Une association demande à la Cour pénale internationale d'enquêter sur la déportation d'enfants ukrainiens
Par Claude Guibal, La rédaction numérique de France Inter
Près de 200.000 enfants ukrainiens auraient été déportés en Russie pour être "dénazifiés", d'après les autorités ukrainiennes. Une association française dépose mercredi un dossier à la Cour pénale internationale pour ce qu'elle considère être "un génocide", et un "crime contre l'humanité".
L'association française "Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre" dépose mercredi un dossier auprès de la Cour pénale internationale (CPI) pour lui demander d'ouvrir une enquête pour "génocide". En cause : la déportation de dizaines de milliers, voire de centaines de milliers d'enfants ukrainiens, arrachés à leurs famille pour être envoyés dans des camps ou des familles en Russie. Treize mille enfants ont déjà été identifiés par les autorités ukrainiennes, qui estiment qu'il y a en tout 200.000 enfants déportés.
Les enfants perdent la trace de leur passé ukrainien
La demande de l'association s'appuie sur des témoignages recueillis par des journalistes et des ONG comme Amnesty International, mais aussi des documents officiels russes et ukrainiens. Concrètement, ces enfants "sont pris dans les maternités, les orphelinats, dans les territoires occupés par la Russie, ou arrachés à l'autorité de leurs parents réfugiés dans des camps de filtration à leur arrivée en Russie", explique l'avocat de l'association, Emmanuel Daoud. Ces enfants sont ensuite transférés de force en Russie, "parfois jusqu'en Sibérie".
"Un témoignage indique que les formalités d’obtention de la nationalité russe pour un mineur ukrainien isolé peuvent se faire en un seul jour", indique le rapport, qui note aussi que les parents adoptants reçoivent parfois des cadeaux et une rémunération. Quant aux enfants, "on peut changer leur date, leur lieu de naissance, leur prénom, leur nom pour les "russifier"", déplore l'avocat. "Comment un enfant de deux trois ans va retrouver ses parents, dans 5, 10 ou 15 ans ? Avec ce nouvel état civil, c'est impossible.".
"Russifier" les Ukrainiens, une politique assumée par le Kremlin
Le but : faire perdre à ces enfants tout lien avec leur famille et plus largement avec la culture et la nation ukrainienne. Une fois en Russie, "sous couvert de 'dénazification' de l'Ukraine, on va les transférer parfois à des milliers de kilomètres, dans des camps de rééducation". Les plus jeunes eux seront "adoptés immédiatement". D'après l'association, il s'agit d'une "politique institutionnelle", directement supervisée par Vladimir Poutine et sa commissaire présidentielle aux droits des enfants. C'est Vladimir Poutine qui, en mai 2022, a pris un décret présidentiel pour faciliter l'adoption des enfants ukrainiens, sans passer par le Parlement.
La Russie revendique cette politique qui doit "sauver ces enfants qui, selon elle, sont russes", explique Emmanuel Daoud. "Dans les médias russes, les journalistes ou les officiels disent qu'il faut anéantir ces petits Ukrainiens, qu'il faut raser leurs habitations, dénazifier cette Ukraine'", assure l'avocat. "Soixante-seize enfants de la république populaire de Louhansk [territoire occupé, ndlr] se préparent déjà à partir chez des parents adoptifs dans nos régions", expliquait par exemple la commissaire présidentielle aux droits des enfants, alors qu'un avion les transportant atterrissait à Moscou.
Un "crime de génocide"
Les documents transmis à la CPI montrent que cette politique a déjà été mise en œuvre après l'annexion de la Crimée en 2014. Une action planifiée donc, et qui relèverait selon le statut de Rome du "crime de génocide" et de celui de "crime contre l'humanité". Puisqu'"il s'agit d'une déportation forcée à grande échelle", et qu'"elle a pour objet à l'adoption ou la rééducation, pour couper le lien avec la nation ukrainienne", précise l'avocat. L’article 6 du Statut de Rome définit le génocide comme "l'un quelconque des actes ci-après commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel."
L'association demande à ce que plusieurs personnes soient poursuivies devant la Cour pénale internationale pour ce crime de génocide. Vladimir Poutine, mais aussi son ministre de la Défense, le chef d’état-major des armées russes, le chef de l'"opération militaire spéciale en Ukraine", un idéologue proche du pouvoir et enfin la commissaire présidentielle aux droits des enfants. Cette dernière fait déjà l'objet d'enquêtes en Ukraine et a déjà été sanctionnée par le Canada, l'Union européenne et le Royaume Uni.