Plusieurs blogueurs et journalistes s’accordent sur un même constat : les scientifiques français accusent un certain retard en matière de communication numérique. Notamment, la plupart désertent Twitter, média social plébiscité par de nombreux scientifiques aux Etats-Unis, et qui permet une véritable ouverture sur l’extérieur. Pour « sortir du labo », rencontrer des collaborateurs partageant les mêmes centres d’intérêts, et accroître la visibilité des recherches en ligne.
Sylvain Deville, chargé de recherche au CNRS , se demandait dans une récente tribune« pourquoi, en comparaison avec nos collègues anglo-saxons, si peu de chercheurs français se servent de cet outil [Twitter, ndr] » . Et évoquait les réticences de collègues à l’égard des réseaux sociaux : « A chaque fois que je discute de l’utilisation de Twitter avec des confrères, on me renvoie un regard mi-étonné, mi-méprisant et toujours lourd de préjugés sur les réseaux sociaux. La recherche, c’est du sérieux. Pas de place pour Twitter » .
Quel intérêt les chercheurs auraient-ils à twitter ? Nombreux sont les scientifiques qui se posent la question depuis la création du réseau social en 2006. Certaines études s’intéressent notamment aux retombées qu’aurait la diffusion des articles scientifiques sur la recherche elle-même. Les scientifiques devraient-ils twitter simplement pour discuter, pour un enrichissement personnel, pour accroître leur réseau ? Et quelles conséquences Twitter a-t-il sur la diffusion des recherches ?
Twitter permet aux scientifiques de s’ouvrir sur l’extérieur , en dépassant l’échelle du laboratoire, et en interagissant avec des personnalités d’origines professionnelles diverses. Un intérêt clairement évoqué par Arthur Charpentier, blogueur actif et chercheur en économie à Montréal : « Je suis beaucoup de monde sur Twitter. Quelques collègues proches qui parfois postent des informations intéressantes (privées ou liées à leur activités de recherche), quelques étudiants qui font un travail de veille fabuleux, des collègues chercheurs moins proches (souvent dans des disciplines connexes, en informatique, en biologie, en santé publique, en géographie), quelques journalistes (en particulier en sciences ou en économie), des copains de promo que j'ai parfois perdu de vue (qui occupent des fonctions diverses, des chercheurs, des hauts fonctionnaires, même une députée) » .
Une ouverture qui semble pouvoir faire tomber les barrières en science , et qui décloisonne la recherche. « […] Entre blogueurs, on interagit énormément ensemble. Cela crée une saine émulation, transdisciplinaire, où chacun arrive avec des compétences propres […].Les chercheurs sont souvent dans leur tour d'ivoire, mais Twitter permet de sortir un peu de notre monde. On peut rencontrer des collègues avec qui on peut discuter, et interagir […].La force de Twitter c'est d'élargir le faculty lounge (le cercle des collègues proches), avec des collègues d'autres disciplines, avec lesquels on peut discuter, de tout et de rien, mais aussi lancer des projets sérieux de collaborations ».
Twitter facilite une ouverture sur la communauté scientifique mondiale de façon incomparable, même si comme l’explique Pierre Barthélémy, journaliste scientifique et blogueur au Monde, les chercheurs ont déjà pour tradition de « sortir de leur labo » :
Une ouverture sur la communauté scientifique mondiale
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Twitter pourrait aussi être un moyen de donner plus de visibilité aux recherches scientifiques . Une étude anglaise mettait en évidence que les partages sur Twitter mènent à des pics de consultation des articles cités, même pour des publications anciennes qui n’avaient pas reçu une grande attention. Les articles sont ainsi plus lus et téléchargés.
Arek Stopczynski, doctorant en résidence au Massachusetts Institute of Technology (MIT) , centre de recherche des plus innovants aux Etats-Unis, utilise Twitter pour rester informé des travaux d’autres scientifiques, et pour partager ses propres travaux.
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Pour lui, « Twitter est extrêmement puissant et fait en sorte que vos recherches soient remarquées. Il ne remplace pas l’importance de la qualité d’un article scientifique, mais peut faire la différence entre faire quelque chose dont personne n’entendra parler et se faire inviter sur un évènement, comme par exemple le SciFoo » .
Comme l’évoque Arek Stopczynski, il est actuellement difficile de savoir si Twitter met en avant la science de haute qualité ou significativement importante dans la littérature scientifique. Une récente recherche montrait par exemple qu’en médecine les articles les plus cités sur Twitter sont plutôt humoristiques ou anecdotiques. Et le taux de citations sur le réseau social n’est pas corrélé avec celui des citations dans la littérature.
Aux Etats-Unis, utiliser Twitter est une évidence pour de nombreux chercheurs. Situation qui s’explique par un contexte politique en recherche différent et une autre culture de la communication.
En France, les choses semblent s’améliorer mais des efforts sont encore à faire. Pierre Barthélémy ressent une réelle différence entre le temps où il a débuté comme journaliste, et la situation actuelle. Arthur Charpentier constate la même chose : « Lorsque j'ai quitté la France voilà 3 ans et demi, peu de monde était sur Twitter, pour ne pas dire personne. Aujourd'hui beaucoup plus de monde semble y être. En tous cas, les personnes importantes y sont » .
Pour comprendre l’intérêt de Twitter, savoir utiliser les meilleurs outils de façon efficace, il faut pouvoir se former. Sylvain Deville défendait l’idée qu’ « Une formation de base aux outils et principes élémentaires de communication devrait peut-être faire partie intégrante de la formation doctorale » . Avis partagé par Pierre Barthélémy, qui n’excuse pas les lacunes de communication par un manque de temps :
Une formation aux outils de communication
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Dans un article de 2011 publié dans Plos Biology , trois chercheurs américains plaident pour une intégration des réseaux sociaux au portfolio des scientifiques, et une vraie formation pour qu’ils identifient les meilleurs outils, ceux qui leurs seront les plus nécessaires.
D’ailleurs des ressources existent , comme sur le site de Tweet your Science, ou d’autres nombreux blogs de scientifiques, pour savoir, enfin, comment prendre le petit oiseau par les cornes.
Par Antoine Bonvoisin, pour La tête au carré.