Un Banksy disparu à Paris : décrocher une oeuvre de street art, c'est du vol ?

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Un Banksy disparu à Paris : décrocher une oeuvre de street art, c'est du vol ?

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L'oeuvre de Banksy a disparu de la porte du Bataclan où elle se trouvait dans la nuit de vendredi à samedi
L'oeuvre de Banksy a disparu de la porte du Bataclan où elle se trouvait dans la nuit de vendredi à samedi
© AFP - Thomas Samson

Une oeuvre attribuée au mystérieux artiste Banksy a été volée, ce week-end, à Paris, sur la porte arrière du Bataclan. Une disparition qui est loin d'être la première du genre, et qui pose de vraies questions de propriété intellectuelle : à qui appartient une oeuvre qui est par essence éphémère et illégale ?

Une oeuvre attribuée au street-artist britannique Banksy a disparu, samedi, d'une porte arrière du Bataclan, à Paris, où elle avait fait son apparition en juin dernier. C'est la direction de la salle de spectacle qui l'a annoncé sur son compte Twitter : "L'oeuvre de Banksy, symbole de recueillement et appartenant à tous, riverains, parisiens, citoyens du monde, nous a été enlevée"

Cette peinture réalisée au pochoir sur la porte noire de la salle représentait un personnage triste. Le lieu où elle se trouvait n'était pas choisi par hasard : il s'agit de l'une des issues de secours du Bataclan, par laquelle de nombreuses personnes se sont enfuies le 13 novembre 2015, quand des terroristes ont fait irruption dans la salle, tuant 90 personnes. 

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"C'est une profonde indignation qui nous anime aujourd'hui", explique la direction de la salle. Selon une source proche de l'enquête ce sont des personnes cagoulées et munies de meuleuses qui sont venues découper l'oeuvre et l'emporter en camion. 

Longue série de disparitions

Si l'on met de côté le caractère presque blasphématoire indéniable de ce "décrochage" d'une oeuvre réalisée en hommage aux victimes d'un attentat, cette disparition est loin d'être la première - et probablement pas la dernière - d'une longue série d'oeuvres de Banksy qui se volatilisent des murs, portes et autres équipements urbains où elles sont réalisées. Ainsi par exemple, en 2013, une peinture murale montrant un enfant fabriquant avec une machine à coudre de petits drapeaux du Royaume-Uni a disparu du jour au lendemain à Londres. Sur Wikipedia, une page (en anglais) recense toutes les œuvres de l'artiste qui ont été vandalisées ou décrochées. 

Mais la plupart du temps, ces disparitions ne durent pas bien longtemps : l'oeuvre retirée à Londres a refait surface à peine quelques jours plus tard... dans une vente aux enchères à Miami (avec une mise à prix à 500 000 dollars). Là encore, ce genre d'exemple est fréquent. En 2014, une exposition intitulée "Stealing Banksy" ("Voler Banksy") a même été présentée à Londres. L'artiste l'a qualifiée de "dégoûtante". 

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Plus récemment, en Belgique, un lieu de street art a annoncé en grande pompe une grande exposition consacrée à Banksy... avant de demander à la justice de venir saisir les près de 60 œuvres de l'artiste. Les propriétaires du lieu ont accusé l'entreprise qui produisait l'événement de ne pas détenir les droits d'exposition sur les œuvres présentées.

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C'est la question qui revient le plus souvent lorsqu'une oeuvre de l'artiste est exposée ou vendue aux enchères : Banksy a-t-il donné son accord ? Dans le cas précis de cette star du street art, l'artiste a mis en place un service appelé "Pest Control", le seul habilité à certifier les oeuvres de Banksy destinées à la vente. Or, aucune oeuvre réalisée dans l'espace public n'est officiellement certifiée :

"Pest Control est désormais l'unique point de vente pour de nouveaux travaux de Banksy (...). Banksy n'est représenté par aucune autre galerie ni institution". 

Autrement dit, toute oeuvre de Banksy qui fait l'objet d'une transaction sans être passée par ce "service" est l'objet d'une vente illégale - même si Banksy, qui tient à garder son anonymat, n'a jamais attaqué personne en justice. Mais plus globalement, cela pose une grande question de propriété intellectuelle : à qui appartient une oeuvre de street-art ? Son décrochage ou sa vente sont-elles légales ?

Deux droits qui s'entrechoquent

Il y a en effet un paradoxe : une oeuvre de street-art est, par essence et depuis toujours, illégale et éphémère. Les artistes qui appartiennent à cette discipline savent qu'ils créent des œuvres qui parfois seront recouvertes dès le lendemain. Au regard de la loi, un acte créatif peut donc être vu comme un acte de vandalisme sur le support, qui, lui, a un propriétaire objectif. C'est alors que viennent s'entrechoquer deux notions de droit (et c'est à partir de là qu'il faut s'accrocher) : d'une part la propriété (matérielle) du support de l'oeuvre, d'autre part la propriété de l'artiste. 

Si vous êtes propriétaire d'un mur et que, petit veinard que vous êtes, Banksy vient y peindre une fresque, deux choix s'offrent à vous : laisser sur place l'oeuvre, ou la retirer, soit en la nettoyant ou en la recouvrant, soit en la faisant décoller ou décrocher. Dans le premier cas, l'oeuvre est disparue à jamais. Dans le second.... aussi, en quelque sorte. Car en tant que propriétaire du support, si vous avez le droit de retirer l'oeuvre, vous n'avez rien le droit d'en faire d'autre que de l'exposer discrètement chez vous. A partir du moment où vous voudrez exposer, reproduire, diffuser ou, pire encore, vendre cette oeuvre, alors le droit moral et la propriété intellectuelle de l'artiste s'applique. Une vente sera illégale, même si le mur, à la base, était bien le vôtre. 

Si vous n'êtes PAS le propriétaire du support (et c'est le cas des personnes qui ont dérobé le Banksy du Bataclan), alors vous êtes un voleur. Mais moins que l'oeuvre d'art, c'est son support que vous avez volé. Car là encore, si vous ne montrez ni ne vendez l'oeuvre volée, vous passerez peut-être entre les mailles du filet : en 2013, l'artiste Invader avait attaqué en justice des personnes qu'il accusait d'avoir décollé ses mosaïques en forme d'extra-terrestres. Il avait été débouté, la justice estimant que rien ne prouvait que les accusés avaient l'intention de revendre ou d'exposer ces mosaïques.

En revanche, si vous embarquez avec la mosaïque ou le pochoir le support qui le porte, c'est plus avec le propriétaire des murs qu'avec l'artiste que vous risquez d'avoir des ennuis. Car dans ce cas, il s'agit bien de vol matériel. En d'autres termes, le Bataclan est beaucoup mieux placé pour lancer une enquête pour récupérer sa porte que Banksy pour récupérer son oeuvre d'art.