Télétravail : "comparée à la Belgique et au Danemark, la France n'est pas loin du peloton de tête"
Par Christine SiméoneTélétravail obligatoire, recommandé ? Pays déjà habitué ou découvrant ces nouvelles pratiques ? Comment se situe la France par rapport aux autres pays européens en matière de travail à distance ? Entretien avec un expert du travail et de la mobilité.
"Le télétravail c'est la règle, le reste c'est l'exception" a dit Bruno Le Maire sur France Inter le 30 octobre, après l'annonce d'un reconfinement. Ce n'est pas si simple toutefois, s ur le terrain on constate que beaucoup d'entreprises rechignent à se plier à cette injonction. C'est que cette nouvelle habitude vient à rebours de la culture du travail, de l'organisation habituelle des entreprises. Pour autant la France, comparée aux autres pays européens, est en voie de modernisation sur ce plan. Entretien avec Franz Gault, expert en télétravail, co-fondateur de Néonomade, plateforme de réservation d'espaces de co-working.
Le télétravail avant la pandémie de coronavirus
Lorsque nous ne sommes pas en crise et en confinement, en Europe les champions du télétravail sont les Pays-Bas, la Finlande, le Luxembourg , et l’Autriche. Il y a chez eux entre 10 et 14% de salariés régulièrement en télétravail. La France se situe dans un entre deux en bonne progression. Avec 7% de la population active pratiquant régulièrement, elle devance le Portugal (6,5%) l'Allemagne (5,2 %) et la Croatie (6,8%). Ses voisins espagnols et italiens sont très en deçà de ses scores. Ces chiffres concernent les travailleurs indépendants payés à la tâche et les salariés à temps plein travaillant à distance, relevés par Eurostat, qui constate que la moyenne européenne est de 5% de la population active qui pratiquent régulièrement le télétravail.
Si l'on ajoute à ces salariés qui ont des habitudes de télétravail à ceux qui le pratiquent occasionnellement, alors les proportions sont beaucoup plus importantes. Selon Eurofound, agence tripartite de l'Union européenne, le télétravail concerne 37% des Danois, plus de 30% des Suédois et des Néerlandais, 25% des Français et 12% des Allemands. Hors période de crise, puisque ces chiffres datent de 2015.
Le télétravail : en 2020 les Français prêts à jouer le jeu
Selon une étude de la DARES (direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques) réalisée la dernière semaine du mois de mars 2020, un quart de la population active française est passée en télétravail. C'est une moyenne, car ce taux est beaucoup plus élevé dans certains secteurs : 63% dans les sociétés d’information et de la communication ou 55% dans les secteurs des banques et assurances. Au total, cinq millions de Français, se sont retrouvés confinés en mars, derrière leurs ordinateurs, souvent personnels. et Ils étaient encore 1,8 millions en octobre, essentiellement à domicile, selon la DARES.
La France fait partie des pays qui ont plutôt bien joué le jeu du télétravail, "même si on a assisté une campagne de bashing étonnante", explique Franz Gault. "Si on compare avec les meilleurs élèves, je pense notamment à la Belgique et au Danemark, la France n'était pas très loin du peloton de tête, sachant que derrière nous, on a des pays très étonnamment d'ailleurs, comme l'Allemagne".
Malgré tout, il a été constaté que 40% des télétravailleurs n'étaient pas correctement équipés en matériel informatique, logiciels et téléphonie, "ce à quoi il faudra remédier", estime Franz Gault.
Ce qui peut changer à partir de maintenant
Tous les pays sont soumis à des questionnements sur l'encadrement du télétravail. En Allemagne et au Luxembourg, on réfléchit à un droit au télétravail, que l'employeur ne pourrait refuser. En Italie on étudie la possibilité d'imposer des quotas d'effectifs en travail à distance aux entreprises. En France les discussions viennent de commencer entre partenaires sociaux pour mettre au point un accord. Mais au-delà des accords cadres qui pourront être trouvés, c'est tout un environnement qui va se modifier.
Le cadre légal : En France, on a à nouveau parlé, lors du reconfinement, de télétravail obligatoire. "Sauf qu'en réalité, il n'est pas obligatoire" souligne Franz Gault. Certaines entreprises ne se plient pas à cette obligation et pour une simple et bonne raison, c'est le Conseil d'Etat qui nous l'a rappelé en septembre. "Ces injonctions auxquelles je souscris en matière de télétravailler, ne sont pas obligatoires. C'est un protocole, c'est de l'ordre de la recommandation". C'est donc une différence par rapport aux autres pays européens, tous n'ont pas les même règles. Au Portugal le télétravail a fait l'objet d'un décret au printemps dernier. "C'est écrit noir sur blanc, un décret donnant une valeur légale à l'obligation et pouvant ouvrir la voie à des sanctions". Pour l'instant en France, il faut un avenant au contrat de travail, et il doit être régulier.
La culture du travail et de l'entreprise : L'un des freins que la France peut rencontrer par rapport aux pays du nord de l'Europe, "c'est le rapport au travail et la conception du pouvoir et du management au travail" explique Franz Gault. "En gros, on constate une culture méditerranéenne élargie qui accorde une importance certaine aux apparats du pouvoir et de la hiérarchie et qui génère des freins culturels". C'est ce qui fait la différence avec le nord de l'Europe "où l'on considère que partir après 17h du bureau c'est n'avoir pas été efficace, et où le management et la relation au pouvoir sont plus horizontaux." Franz Gault insiste sur le droit à la déconnexion, ou plutôt faudrait-il dire le devoir pour les employeurs d'organiser la déconnexion des salariés. "Les risques psycho sociaux durant le confinement ont été avérés, et la clé c'est la déconnexion. Plutôt qu'une charge de droits, il faut que chaque équipe mette en place une procédure personnalisée."
Les équipements en matériel et en locaux : Les entreprises doivent équiper les salariés avec du matériel professionnel d'entreprise qui ne s'immisce pas dans dans leur vie privée. Aux salariés qui manquent d'espace, les employeurs doivent proposer de se rendre dans des espaces de co-working : "En France, il existe 1500 voir 2000 espaces de ce type, selon comment on compte. Donc, il est fort probable qu'à quelques kilomètres, voire quelques centaines de mètres de chez vous, il y ait un espace de co-working vous permettant de travailler à distance sans faire une heure ou deux de temps de transport. Il revient aux employeurs d'organiser cela, et de louer ces espaces pour leurs salariés". Si le télétravail est en phase ascendante un partout en Europe, c'est aussi notamment en raison des coûts de l'immobilier. Par ailleurs,
Les freins sont en train de craquer en France, des habitudes sont en train de s'installer. "On expérimente le télétravail depuis 20 ans", explique Franz Gault, et "on voit encore des comportements dignes finalement du XXe siècle, il est temps de s'approprier pleinement les outils numérique et les nouvelles façons de travailler pour faire la bascule". Car selon lui, "le télétravail, tel que normalement pratiqué, c'est-à-dire de façon volontaire et à temps partiel, a des effets formidables. On les mesure depuis dix ans sur une une base de données de 15000 salariés en France. Tous les indicateurs sont au vert."