"Tenet" : un Nolan ébouriffant visuellement (mais c'est mieux si vous avez un master de physique)

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"Tenet" : un Nolan ébouriffant visuellement (mais c'est mieux si vous avez un master de physique)

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"Tenet" est souvent désigné comme le film devant "sauver" l'industrie du cinéma, mise à mal par l'épidémie de Covid-19.
"Tenet" est souvent désigné comme le film devant "sauver" l'industrie du cinéma, mise à mal par l'épidémie de Covid-19.
© AFP - Warner Bros Pictures

France Inter a pu voir en avant-première la nouvelle superproduction du réalisateur d" 'Interstellar" et "Inception", qui débarque mercredi en salles. Est-il à la hauteur des attentes ? Critique (garantie sans spoiler).

Ne faisons pas durer le suspens. "Tenet" égale-t-il les degrés de maestria d’ "Inception", "Interstellar", ou "The Dark Knight" ? Non, non, et non. Est-ce pour autant un mauvais film ? Non plus. Avec "Tenet", Christopher Nolan propose en 2h30 un spectacle visuellement étourdissant, redoutablement intelligent (trop ?), nécessitant une attention permanente du spectateur, qui doit redoubler de vigilance pour éviter de s'égarer dans les méandres d'un scénario à tiroirs. 

"Tenet", casse-tête (un peu trop) assumé ?

Car oui, à moins d'être l'heureux titulaire d'un master de physique, il faut s'accrocher aux accoudoirs pour suivre "Tenet". Rarement film de Christopher Nolan n'aura été si complexe. La déconstruction de l'espace et du temps est une nouvelle fois à l'ordre du jour (cela n'a rien de nouveau, Nolan la manie depuis son premier film, "Memento"). Le réalisateur britannico-américain remet donc sur la table son fétiche temporel, en s'intéressant cette fois-ci à l'inversion du temps. 

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Avec, au cœur du long-métrage, la notion d' "entropie", soit la "grandeur thermodynamique exprimant le degré de désordre de la matière". Vous avez du mal à saisir ? Pas grave, les personnages, notamment celui campé par la Française Clémence Poésy, tenteront de vous expliquer. Cela se révèle passionnant mais déroutant, sans doute un peu fouillis, voire présenté de manière un peu pompeuse. Or, le concept exige une lisibilité qui fait défaut au long-métrage.

La Tribune des critiques
8 min

Visuellement ébouriffant

Côté spectacle, "Tenet" ne déçoit pas. Crash d’avion dans un entrepôt (sans effets spéciaux s’il vous plaît, Nolan y tenait), véhicules lancés à pleine vitesse en marche avant - et arrière - sur une rocade… Le réalisateur livre une palette d’action comme toujours riche, impressionnante et impeccablement filmée. Le budget gargantuesque de plus de 200 millions de dollars se ressent clairement à l'écran.

Cela étant, le long-métrage, irréprochable du point de vue technique, peine à faire ressentir. On lutte pour s’attacher aux personnages, à leur personnalité, à leur motivations. Ils semblent tous coincés, un peu comme le spectateur, dans des rouages qui les dépassent. La faute au scénario écrasant, ou aux interprétations ? John David Washington - le fils de Denzel Washington, très juste dans "BlacKkKlansman" de Spike Lee - fait le job, sans plus. Elizabeth Debicki, "Lady Di" dans les prochaines saisons 5 et 6 de la série acclamée "The Crown", joue avec un détachement qui frôle parfois la fadeur. Restent un convaincant Robert Pattinson, depuis longtemps délesté de l’étiquette "Twilight," et un très bon Kenneth Branagh, comme toujours.

Dommage, car l’une des grandes forces de Nolan, plus que de manier - souvent avec brio - les concepts de la physique quantique, est de peindre, sur toile de fond de grand spectacle, des histoires intimes qui touchent. Pas une émotion mièvre, facile mais une émotion intelligente, telle qu’on peut la ressentir dans "Interstellar", "Inception", ou encore "Dunkerque", avec son focus permanent sur l’histoire personnelle de ces jeunes soldats jetés en pâture dans le grand bain de sang de la Seconde guerre mondiale.

"My name is Nolan... Christopher Nolan"

Cela saute aux yeux. Que ce soit au shaker ou à la cuillère, le cocktail "Tenet " ressemble à s’y méprendre à une recette de James Bond, ce que Nolan revendique par ailleurs. Yacht, plan machiavélique à déjouer, course poursuite effrénée : "Tenet" laisse un furieux goût de 007. Avec demoiselle en détresse, oligarque mégalomaniaque et John David Washington dans le rôle du protagoniste espion flegmatique, qui ne se prive pas de lâcher ici et là quelques traits d'esprit.

Et, comme peuvent l’être parfois certains James Bond, "Tenet" est tapageur. Pas vulgaire, non, mais saturé et extrêmement bruyant. Au point de frôler la confusion lors du dernier mouvement du long-métrage, paroxysme d’action et d’explosions à tout va, qui nuit par moment à la lisibilité de l’action (comme si le film n’était pas assez compliqué comme ça). La composition musicale en rajoute une couche. Pas de Hans Zimmer cette fois, le comparse de Nolan étant accaparé par l’adaptation de "Dune" d’un autre prodige du cinéma, Denis Villeneuve. C'est Ludwig Göransson, artisan de la soundtrack de "Black Panther", qui mène la partition. Et c’est encore une fois… bruyant, à grand coup de basse assourdissante et métallique. Sans thème mémorable, comme peuvent l'être Time ("Inception") ou Cornfield Chase ("Interstellar").

Pour résumer, "Tenet" est un cru complexe. Pas évident, sous le déluge visuel et emporté par un flux d'explications tantôt pointues tantôt elliptiques, de digérer immédiatement la nouvelle proposition du génial Nolan. "Tenet" fait partie de ces films où le deuxième visionnage s'impose de toute évidence pour capter toutes les subtilités. Et savourer, une nouvelle fois, ce qui reste sans doute l'un des films à déguster cet été (même s'il y en a peu, il est vrai.)