Laetitia Masson, cinéaste engagée et exigeante, propose un film, fait de fiction et de documentaire, et soumis à l'interactivité des internautes. Une expérience de cinéma inédite guidée par des mots.
De quoi parle le film ? D'histoires d'amour, de recherche de travail, de difficultés de la vie, de grandes tendances sociétales, de sécurité et de citoyenneté, et de beaucoup de choses encore.
Comment être, vivre, s'engager, se positionner, aborder les aléas de la vie ? Comment faire des choix politiques ou amoureux. Ce n'est ni un webdoc, ni un film de cinéma, peu importe son nom.
Un corpus de plus de cinq heures et demi d'images, de témoignages, de chansons, à faire défiler de manière aléatoire selon des mots-clés sur son écran.
L'interview de Laetitia Masson
Vous avez souhaité travailler sur le thème du "désengagement", pour quelles raisons?
Laetitia Masson : au départ c'est une idée de Boris Razon. Je lui ai tout de suite dit que le sujet m'intéressait et je lui ai proposé de faire un travail qui questionnerait cette idée plutôt que de la démontrer. Il a été tout de suite ouvert à ma proposition. Je ne voulais pas filmer le désengagement mais plutôt filmer un "état" de l'engagement pendant cette période de 3 mois qui précédait les élections présidentielles de 2012. Et voir alors si les gens étaient "désengagés" ou pas, et ainsi réfléchir à ce qu'était l'engagement au sens large (politique, amoureux, social, artistique...). Boris m'a laissée partir avec la liberté de trouver en direct la "réponse" à la question de l'engagement. Il a été le 1er, d'une certaine façon, à s'engager avec moi.
On a vu des centaines de milliers de personnes dans les rues pour ou contre le mariage pour tous, mais on voit moins de monde défiler contre la pauvreté grandissante. Qu'en pensez-vous?
Laetitia Masson : je ne pense pas que défiler ou manifester dans la rue soit une preuve "d'engagement ". Donc défiler "contre" la pauvreté ne suffirait pas à modifier ce qui la "produit ".
L'engagement ce n'est pas seulement dire, c'est faire. Dans sa propre vie , et plus largement.
Votre avis sur le désengagement a-t-il changé avant et après le tournage de The End, etc...?
Laetitia Masson : j 'essaye de ne pas avoir d'avis ni de jugement préalable quand je filme. Il faut laisser le réel vous apprendre et vous surprendre. Je suis plus dans la question que dans l'affirmation. En " tournant" autour d'un sujet, une fois qu'il s'incarne on se rend compte de sa complexité et on peut donc affiner les réponses.
De quelles expériences web prédédentes vous êtes-vous inspirée pour construire The End, etc... ?
Laetitia Masson : je n'en avais vu aucune quand j'ai commencé à écrire le projet. Ce qui m'intéressait c'est de réfléchir à ce qu'était le web, dans "l' absolu" et d'essayer de créer ma propre "navigation" dans cet univers en étant particulièrement attentive au rapport nouveau que l'on pouvait créer avec les spectateurs . Mon idée de départ était de les "engager" dans le film en leur faisant "créer" leur propre film ( en choisissant des mots ils composent un montage ) de même que moi , avec la même matière, je leur proposais "mon " film, mon "montage".
Malheureusement le film d'1H30 que j'ai fait en organisant les images à ma façon n'a pas pu être diffusé. Mais l' idée d'impliquer le spectateur "activement" dans la production de sens des images , et de l "'engager " dans l'expérience est restée au centre du projet final.
The End, etc... mélange documentaire et fiction, ce n'est pas une première au cinéma, mais sur le web probablement. Qu'apporte ce mélange des genres selon vous ?
Laetitia Masson : j'ai toujours pensé qu'il fallait filmer la fiction comme du documentaire et admettre la dimension fictionnelle du réel. Et j'ai toujours eu envie de "montrer" le lien entre les deux. Je pense que ça existe très peu au cinéma. Godard fait ça depuis longtemps, Cavalier aussi, mais à part eux je ne vois pas beaucoup d'autres exemples. Parce que le cinéma est défini par "genre", et les films ont une forme très codifiée. Sur le web tout est encore à inventer, je me suis donc dit que c' était la plateforme idéale pour réunir dans le même projet du documentaire et de la fiction, l'un faisant raisonner l'autre . Le sens profond de ce que je veux montrer est produit par la confrontation des deux. En effet, souvent une interview est livrée au spectateur " hors contexte". On a seulement la parole des témoins, leurs visages, leurs corps mais on ne sait rien de leur histoire. Dans la fiction, on peut montrer le contexte et on comprend alors que justement, la question de l'engagement comme toutes les questions humaines d'ailleurs dépend du contexte dans lequel une personne s'inscrit et donc pense et donc agit.
Que va-t-il se passer pour les internautes, en cliquant sur un mot "amour" ou "engagement" par exemple, que va-t-il leur arriver ?
Laetitia Masson : l'idée, c'est qu 'il leur arrive une "proposition" de réflexion,soit sur l'engagement des autres, soit sur le leur. Parfois cette proposition sera conforme à leur a priori, parfois décalée, parfois décevante. Mon idée c'était de montrer que justement en changeant le montage donc l'ordre des images, la question de l'engagement se pose différemment: on voit que L'amour c'est aussi de la politique, que la musique c'est aussi un acte, que l'amitié c'est aussi un travail, etc.... et que donc l'engagement , ça peut être une chanson ou un baiser, ou un renoncement par exemple.
Etes-vous prête à recommencer à "jouer" avec l'interactivité, et avec le web ?
Laetitia Masson : oui bien sûr. The end etc est ma première expérience, et j'ai beaucoup appris en la faisant. Ça m'a donné beaucoup d'autres idées de propositions pour ce nouveau média. C'est un espace encore assez "vierge" , et il y a beaucoup de choses à inventer encore pour utiliser au mieux tout ce potentiel d"engagement" ,justement , du spectateur , quel que soit le sujet, car il peut pour une fois ne plus être passif dans son rapport aux images. il peut gérer l'espace et le temps qui normalement au cinéma ou à la télévision lui sont imposés par les "grilles" ou la narration traditionnelle.
Là, il peut, (mais il faut le guider par la mise en scène des images, du site, par des structures bien pensées), naviguer librement , et vivre une vraie aventure personnelle qui lui permettrait, dans l'idéal, de mieux créer du lien avec les autres dans le "réel ".
La bande-annonce :
A partir du 13 février sur vos écrans (ordinateurs et tablettes). Une co-production de MemoProd et du département des Nouvelles Ecritures de France Télévisioin en partenariat avec France Inter. Avec le soutien du CNC et de l'IRI (L'Institut de recherche et d'innovation du centre Pompidou).
D'ici là ce blog éphémère vous accompagne... pour découvrir The End, etc...