
Le magazine Art press a été créé il y a 40 ans, à la fin de l'année 1972. En attendant de souffler les bougies, probablement avec un évènement à la Bibliothèque Nationale de France, ce blog consacrera au fil des mois plusieurs billets à cette revue incontournable pour qui veut suivre l'actualité de l'art contemporain. Une revue à part, qui ne fonctionne que grâce à la publicité, dirigée par une femme à part, Catherine Millet. A l'occasion de ce 8 mars, et de la journée internationale des femmes, elle revient sur ce qui a changé pour les femmes dans le milieu artistique.
Art press a 40 ans, comment vous préparez-vous à fêter cela ?
Catherine Millet : (rire) Déjà il faut s’y préparer je veux dire mentalement. Oui je pense on peut parler de fête. Je crois qu’il n’y a pas tellement de revues d’art, et surtout une revue aussi spécialisée que la nôtre qui arrive à cet âge comme ça très respectable, et donc j’espère bien qu’on va faire la fête. Alors bien sûr il y a différentes choses qui sont en projet, je crois que je peux en annoncer qu’on va être accueilli par la BNF pour cet anniversaire.
Il y a aussi un projet avec Maurice Olender qui est ce savant, délicieux savant, merveilleux savant, qui dirige depuis longtemps maintenant, je crois qu’il fête lui aussi son 20ème anniversaire de la bibliothèque, qui s’appelait aux Editions du Seuil la bibliothèque du 20ème Siècle, devenue maintenant la bibliothèque du 21ème siècle où beaucoup d’auteurs, d’historiens, de sociologues, d’ethnologues très prestigieux publient régulièrement leurs ouvrages.
Il y a donc au moins trois choses : un évènement à la BNF, un évènement sans doute à la Maison de l’Amérique Latine avec la bibliothèque du 21ème Siècle, et puis un ouvrage aux Editions de La Martinière. Plus sans doute un numéro d’Art press pour lequel on a déjà quelques idées, mais tout ça est encore un peu tôt, un peu frais.
J’aimerais bien que nous fassions l’exposition idéale d’Art press. Je pense qu’elle serait quand même difficile à réaliser étant donné ce qu’est devenu le milieu de l’Art et le marché de l’Art. Les œuvres, y compris contemporaines, sont parfois extrêmement difficile à obtenir, notamment à cause du coûts des assurances qui dépasseraient largement les budgets d’une revue comme la nôtre.
Que s'est -il passé de notables en 40 ans pour les femmes dans le monde de l’art?
Catherine Millet: Elles ont pris le pouvoir absolument partout . Enfin j’exagère un petit peu évidemment mais si vous regardez un petit peu les galeries d’art, beaucoup de responsables de musées, il y a beaucoup beaucoup de femmes dans les structures et dans pas mal de revues les femmes sont extrêmement actives.Pour ce qui est des artistes elles-mêmes, je pense qu’il y a beaucoup de figures féminines qui sont apparues au premier plan, depuis une bonne vingtaine d’années. Je n’ai jamais eu le souci de voir s’il y avait eu une parité mais en tout cas il me semble que les femmes sont autant exposées que les hommes aujourd’hui et qu’il y aurait même peut-être un a priori favorable pour les jeunes femmes artistes. Quand c'est une femme qui se présente comme ça, une nouvelle jeune artiste plutôt qu’un nouveau jeune artiste**, il y a à mon avis un a priori favorable.**

Parlons de vous, Catherine Millet. Etes-vous toujours Catherine Millet ? En 40 ans il y a la réussite d’Art Press, mais aussi La vie sexuelle de Catherine M . le personnage de papier. Est-ce que vous êtes toujours la même?
Catherine Millet: : J’espère! La question il faudrait plutôt la poser à mon entourage, est-ce qu’ils ont l’impression que j’ai changé depuis dix ans avec la sortie de La vie sexuelle de Catherine M. ? Je ne crois pas dans mes habitudes quotidiennes, je ne pense pas que mon travail au journal n’ait grand-chose de changé sauf que je suis peut-être un peu plus absente qu’avant parce que les livres m’ont créé d’autres obligations. Moi dans ma tête il me semble que je n’ai pas trop changé non plus. J’ai la chance en fait de mener un travail littéraire essentiellement autobiographique donc en principe il n’y a pas de fiction (quoique à partit du moment où quelque chose devient écriture la frontière entre réalité et vérité et fiction est très ténue). Et puis, cela doit être un effet de la maturité, je pense que plus on vieillit, et c'est une des grandes consolations, plus on se sent libre je crois.
Mais peut-être que cela chez moi est-il renforcé par ce travail que je fais sur moi-même, sur ma propre histoire. Quand vous avez raconté votre vie sexuelle dans les moindres détails à la terre entière vous êtes assez libre pour vous exprimer et dire ce que vous aimez, ce que vous n’aimez pas, ce que vous avez de faire, pas faire, etc. ça vous fait un peu moins respectueux des conventions, du conformisme ambiant, donc j’aurais tendance à penser que je suis de plus en plus Catherine Millet.
Mais c’est vrai aussi que chacun d’entre nous est modifié quotidiennement dans ses rapports avec les autres, dans ses évènements heureux et malheureux qui lui arrivent. On peut avoir été très timide comme c’est mon cas pendant toute une période de sa vie et se révéler moins timide parce que l’expérience fait que vous ne l’êtes moins ; vous pouvez avoir été avec un compagnon qui était celui qui prenait toutes les décisions et puis être avec un nouveau compagnon qui au contraire laisse prendre toutes les décisions. Je crois que l’être humain est une matière assez meuble et qu’on s’adapte aussi aux circonstances . Il n’y a pas à se demander est-ce que Catherine Millet est celle d’il y a 40 ans ou celle d’aujourd’hui ; elle est aujourd’hui toutes celles qu’elle a été tout au long de sa vie, et espérons pour le plus longtemps possible !
Vous écrivez actuellement sur votre enfance, va-t-on vous lire prochainement à ce sujet?
Catherine Millet : Peut-être pas très prochainement quand même, je suis quelqu’un qui travaille assez lentement mais c’est vrai que depuis l’année dernière je travaille à un livre qui est Récit de l’enfance et j’ai découvert que c’était un travail très différent de celui que j’avais fait jusqu’à présent, bien que toujours aussi autobiographique, et à partir de la matière la plus authentique possible.
Ca change quoi l’enfance ?
Catherine Millet : Ca change quoi ?Je ne sais pas si ça change quelque chose. Mais est-ce que ça me change moi aujourd’hui de découvrir ou de redécouvrir la petite fille que j’ai été ? je pense que j’ai quand même le sentiment de regarder quelqu’un d’autre justement parce que comme je le disais à l’instant la vie m’a changée, alors je sais que c’est moi cette petite fille mais bien sûr ce n’est plus moi non plus. Il y a des choses que je retrouve à son sujet que je ne suis plus capable de comprendre : j’ai fait des lectures très très jeune qui m’ont marquées dont j’ai gardé le souvenir et pour certaines d’entre elles qui continuent d’être des lectures. Mais je peux découvrir également que je me suis passionnée pour un auteur que je n’ai même plus idée de ce qu’il a écrit. Donc je suis très étonnée de ça par exemple.
Je suis tombée sur des textes que j’écrivais adolescente où je faisais l’éloge du poète André Spire. Les poèmes d’André Spire étaient très très connus dans les années 50-60 et peut-être que j’ai découvert ça en classe, et je disais adorer ça ; aujourd’hui je ne saurais vraiment même plus à quoi ça ressemble, c’est très curieux quoi.
Quels sont les auteurs que vous lisez toujours ?
Catherine Millet: Ah Balzac ! Balzac. J’ai fait récemment un petit travail, je me suis replongée dans Balzac pour une petite préface pour un roman de Balzac dans la collection des Classiques de Garnier. Voyant cela Dominique Gonzalès-Foerster et Tristan Bera m’ont demandé d’intervenir dans un programme pour la Kunsthalle de Zurich autour de Balzac justement. J’y suis allée faire des lectures de Balzac commentées évidemment pour dire quel rôle ça avait joué dans ma propre vie. Je dois dire qu’on a passé quelques temps avec Dominique et Tristan à se régaler à notre bonheur de lire Balzac, donc ça ça été très agréable.

