Trump, Koons, du sport et du sexe sur une autoroute : découvrez le court-métrage apocalyptique "My Generation"
Par Julien Baldacchino
L'un des réalisateurs du court-métrage d'animation césarisé et oscarisé "Logorama", qui imaginait un monde de logos, revient dix ans après avec "My Generation", un plan-séquence animé qui envoie le spectateur à toute vitesse sur une autoroute saturée de symboles de la société contemporaine.
En 2009, Ludovic Houplain, co-fondateur du collectif H5, réalisait avec François Alaux et Hervé de Crécy " Logorama", un court-métrage d'un quart d'heure dans un univers entièrement fait de logos, film policier miniature où Bibendum affrontait Ronald McDonald, où tous les éléments de décor et accessoires étaient représentés par quelque 3 000 logos. Une critique du marketing omniprésent qui a valu au collectif un prix à Cannes en 2009, un Oscar du meilleur court-métrage d'animation en 2010 et un César du meilleur court métrage en 2011.
Dix ans plus tard, le réalisateur propose un nouveau court-métrage et une nouvelle vision de la société. Cette fois en équipe avec le musicien Mirwaïs, ancien membre du groupe Taxi Girl et producteur notamment des titres du nouvel album de Madonna, il propose un film de 8 minutes en un seul plan-séquence. Celui-ci prend la forme d'un travelling arrière, course effrénée à travers un monde saturé de références aux codes de la culture, du web, du sport, du sexe, de la politique, etc.
Découvrez un extrait exclusif du court-métrage :
Sur fond de musique inquiétante et d'extraits de discours, on y affronte tour à tour les facettes et travers de la société, jusqu'à un "twist" final (que nous ne vous révélerons pas). Le film a été applaudi au festival d'animation d'Annecy et actuellement en projection dans plusieurs festivals de court-métrage ( à voir aussi en ce moment sur le site Shots). Nous avons rencontré son réalisateur.
FRANCE INTER : Que nous montre My Generation, votre nouveau court-métrage ?
Ludovic Houplan : "C'est un film que j'ai réalisé en association avec le musicien Mirwaïs, et c'est une continuité de mon travail commencé sur les marques avec Logorama, le marketing et la propagande avec une exposition intitulée Hello en 2012 à la Gaîté Lyrique. Il y est question des flux de communication : dans ce film, j'ai rematérialisé tous les flux dématérialisés qu'on a sur nos téléphones".
"Que serait le monde si les applications tactiles devenaient des mondes matériels autour de nous ?"
Visuellement, cela donne lieu à un travelling arrière pendant huit minutes, plein de symboles qui évoquent la société actuelle.
"C'est ça : on est sur une autoroute, dans le sens contraire de la circulation. On va à contre-courant, ce qui donne un effet de surprise permanent. Et on traverse sept mondes, comme les sept jours de la semaine. Ces mondes sont une synthèse de ce que j'ai constaté en regardant les données les plus consultées sur Internet : en gros, c'est le sexe, la finance, la politique, le sport... J'ai synthétisé ces applications, ces données qui sont sur nos téléphones, sous la forme de villes, de parcs d'attractions géants.
La question que je me suis posée était celle du monde que l'on a si les applications tactiles que l'on utilise devenaient des univers matériels autour de nous. Ce flux peut être vu au premier degré, avec cette route que l'on traverse, mais aussi sous la forme de flux dématérialisés, de mouvements."
Ces univers commencent par l'art et vont vers quelque chose de plus apocalyptique...
"J'aime bien avoir une démarche en adéquation avec les codes de notre société : j'ai donc choisi des codes très pop, très colorés, ce qui permet de jouer sur un effet de contraste. Plus on recule, plus on entre dans un univers nocturne et sombre. Chaque univers traversé a sa propre ambiance. À chaque fois, j'ai essayé de plonger le spectateur dans ce qu'il a sous les yeux quotidiennement, sans y faire attention."

Tous ces éléments dans les décors, combien y en a-t-il, comment les avez-vous cherchés et rassemblés ?
"Il y en a énormément ! En animation, faire un plan séquence a l'air simple, mais c'est en réalité plus compliqué. Quand on construit des mondes dans lesquels on va se déplacer, on passe aussi notre temps à combler des trous, des vides. Ce qui modifie à chaque fois la composition artistique. Vu que je cherchais vraiment cette saturation de codes, de logos, j'ai mis au moins 2 500 et 5 000 éléments sur les huit minutes de film. Chaque élément a été créé un par un, ça m'a pris quasiment un an et demi, chaque soir."
Il y a des petites choses cachées que vous vous êtes amusés à placer dans les décors, à voir au bout de plusieurs visionnages ?
"Toujours ! Quand on faisait des clips pour MTV par exemple, ils nous envoyaient une liste des interdits : pas d'armes, pas de sexe, etc. L'espace de création le plus libre devenait le plus contraint. Alors quand on a fait le clip de Goldfrapp, on s'est dit qu'on allait faire le clip le plus porno du monde, mais où tout serait caché.
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Ici, c'est pareil, tout est caché, induit par le mouvement et la vitesse, les gens le voient ou pas, parfois il faut voir le film plusieurs fois. En animation, c'est intéressant de jouer sur plusieurs niveaux de lecture. On met toujours des choses cachées, des associations d'idées. L'ordre des mondes est clairement établi : le monde du porno est juste avant celui de la politique qui est introduit par Donald Trump. J'aime bien laisser aux gens la possibilité d'avoir des interprétations, des associations d'idées. Souvent, les gens me racontent des choses sur nos films ou nos expos, auxquelles on n'avait pas pensé."
C'est le paroxysme du XXe siècle, du pouvoir et du patriarcat.
La bande son du court-métrage, qui devait être un clip à la base, comporte beaucoup d'extraits d'interviews et de discours, que disent-ils ?
"Au départ, ces images pouvaient illustrer une chanson de Mirwaïs. Mais en avançant, il était moins convaincu par ce titre. On s'est dit, alors, qu'on pouvait en faire un film. L'idée me semblait intéressante d'avoir un élément audiovisuel qui pouvait aller sur plusieurs territoires. À partir de là, on a travaillé un autre son : vu que le film était fini visuellement, il fallait composer la musique du film.
C'est Mirwais qui a dû trouver cette bande son. Et vu qu'on était sur cette idée des "nouvelles dictatures", il est parti sur un discours d'Hitler dans le premier monde, qui est une métaphore absolue de la dictature et du totalitarisme : même sans comprendre ce qu'il dit en allemand, il incarne le totalitarisme. Ensuite, chaque extrait sonore est en adéquation avec ce qu'on voit à l'écran... jusqu'au son de Bertrand Russell, sur le générique de fin, qui amène un message plus positif, qui dit qu'il faut être ensemble si on ne veut pas courir à notre perte.
Il y a une autre chose que l'on voit en traversant ce film : tout ce que l'on traverse, c'est le paroxysme du XXe siècle, du pouvoir et du patriarcat. Quand on voit tout cela, on se dit qu'il est peut-être temps de passer à autre chose. Sans dévoiler la fin, c'est dans cette direction qu'on va."

En 2009, vous réalisiez Logorama, oscarisé et césarisé. Qu'est-ce qui a changé pour vous, dans le monde, en dix ans ?
"Il y a d'une part la dématérialisation : Logorama, c'est la transcription du monde extérieur en partant du principe qu'un logo correspondait pour tout. On en a fait un monde de logos. Ici, c'est un flux d'informations, de communication, auquel on a donné une apparence de mondes visuels, qui sont imbriqués entre eux.
Et puis la vitesse fait qu'on a besoin de le revoir plusieurs fois. Cela correspond bien aux flux Internet, qu'on a l'impression de maîtriser alors qu'en réalité, on ne maîtrise rien.
Ça me fait penser à la scène d'Orange Mécanique, de Stanley Kubrick, dans laquelle Alex est torturé : on lui fait regarder des images avec des pinces qui tiennent ses yeux ouverts en permanence. Cinquante ans plus tard, c'est devenu notre quotidien, c'est accepté. Il faut donc se poser des questions par rapport à cela.
Et pourtant... Quand on interroge les gens après le film sur ce qu'ils ont vu, ils ne se souviennent de rien si ce n'est des dernières images. J'appelle ça la théorie de la mémoire de poisson rouge. C'est toujours la dernière chose qu'on a vue que l'on retient. Ce qui est passé au début du fil, on ne s'en souvient pas. Le film pose aussi des interrogations sur la mémoire, et sur le fait qu'on n'a jamais été aussi vite alors qu'on n'a jamais vécu aussi vieux."

C'est un court métrage d'animation mais ce n'est pas pour les enfants. Aujourd'hui, comment fait-on de l'animation pour les adultes ?
"En France, on est souvent cantonné à des productions pour les enfants. On n'a pas encore eu le film déclencheur pour adultes, en animation, auquel tout le monde adhère. Comme Toy Story a fait Pixar et l'animation 3D, on n'a pas encore eu ce film emblématique qui permette d'aller vers l'animation pour adultes.
C'était le cas avec la BD dans les années 60, où on considérait que c'était Astérix, Gaston Lagaffe, des choses pour les enfants. Et ça a changé. On va suivre le même mouvement avec l'animation... il manque juste un film emblématique."