Une majorité de jeunes s'éloigne de la politique traditionnelle, révèle une enquête de l'Institut Montaigne
Par Noémie LairL'Institut Montaigne publie ce jeudi une vaste enquête sur les jeunes français. A l'approche de la présidentielle, elle met en lumière une forte "désaffiliation politique" des jeunes, très critiques vis-à-vis du fonctionnement politique actuel.
À un peu plus de deux mois du premier tour de l'élection présidentielle, le groupe de réflexion de l'Institut Montaigne publie une riche enquête sur les jeunes en France, leur vision et leur ressenti de la société, leurs valeurs et leur relation à la politique.
Cette enquête a été pilotée par Olivier Galland, directeur de recherche émérite au CNRS, et Marc Lazar, professeur d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po. Elle a été réalisée en septembre 2021 par Harris Interactive auprès de 8 000 jeunes âgés de 18 à 24 ans et des deux générations qui les ont précédés : leurs parents, avec un échantillon de 1 000 personnes de 46 à 56 ans, et les "boomers", avec un échantillon de 1 000 personnes de 66 à 76 ans.
Une jeunesse plus complexe à comprendre et à définir
La photographie donnée par les auteurs de cette enquête montre une jeunesse plus complexe à comprendre et à définir que ce à quoi l'ont parfois réduite "des propos simplistes tenus par divers auteurs ou analystes", écrivent Olivier Galland et Marc Lazar. Il existe plusieurs groupes de jeunes, marqués par des difficultés économiques et sociales à leur entrée dans la vie active, plus durement touchés que les autres générations par la crise sanitaire et économique du Covid-19, mais qui ne sont pas pour autant résignés. "On est loin d’avoir affaire à une génération désabusée ou platement utilitariste", notent les auteurs de l'étude.
On est loin d’avoir affaire à une génération désabusée ou platement utilitariste.
Le racisme et les discriminations au cœur des préoccupations
Ces jeunes se sentent par ailleurs "très concernés par beaucoup de questions sociétales". Ils sont ainsi "plus sensibles que les générations précédentes aux questions relatives au racisme, aux inégalités et aux discriminations".
Sur le sujet de la laïcité, "une bonne partie des jeunes partage l’idée que le respect des convictions et des choix personnels est un principe supérieur au respect des règles qui ordonnent la vie publique, ou du moins qu’il y a une forte tension entre les deux" mais ces questions ne sont pas un sujet de préoccupation majeur pour eux.
Idem pour la question du genre et de l’évolution des droits des personnes LGBT+ qui sont "citées plus souvent par les jeunes comme des sujets très importants" mais ne sont pas leur préoccupation principale.
Le premier constat qui ressort de l'enquête est finalement que les jeunes ne sont pas "une génération woke" et qu'il n'existe pas de fracture entre les générations mais davantage des évolutions de valeurs et d'approches.
Une forte "désaffiliation politique" pour une majorité de jeunes
À quelques mois de la présidentielle, les partis politiques s'affèrent à vouloir séduire cette jeunesse. Mais l'enseignement principal de l'enquête de l'Institut Montaigne est qu'il existe une importante "désaffiliation politique d’une grande partie de la jeunesse", c'est-à-dire qu'"une partie importante des jeunes ne se reconnaît aucune proximité avec un parti ou une tendance politique, soit par méconnaissance, soit par désintérêt et peut-être aussi par rejet".
L'étude révèle que 43 % des jeunes interrogés disent ne pas avoir d’idées assez précises pour se positionner sur l’échelle gauche-droite et 55 % ne peuvent indiquer de préférence partisane. Ces jeunes détachés de la politique "sont plus souvent des femmes, des jeunes n’ayant pas fait d’études ou ayant suivi un cursus professionnel, issus de familles d’employés et plus encore de familles d’inactifs ou de chômeurs, en difficulté financière".
Ce constat peut être le résultat d'un effet d'âge mais plus vraisemblablement aussi et surtout d'un effet de génération, d'après les auteurs. Cette désaffiliation politique est liée à une forte défiance à l’égard du système politique partisan : "61 % des jeunes se déclarent mal représentés par les députés et 69 % pensent que les responsables politiques sont corrompus".
Un regard critique sur le fonctionnement du monde politique
Les auteurs de l'enquête pointent aussi un point d'inquiétude : "Le déclin de l’attachement au principe d’un gouvernement démocratique issu d’élections libres". Seulement 51% des jeunes interrogés estiment qu'avoir un gouvernement démocratique est "très important", contre 59% des parents et 71% des baby-boomers.
Une nette majorité conserve la conviction que le vote est utile et "peut faire évoluer les choses" mais pour un tiers, "le vote ne sert pas à grand-chose". Il y a donc là une scission à l’intérieur de la jeunesse : "Tous partagent un regard très critique sur le fonctionnement du monde politique, mais les moins diplômés associent beaucoup plus souvent à ce regard critique, un désengagement assez radical à l’égard de la participation politique", écrivent Olivier Galland et Marc Lazar.
Ils observent aussi qu'"une minorité importante de jeunes est tentée par la radicalité et par la violence politique." "Des jeunes plus souvent extrémistes politiquement, de droite et de gauche (mais plus souvent à gauche)" et plus souvent des garçons et des jeunes défavorisés et en difficulté. Ainsi, près de la moitié des jeunes interrogés "trouvent acceptable ou compréhensible de 's’affronter à des élus pour protester' ou 'd’insulter le président de la République'".
Une jeunesse plurielle
A partir des données de l'enquête, les auteurs de l'étude ont établi qu'il n'y avait pas une mais plusieurs jeunesses, divisés en quatre groupes aux attitudes sociopolitiques différenciées : les démocrates protestataires (39 %), les révoltés (22 %), les désengagés (26 %) et les intégrés transgressifs (13 %).
Les démocrates protestataires. Ils sont souvent diplômés universitaires ou étudiants, issus de familles favorisées à haut capital culturel. Les femmes sont surreprésentées dans ce groupe. Il s'agit généralement de jeunes intéressés par les questions sociétales, notamment celles qui concernent le genre et l’écologie. Ils sont attachés à la démocratie et au vote mais avec une forte propension à utiliser des moyens d’action politique protestataires (manifestation, pétition, opération sur les réseaux sociaux), sans toutefois approuver les formes d’action violente. Ce sont en général des jeunes optimistes sur l’évolution de la société française. Politiquement, ils sont plus souvent proches de la gauche réformiste mais refusent d’indiquer une préférence partisane.
Les révoltés. Les jeunes de ce groupe ont un niveau d’étude plus bas que la moyenne, souvent employés ou ouvriers. Là aussi, les femmes sont surreprésentées. Il s'agit de jeunes qui connaissent des difficultés matérielles et se sentent malheureux ou présentent des traits marqués de détresse psychologique. Ils refusent toute allégeance ou identification territoriale et sont faiblement représentés dans les associations, semblent sans réelles attaches, comme déconnectés de la société. Ces jeunes ont une image négative de la politique, sont plus favorables que les autres à des formes de révolte et ont une plus grande tolérance à la violence publique. Ils ne se reconnaissent dans aucun parti mais les jeunes proches du RN et de LFI sont surreprésentés dans ce groupe.
Les désengagés. Il s'agit majoritairement d'hommes, vivant un peu plus souvent en zone rurale ou dans de petites villes en maisons individuelles, et plutôt issus de familles d’employés-ouvriers à très faible capital culturel. Ces jeunes ne connaissent pas de difficultés particulières. Ils sont très faiblement présents au sein d’associations, très peu portés à la protestation, peu intéressés par les sujets sociétaux et peu convaincus de l’importance d’un gouvernement démocratique du pays. Ils rejettent en revanche la violence politique et la nécessité d’un changement révolutionnaire. Les jeunes de ce groupe se situent un peu plus souvent à droite que les autres mais leur principale caractéristique est de ne pas exprimer d’opinion à ce sujet. Ils forment la jeunesse "invisible", qui ne participe pas au débat social et politique et n'est pas évoquée par les hommes politiques et les médias. Elle représente pourtant un quart de la jeunesse française.
Les intégrés transgressifs. Là aussi les hommes sont surreprésentés. Ils sont issus de familles à très faible capital culturel et ils ont eux-mêmes plus souvent un niveau d’étude inférieur au bac. Ces jeunes ne ressentent pas de difficultés matérielles particulières, ni de difficultés dans le domaine des relations sociales et sont plus heureux et plus optimistes que les autres. Ils sont très attachés à leur localité, ont un très fort engagement associatif dans tous les domaines et présentent de nombreux signes d'intégration. Ce groupe a un faible attachement à la démocratie, est plus sensible à la question du racisme structurel mais plus tolérant sur les comportements violents, incivils ou déviants.