Trois questions sur l'interdiction pour les femmes de travailler dans des ONG en Afghanistan

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Trois questions sur l'interdiction pour les femmes de travailler dans des ONG en Afghanistan

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Une soignante dans une clinique tenue par l'ONG Médecins sans Frontières, en juillet 2022, à Lashkar Gah, en Afghanistan
Une soignante dans une clinique tenue par l'ONG Médecins sans Frontières, en juillet 2022, à Lashkar Gah, en Afghanistan
© AFP - Lillian SUWANRUMPHA

Les femmes n'ont plus le droit de travailler dans les organisations non-gouvernementales en Afghanistan. Certaines ont donc décidé de suspendre leur travail humanitaire dans le pays. Elles sont pourtant essentielles pour les habitants.

Le régime taliban rogne encore un peu plus la liberté des femmes en Afghanistan. Désormais, elles n'auront plus le droit de travailler avec les organisations non-gouvernementales. Le ministère afghan de l'Economie a ordonné à ces organisations de cesser de travailler avec elles, sous peine de suspendre leur licence d'exploitation. Cette décision vient menacer le travail des quelques humanitaires qui restaient dans le pays. Les principales ONG présentes dans le pays se réunissent ce dimanche pour trouver une réponse. Trois ONG ont d'ailleurs décidé de suspendre leur activité pour le moment. Trois questions pour comprendre les enjeux de cette mesure.

Pourquoi cette interdiction ?

Le ministère de l'Economie afghan justifie cette décision expliquant avoir reçu des "plaintes sérieuses" sur la tenue vestimentaire des femmes. Selon ces plaintes, certaines femmes qui travaillaient dans ces ONG ne respectaient pas le port du "hijab islamique". Un comportement contraire au code vestimentaire en vigueur dans le pays, où les femmes doivent se couvrir le visage et le corps tout entier. Une infraction que dément une responsable d'associations sous anonymat à l'AFP : "nous n'avons jamais été prévenus de problème concernant le code vestimentaire des femmes". Il n'a pas été précisé si la directive concernait le personnel féminin étranger des ONG.

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Cette décision tombe alors que l'étau autour des femmes s'est resserré ces derniers mois en Afghanistan. Les talibans, revenus au pouvoir en août 2021, leur ont interdit, il y a moins d'une semaine, de fréquenter les universités publiques et privées pour les mêmes raisons de code vestimentaire non respecté. Ils les avaient déjà exclues des écoles secondaires. Elles n'ont pas non plus accès à de nombreux emplois publics, ne peuvent pas voyager sans être accompagnées d'un parent masculin et ont reçu l'ordre de se couvrir en dehors de la maison, idéalement avec une burqa. Elles ne sont pas non plus autorisées à entrer dans les parcs.

Qu'est-ce ça change ?

Cette décision menace le fonctionnement des ONG dans le pays. Des dizaines d'organisations travaillent dans les régions reculées de l'Afghanistan et beaucoup de leurs employés sont des femmes. Plusieurs d'entre elles ont prévenu qu'une interdiction du personnel féminin entraverait leur travail. Par exemple, l'International Rescue Committee, une association humanitaire qui aide les victimes de conflit, qui compte plus de 3.000 femmes dans son personnel en Afghanistan se dit*"consternée"*. "Notre personnel féminin est essentiel à l'acheminement de l'aide humanitaire en Afghanistan", explique-t-elle sur son site.

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Or, ces ONG sont elles-même vitales pour les habitants. Selon les Nations unies et les agences d'aide, plus de la moitié des 38 millions d'habitants du pays ont besoin d'une aide humanitaire pendant l'hiver rigoureux. "Ce dernier recul flagrant des droits des filles et des femmes aura des conséquences considérables sur la fourniture de services de santé, de nutrition et d'éducation aux enfants", a tweeté dimanche le directeur régional de l'Unicef, George Laryea-Adjei.

"Sans les femmes, on n'a pas accès à la population afghane. C'est impossible d'aller dans les villages pour vérifier les besoins en terme d'eau, d'éducation, de santé, mais aussi en terme de formation professionnelles, de travail",  explique sur France Inter Nassim Majidi, fondatrice du centre de recherche Samuel Hall, basé à Kaboul.

L'économie afghane, dont les fonds sont bloqués à Washington et qui n'a pas de véritable gouvernement, est tenue par le secteur humanitaire. Cette décision aura aussi des conséquences sur les nombreuses employées afghanes de ces ONG, qui vont se retrouver privées de salaire. "Nous sommes quinze dans ma famille et je suis le seul soutien, si je perds mon emploi, ma famille mourra de faim", a témoigné à l'AFP Shabana, 24 ans, employée à Kaboul.

Quelles sont les réactions ?

Les ONG présentes dans le pays se concertent dimanche pour trouver une réponse à donner à cette décision. Dans un communiqué commun, Save the Children, le Conseil norvégien pour les réfugiés et CARE International ont annoncé dimanche après-midi suspendre leurs activités en attendant que l'annonce faite samedi soir par les talibans soit "clarifiée". "Nous suspendons nos programmes, en exigeant que les hommes et les femmes puissent poursuivre de la même manière notre aide pour sauver des vies en Afghanistan", expliquent les trois associations.

Mais certaines ONG locales ont décidé de défier les talibans et de maintenir leurs bureaux ouverts. "Je ne veux pas fermer mon ONG. Parce que c'est le seul espoir pour les femmes ici à Herat. J’ai dit à nos bénéficiaires et à mes employées que nous allions continuer jusqu'au bout", dit par exemple cette directrice d'ONG basée à Herat et qui soutient les femmes dans leurs projets professionnels, jointe par la correspondante de France Inter dans la région Sonia Ghezali.

Sa structure s'occupe d'une trentaine de femmes. "La plupart des ONG locales et internationales ont fermé leurs organisations", regrette-t-elle*. "Et au cours de cette année, toutes les femmes publiques connues ont quitté l'Afghanistan, mais je suis à côté de ces femmes et j'essaierai de garder mon ONG ouverte. Si ce n’est pas du tout possible, nous ferons de notre mieux pour trouver d'autres moyens d’aider et de donner de l'espoir aux femmes",* conclut-elle.

L'Union européenne, contributeur majeur au financement des ONG en Afghanistan, a dit "condamner fermement" cette décision, et évaluer "la situation et l'impact qu'elle aura sur notre aide sur le terrain". Aux Etats-Unis, le secrétaire d'Etat Antony Blinken s'est dit "très inquiet", de cette décision qui pourrait être "dévastatrice pour le peuple Afghan".