Un ancien ministre brésilien alerte contre l'installation d'une base militaire américaine au Brésil

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Un ancien ministre brésilien alerte contre l'installation d'une base militaire américaine au Brésil

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CELSO AMORIM, ancien chef de la diplomatie de Lula et ancien ministre de la défense de Dilma Rousseff
CELSO AMORIM, ancien chef de la diplomatie de Lula et ancien ministre de la défense de Dilma Rousseff
© Radio France - Olivier Poujade/Gilles Galinaro

[Exclusif] Celso Amorim, l’ancien chef de la diplomatie brésilienne de Lula (2003 à 2010) et ancien ministre de la défense de Dilma Rousseff (2011 à 2014), évoque les nouvelles orientations du président d’extrême-droite Jair Bolsonaro en matière de politique étrangère. Une rupture qui peut coûter cher au pays.

Le virage politique brutal amorcé par le nouveau président d’extrême-droite Jair Bolsonaro concerne aussi la politique étrangère. Il se place dans le sillage de l’américain Donald Trump, accueille l’israélien Benjamin Netanyahu à son investiture, tout comme le Premier ministre hongrois Viktor Orban.

Celso Amorim, l’ancien chef de la diplomatie brésilienne de Lula et ancien ministre de la défense de Dilma Rousseff  est un acteur diplomatique de premier plan. Il se dit "très préoccupé" et considère que le projet d’implanter une "base militaire américaine au Brésil" risque de transformer le pays en "cible de conflits qui ne sont pas les siens". Autre crainte pour Celso Amorim : "une vision totalement anti-palestinienne, qui pourrait avoir des conséquences graves dans notre région".

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Le Brésil, version Bolsonaro, se tourne vers des gouvernements de droite populiste, ultraconservateurs. Ce n’est pas forcément le choix du peuple brésilien.

Celso Amorim : "Quand on pose la question à la population de savoir s’ils sont d’accord avec cette politique, il disent que non ! Ce n’était pas un référendum pour que le Brésil reconnaisse Jérusalem comme la capitale d’un état juif, les gens n’ont pas voté pour avoir une relation d’hostilité avec la Chine, ils n’ont pas voté pour que l’on suive la politique de Trump, pas Washington mais Trump ! Ce qui est encore plus grave… donc je ne pense pas que tout cela se maintiendra à long terme".

Brésil/États Unis : un alignement contre nature 

Dès le lendemain de son élection, Jair Bolsonaro s’est tourné vers les États-Unis de Trump. Il a reçu fin novembre le néoconservateur John Bolton, conseiller pour la sécurité nationale de Donald Trump. Sur Twitter, il a qualité cette rencontre de "cordiale et fructueuse".

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Jair Bolsonaro : Une réunion cordiale et fructueuse avec le conseiller à la sécurité nationale des Etats Unis, John Bolton. En compagnie de nos futurs ministres de la défense (le général Fernando), des affaires étrangères (Ernesto Araujo), et notre chef de la sécurité intérieur (le général Heleno)

Au lendemain de l’investiture de Bolsonaro, depuis Brasilia, le secrétaire d’état américain Mike Pompeo a annoncé sa volonté de d’ouvrir une relation entre les deux pays :

Nous pensons qu’il y a une opportunité entre les présidents Trump et Bolsonaro et nos deux équipes de créer une relation réellement transformée entre nos deux nations

Une base militaire américaine au Brésil serait une première

De son côté, Bolsonaro se dit ouvert à l’idée d’implanter "dans le futur" une base américaine sur le territoire brésilien.

Celso Amorim : "Tout cela est très préoccupant. Même pendant la dictature, dans un gouvernement militaire pro-américain (1964-1985), il n’y avait pas de base américaine au Brésil. Quand je lis dans les journaux que le président évoque cette possibilité, je suis très préoccupé parce que cela nous transforme automatiquement en cible des conflits entre les Américains et les Chinois ou les Américains et les Russes. Le conseil de sécurité de l’UNASUR (Union des Etats Sud-américains) [stipule] qu’aucun pays ne peut avoir une base de n’importe quel autre pays chez lui. Pour éviter justement que le Venezuela ait une base russe, la Colombie une base américaine et que cela importe des conflits qui ne sont pas les nôtres".

La réaction du président vénézuélien ne s’est pas fait attendre. Nicolas Maduro accuse les États-Unis de vouloir promouvoir dans la région un coup d’état au Venezuela. L’évocation de cette base militaire sur le sol brésilien intervient dans un contexte où le Venezuela a choisi d’accueillir ces dernières semaines sur son territoire deux bombardiers TU-160 Blackjack, officiellement pour participer à des exercices militaires conjoints.

Netanyahu : l’autre partenaire

Parmi ses premières annonces, le transfert de l’ambassade brésilienne à Jérusalem, Jair Bolsonaro l’a encore confirmé vendredi dernier, il compte suivre l’exemple des États-Unis. Une double erreur, diplomatique et économique, pour le premier pays exportateurs de viande halal vers le monde arabe.

Celso Amorim : «Ce n’est pas seulement le fait que l’on vendra moins de poulets aux pays arabes, c’est aussi que l’on va perdre le crédit que le pays avait en tant que médiateur dans certains conflits internationaux. Aujourd’hui c’est impossible ! Quel serait le pays arabe qui accepterait que le Brésil ait un rôle de facilitateur, quand celui-ci est train de déplacer son ambassade de Tel Aviv à Jérusalem ? Si l’on a une vision qui est totalement anti-palestinienne, ça peut avoir des conséquences graves dans notre région."

Quand on demande à Celso Amorin s'il redoute des actes de terrorisme parmi ces conséquences, il répond : "Y compris. Je ne l’espère pas !"

Les militaires : jusqu’ici un facteur de stabilité

Dans certains domaines, les anciens généraux désignés par Bolsonaro pour occuper certains postes, tiennent un discours plus pragmatique sur le plan du commerce extérieur et plus en adéquation avec la tradition diplomatique brésilienne. 

Celso Amorim : "J’essaie d’être positif quand même. En termes de politique économique et dans les relations internationales, les voix qui ont le plus de bon sens sont celles de quelques militaires, et spécialement celle du vice-président. Les déclarations les plus équilibrées viennent de quelques-uns des militaires ".

Le vice-président Antonio Mourao a choisi de recevoir une délégation chinoise peu de temps après que Bolsonaro a accusé la Chine de vouloir "acheter le Brésil".

L’initiative de l’ancien militaire s’est avérée efficace, le président Xi Jinping a adressé une lettre au président brésilien, dans laquelle il se dit disposé à "travailler avec son gouvernement pour développer l’économie des deux pays et sauvegarder la paix mondiale".

La vigilance et le pragmatisme des militaires concernant les orientations de Bolsonaro sur la politique étrangère devraient jouer un rôle prépondérant dans les quatre prochaines années, pour protéger la souveraineté nationale au Brésil.