"The Revenant" : western christique ou film lourd et tape-à-l’œil ?
Les avis sont très tranchés au sein de l'équipe de l'émission Le Masque et la plume au sujet du dernier film d'Alejandro González Iñárritu dans lequel Leonardo Di Caprio tient le rôle phare et pour lequel il vient d'être primé aux Oscars. Avec Jérôme Garcin (L'Obs, France Inter), Sophie Avon (Sud Ouest), Eric Neuhoff (Figaro), Xavier Leherpeur (7e Obsession) et Michel Ciment (Positif).
La présentation du film par Jérôme Garcin :
On commence avec ce film qui a recu dimanche dernier les Oscars du meilleur acteur et du meilleur réalisateur : The Revenant d'Alejandro González Iñárritu avec Leonardo di Caprio dans le rôle de ce trappeur qui va mener pendant 2h36 un parcours du combattant à faire trembler les aventuriers de Koh Lanta ! Nous sommes dans dans les forêts du Dakota en 1923. Le héros échappe à une pluie de flèches indiennes, affronte une maman grizzli, sort d’une tombe où on l’avait enterré, fait une plongée vertigineuse dans une cascade, croise des trappeurs français… In fine, il va même découvrir les vertus calorifiques du cheval.Le film tient à la fois du western christique et de la fresque pariétale. Mais la presse n’est pas unanime.
Michel Ciment : « un film qui a de l’ampleur, du lyrisme, et un sens de l’espace »
Ça m’a rajeuni, j’avais oublié le « triangle des Bermudes » : j’ai trouvé enfin réconciliés Libé, Les Inrocks, Charlie Hebdo. Même Télérama a fait un pour et contre. Je suis sidéré, parce que je suis certain qu’il n’y aura pas ça sur le prochain Téchiné, par exemple, qui ne sera pas autant controversé. Ça ne me surprend pas, beaucoup de grands films américains ont suscité des controverses à n’en plus finir.Or on a ici enfin le plaisir de voir un film qui a de l’ampleur, qui a un lyrisme, qui a un sens de l’espace absolument formidable. Il a des scènes inoubliables : l’attaque des Indiens dans la première partie du film qui est digne du Grand Passage de King Vidor. Il faut dire que la série de résurrections se fait dans des ventres féminins : il se retrouve à un moment à l’intérieur d’une jument, et il combat une ourse. Oui, c’est un western christique qui a été traité de bigot par les Inrocks. C**’est vrai, c’est un film qui est dans la tradition mexicaine du dolorisme…**
Le film a peut-être 20 minutes de trop. Les flash-backs de la femme auraient pu être supprimés.Pour une fois que le grand public (déjà un million d’entrées en France) a le talent d’aller voir un tel film. Ca me console des Tuches ou de La Reine des connasses. Je trouve triste qu’une certaine critique ne soit pas mobilisée pour défendre un cinéaste de grand talent. Oui, j’ai énormément aimé ce film. On voit peu de westerns. Gide disait à propos d’un autre western_La Ruée vers l’or_ : « Quel plaisir quand on se retrouve avec le public populaire et de voir avec lui un très bon film ». C’est exactement ce que j’ai ressenti.
Sophie Avon : « Une succession de gros plans n’en fait pas un grand film »
Je me réjouis que les gens aillent le voir, mais je trouve qu'Alejandro González Iñárritu en fait trop, comme d’habitude. Une succession de gros plans n’en fait pas un grand film. Ce film est au départ assez beau avec cette scène de l’attaque des Sioux qui rappelle Terrence Malick. Ensuite ça se gâte. Il y a trop de symboles et de gros plans. On dit que c’est un film bigot, mais je ne trouve aucune spiritualité, ni d’intériorité… Il y bien une église, mais elle ne veut rien dire. Il est mexicain, mais on a surtout l’impression qu’il tuerait père et mère pour faire un beau plan. On a envie que ça s’arrête. Je suis restée complètement extérieure :j’avais envie qu’il me parle de la condition humaine à travers ce film, parce qu’en effet le sujet, ce n’est pas rien : c’est la résistance physique etc. On voit ce type qui avance pendant des heures, mais moi, ça m’a ennuyé.
Eric Neuhoff : « J’y repense sans cesse, je ne l’oublierai jamais »
Même s’il est un peu trop long, je trouve qu’il n’y a jamais trop de beauté dans un film.J’y repense sans cesse, je ne l’oublierai jamais. C’est rare de voir un film pareil dans une année. Comment fait cet Iñárritu pour tourner ce film même pas un an après Birdman. Ce n’est pas grave si ce n’est pas un film bigot : c’est un western sur le deuil et la vengeance. C’est effectivement une sorte de Jeremiah Johnson de Sydney Pollack revu et corrigé par Tree of life. Et même s’il y a quelques « Mallickeries » de trop… Mais Iñárritu ose ! Il y a un souffle. On est emporté par ce western rural. La nature est là. La scène avec grizzli est incroyable. Comme celle où Leonardo Di Caprio se couche nu dans la jument. Ce film est droit comme une flèche qui vous va droit au cœur et il finit comme un beau John Ford.
Xavier Leherpeur : «Le film est peut-être droit comme une flèche, mais lourd comme une pierre »
Le film est peut-être droit comme une flèche, mais lourd comme une pierre. Ce film n’est qu’une succession d’épreuves à la Koh Lanta, filmé avec telle exactitude qu’après un quart d’heure je me suis demandé comment ils avaient fait et je suis sorti du film. Quand Leonardo Di Caprio tombe avec son cheval dans l’arbre, ce qui me vient à la tête, c’est :"mais quel trucage !" Je ne suis plus dans le film. Je suis un saint à côté d’Iñárritu qui fait subir à Leonardo Di Caprio les pires horreurs. Je suis content de savoir que le Grizzli est une femelle car j’avais l’impression dans une scène qu’il était en train de déflorer le beau Leonardo. Il y a deux plans tendancieux.
Cette suite de scènes extrêmement bien filmées, tape à l’œil, toujours dans une espèce de violence ne m'intéresse pas. C'est ponctué par la caméra qui s’élance sur la cime des arbres qui regarde le ciel parce que Dieu est sans doute quelque part. La dernière réplique, c'est : « Laissons la vengeance entre les mains de Dieu ». C’est d’une lourdeur mystique à deux balles. La fin est très faux cul.
Et il n’y a aucune place pour les autres comédiens, qui sont pourtant formidables. À un moment, le héros tombe sur un indien pendu lynché à un arbre à côté duquel on peut lire sur un écriteau en français : « on est tous des sauvages ». C’est une référence à Charlie ? Je n’ai pas compris.
C’est peut-être grandiose, mais c’est souvent grotesque.
Écouter l'extrait du Masque et la plume consacré à The Revenant d'Alejandro González Iñárritu.
Le Masque 06.03.2016
12 min
►►► L'émission du Masque et la plume
Voir la bande annonce :
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Les autres films évoqués :
- Ave César de Joel et Ethan Coen.
- Les Innocentes d'Anne Fontaine.
- Ce sentiment de l’été de Mikhaël Hers.
- Je ne suis pas un salaud d'Emanuel Finkiel.
- Tempête de Samuel Collardey.
- La Vache de Mohamed Hamidi.