaïda, et l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), bientôt connu sous l’acronyme "Daech".
Le 28 juin 2014, l’EIIL se rebaptise "État islamique" (EI) et proclame l’instauration d’un "califat" dans la foulée de sa prise de Mossoul, en Irak et en Syrie. La frontière irako-syrienne est symboliquement effacée.

L’organisation terroriste d’Abou Bakr Al-Baghdadi, qui s’autoproclame "calife", contrôle un tiers des territoires syriens et irakiens et impose la loi islamique la plus moyenâgeuse à 10 millions de personnes.
Raqqa, sur les bords de l’Euphrate, devient la "capitale" syrienne de Daech. C’est ici que seront planifiés la plupart des attentats qui ont frappé l’Europe, notamment ceux du 13 novembre 2015 à Paris.
Le 13 août, les combattants de l'organisation État islamique mènent une offensive contre plusieurs localités des environs d'Alep, dont elles s'emparent. Le 24 août, elles prennent le contrôle de l’aéroport militaire de Tabqa sur l’Euphrate.
2015 : la Russie sauve Bachar al-Assad
L’alliance entre Moscou et Damas remonte à la guerre froide. L’armée syrienne est équipée essentiellement de matériels russes et organisée sur le modèle de l’Armée rouge, avec de grands bataillons de chars et de blindés.
Au printemps 2015, Bachar Al-Assad subit plusieurs revers militaires majeurs. Le Front Al-Nousra s’est emparé d’Idlib (28 mars) et Daech a conquis Palmyre (20-30 mai).
Pendant l’été 2015, Vladimir Poutine accélère l’acheminement d’équipements militaires, notamment en blindés et avions. La Russie renforce également ses garnisons sur les bases militaires de Tartous et Lattaquié.
Le 28 août, le président russe fustige "l’arrogance" des pays occidentaux et appelle à la formation d’une "coalition mondiale contre le terrorisme" en Syrie pour éradiquer Daech et ses avatars.
Le 30 septembre, la Russie déclenche une campagne massive de bombardements à Hama et Homs en soutien à l’armée de Bachar Al-Assad qui avance au sol. C’est la première intervention militaire russe en dehors des frontières de l’ex-URSS depuis l’invasion de l’Afghanistan en décembre 1979.
C’est un tournant dans la guerre : l'opération permet de faire basculer le conflit en faveur de Bachar Al-Assad, qui à partir de là entreprend une reconquête des grands centres urbains du pays.
2016 : le régime syrien reprend Alep
Le 22 décembre 2016, les groupes armés rebelles doivent capituler et quitter Alep après des semaines d’un siège impitoyable de l’armée syrienne, appuyée par des combattants du Hezbollah et d’intenses bombardements aériens russes. Les assiégeants n’ont pas hésité à utiliser l’arme de la faim pour briser les derniers carrés de résistance.
Alors que la neige tombe sur Alep, 35 000 personnes, des combattants et des civils, sont évacuées vers Idlib sous les yeux des caméras de télévision dans des convois organisés par le CICR.
La deuxième capitale syrienne à histoire millénaire offre un spectacle apocalyptique, notamment le centre historique des souks et de la citadelle, et les quartiers à l’est, dont les ruines s’étendent sur des kilomètres.
Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.
Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.
Après la chute de Homs en 2014, autre bastion des insurgés, la perte d’Alep marque la plus grande défaite de l’opposition, désormais disloquée et réduite à l’exil. Elle ne s’en remettra pas.
C’est aussi une victoire diplomatique de la Russie. Le 29 décembre, Vladimir Poutine annonce la conclusion d’un accord avec la Turquie et les groupes rebelles modérés soutenus par Ankara sur l’application à l’ensemble du territoire syrien d’un cessez-le-feu.
Alors que les Occidentaux sont hors-jeu, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte le 31 décembre à l’unanimité la résolution 2336 qui "salue et appuie les efforts de la Russie et de la Turquie pour mettre fin à la violence en Syrie et lancer un processus politique".
2017 : offensive finale contre Raqqa
Dans Raqqa, la capitale syrienne du pseudo "califat" d’Abou Bakr Al-Baghadi encerclée depuis novembre 2016, les djihadistes livrent leur dernière grande bataille en Syrie, après la perte de Kobané en janvier 2015.
Le 6 juin 2017, les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes et appuyées par la puissance de feu aérienne de la Coalition internationale, lancent leur offensive finale sur la ville. La bataille dure quatre mois et s’achève le 17 octobre 2017.
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
Les combats sont acharnés. Les djihadistes, qui circulent dans un réseau de souterrains, ont miné les accès de la ville, dissimulé des francs-tireurs et utilisent la population civile comme bouclier humain. Ils n’hésitent pas non plus à envoyer des kamikazes et des véhicules piégés se faire exploser sur les premières lignes de leurs assaillants.
Alors que Raqqa est quasiment reconquise, des pourparlers s’engagent pour obtenir l’évacuation des civils et du dernier carré de combattants de Daech, syriens et étrangers. Un accord est annoncé le 14 octobre, et leur départ commence dans la nuit du 15.
250 à 300 djihadistes – dont des dizaines de commandants étrangers – et 3 500 membres de leurs familles sont évacués dans un convoi vers les derniers territoires contrôlés par l’organisation État islamique dans le gouvernorat de Deir Al-Zor.
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), la bataille de Raqqa a fait 3 250 morts, dont 1 130 civils.
2018 : la Ghouta rebelle capitule
La Ghouta, dans la banlieue orientale de Damas, contrôlée par la rébellion, continue de narguer Bachar Al-Assad. Son palais présidentiel n'est qu'à quelques kilomètres.
Pour le régime, la présence des groupes armés reste une menace. Régulièrement, les combattants anti-Assad tirent des roquettes sur les quartiers loyalistes. Début février 2018, l’armée syrienne a décidé d’employer la manière forte pour reconquérir ces quartiers rebelles.
Les soldats de Bachar Al-Assad se déploient autour de la Ghouta, opèrent des percées pour couper les villages les uns et des autres. Surtout, avec l’appui de l’aviation russe, le régime vitrifie les immeubles à coup de barils de TNT lâchés depuis les airs.
Comme pour la reconquête d’Alep, l’armée syrienne utilise l’arme de la faim contre les 400 000 civils et les groupes rebelles piégés dans la Ghouta.

Le 24 mars, à l’issue d’intenses négociations, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte à l’unanimité la résolution 2401 réclamant un cessez-le-feu immédiat d’"au moins trente jours consécutifs pour une pause humanitaire durable" en Syrie. En vain.
Le 25 mars, les forces progouvernementales lancent l’assaut du dernier bastion rebelle à Damas. Elles mobilisent 15 000 soldats. Du côté des rebelles, la poche de la Ghouta est défendue par environ 20 000 combattants. Mais les assaillants disposent de blindés et surtout de la maîtrise du ciel.
Le 8 avril, un accord d'évacuation est conclu entre le régime syrien et le principal groupe rebelle Jaich Al-Islam ("L’armée de l’islam"). Le 12 avril, la police militaire russe entre à Douma, le drapeau syrien est hissé, les rebelles remettent leurs armes lourdes.
Les dernières évacuations de civils et de combattants vers Idlib se déroulent le 14 avril, marquant ainsi la reconquête totale du régime sur ce bastion rebelle. La capitulation des groupes armés de la Ghouta entraîne celles de localités autour de Damas comme Doumeir.
Le 21 avril, les forces du régime reprennent le contrôle du camp palestinien de Yarmouk, dans la banlieue sud de Damas, qu’elles bombardaient depuis un mois.
Le camp, occupé par les combattants de l’organisation État islamique, était le dernier bastion rebelle des environs de la capitale, après la reconquête de la Ghouta.
2019 : Idlib contrôlée par les djihadistes
Au terme d’une dizaine de jours d’offensive, les combattants djihadistes de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ancienne branche syrienne d’Al-QaÏda, obtiennent la reddition des territoires de la province d’Idlib que contrôlaient les rebelles du Front national de libération, soutenus par la Turquie.

Ankara ne réagit pas. Dernier territoire à échapper au contrôle de l’armée, la poche d’Idlib abrite les rebelles transférés d’anciens bastions tenus par les insurgés (Alep, Homs, la Ghouta à Damas, etc.)
Le 14 février, les présidents Poutine, Erdogan et Rohani se réunissent à Sotchi, sur la mer Noire. La Russie appelle la Turquie à intervenir pour brider les activités d’HTS.
Le 6 mai, l’armée de Bachar Al-Assad, appuyée par l’aviation russe, lance une offensive sur Idlib. Les combats se poursuivent jusqu’à l’été. Les loyalistes grignotent le territoire contrôlé par les djihadistes.
HTS annonce le 20 août son retrait de la ville de Khan Cheikhoun. Les jours suivants, l’armée syrienne progresse dans le sud de la province et dans le nord de celle d’Hama, qui la jouxte, où plusieurs postes d’observation turcs sont neutralisés.

2020 : la loi César entre vigueur
Depuis le début du soulèvement populaire en mars 2011, les États-Unis et l’Union européenne ont imposé de nombreuses sanctions contre le régime de Bachar Al-Assad. Elles touchent des personnalités civiles et militaires, des entreprises et des entités proches de Damas. Elles prévoient le gel des avoirs syriens à l’étranger.
Six mois après son adoption en novembre 2019 par le Congrès, la loi César ( Caesar Syria Civilian Protection Act), entre en application le 17 juin 2020.
Ce texte porte le nom d’un photographe de la police militaire syrienne, désigné sous le nom de code "César", qui avait fait défection en 2013, emportant avec lui un lot de 55 000 clichés. Ces photos montrent des cadavres de prisonniers, la peau sur les os, atrocement mutilés, et l’ampleur industrielle de la torture dans les geôles syriennes.
Le nouveau train de sanctions est l’un des plus sévères édictés contre le régime de Bachar Al-Assad, car il prévoit un régime d’extraterritorialité (sanctions primaires et secondaires) à ces mesures.
Toute personne ou entité, de quelque nationalité qu’elle soit, qui "apporte un soutien significatif au gouvernement syrien, financier, matériel ou technologique, ou qui conduit des transactions significatives avec celui-ci" s’expose désormais à être pénalisée par le gouvernement américain,
Cette menace de sanctions s’applique notamment aux secteurs du pétrole, de l’aéronautique militaire, des finances et de la construction.